LA BIBLIOTHÈQUE RUSSE ET SLAVE
— LITTÉRATURE RUSSE —
Wsevolod de Vogt
(Фохт Всеволод Борисович)
1895 — 1941
Première réunion du Studio franco-russe
INTRODUCTION
1929
In Robert Sébastien et Wsevolod de Vogt, Rencontres. Paris : Aux Cahiers de la Quinzaine, hors série, 1930.
Édité par Leonid Livak et Gervaise Tassis, Le Studio franco-russe, Toronto, 2005.
Le Studio franco-russe est né d’une situation unique dans l’Histoire. La France, et plus particulièrement Paris, abrite depuis quelques années la plupart des personnalités marquantes, dans l’ordre intellectuel, que compte la Diaspora russe, notamment, à quelques exceptions près, tous les écrivains connus, en même temps que des groupes importants de jeunes littérateurs. Or, si surprenant que cela paraisse à notre époque, en présence d’une Europe qui aspire à refaire son unité, aucun contact direct n’existait, jusqu’à ces temps derniers, entre eux et les intellectuels français. Certes, il y eut quelques rencontres individuelles dues, le plus souvent, aux démarches tentées par des traducteurs auprès d’un critique, d’une rédaction ou d’une maison d’édition parisienne, de même qu’il y eut quelques présentations officielles dans les salons littéraires. Enfin, ceux d’entre les écrivains russes qui étaient déjà universellement connus avant la guerre retrouvèrent quelques amis d’autrefois. Mais il n’en est résulté, généralement, aucune fréquentation suivie, aucune tentative de rapprochement, et de tous les pays d’Europe la France demeure celui qui ignore le plus complètement — bien que, peut-être, inconsciemment — les œuvres de ses hôtes.
Nous n’avons pas à examiner ici les causes de cette indifférence des lettrés français à l’égard des écrivains, sinon de la littérature russe contemporaine. Rappelons simplement qu’aucune comparaison ne peut être établie entre Coblence et Paris. Le siècle qui sépare la révolution russe de la grande Révolution a suffi pour modifier profondément le caractère, le sens et la portée des événements et la composition même des masses qui s’en trouvent être les victimes et qui représentent bien la Russie — non seulement celle d’autrefois, mais encore celle d’aujourd’hui et de demain. Il importe d’ailleurs beaucoup moins d’incriminer qui et quoi que ce soit de la carence dont nous parlons que de nous efforcer de remédier à la situation actuelle par la création d’un centre où le rapprochement souhaité puisse se faire dans les meilleures conditions.
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Parmi ces conditions, une des plus importantes est celle d’obtenir des organisateurs de réunions entre écrivains qu’ils se placent, quels que soient leurs tendances et leurs attachements personnels, au dessus de toute politique, littéraire ou autre, afin que leurs hôtes, accueillis avec la plus grande cordialité, puissent se livrer à un échange de vues spontané, fait en toute liberté, nous dirons aussi en toute fermeté d’opinions. Ces réunions doivent conserver le caractère de causeries intimes, bien que se déroulant parfois devant une nombreuse assistance, — causeries où chacun, que ce soit un maître ou un jeune, veuille bien apporter l’expression de son expérience humaine. Car il importe hautement qu’une collaboration s’établisse, dès le début, même entre les adversaires littéraires, dans le but d’arriver à une compréhension toujours plus grande de ce qu’il y a de profondément original, d’unique, d’insaisissable au premier abord et d’inexprimable à jamais dans l’âme de chaque peuple. Les écrivains ne sont-ils pas les messagers spirituels des nations auxquelles ils appartiennent, et n’engagent-ils pas celles-ci dans la mesure même où leurs propres œuvres sont lourdes de responsabilités ? Cependant, qu’on n’aille pas en conclure que pour mieux se comprendre chacun doive faire abstraction de sa personnalité — bien au contraire, c’est uniquement à travers elle que les hommes peuvent se révéler les uns aux autres et s’aimer sinon se haïr entre eux. Ainsi, une fois l’impulsion donnée et un lien créé, il sera excellent que les amis se comptent et que, individuellement ou par groupes, les écrivains représentant des générations et des tendances parfois assez éloignées les unes des autres, défendent leurs conceptions de l’art et leurs conceptions générales. Qu’autour de leurs idées la lutte soit chaude et âpre, voilà qui donnera vie à l’œuvre d’union poursuivie, car à plus forte raison encore que les individus, les peuples ne sauraient se reconnaître et se rejoindre, si les traits synthétiques d’une race ne s’affirmaient pas et n’apparaissaient avec netteté dans une œuvre nationale, bien qu’avant tout, artistique et personnelle.
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Un jour, au hasard d’une conversation, nous exposâmes ces quelques considérations à M. Probus-Corréard, fondateur des « Humanités Contemporaines » et à ses amis qui précisément poursuivent, eux aussi, le but de fédérer les élites à la recherche d’un idéal et qui comptent, parmi les membres du Conseil de leur association, plusieurs écrivains français dont la renommée est grande dans le monde entier. Ils se déclarèrent prêts à partager avec nous l’initiative d’organiser des rencontres périodiques entre écrivains français et russes et nous offrirent tout leur appui. C’est ainsi qu’une réunion préliminaire eut lieu le 30 avril 1928 au cours de laquelle il fut décidé que France et Monde, la revue trimestrielle éditée par les « Humanités Contemporaines », commencerait la publication d’œuvres des écrivains russes présents. Cette publication est en cours et les œuvres accueillies par France et Monde doivent former, par la suite, une anthologie qui paraîtra en volume. Enfin, une seconde réunion privée fut tenue un mois plus tard, où Mmes Nadejda Gorodetskaïa, Nadejda Teffi et Marina Tsvétaïéva et MM. Mark Aldanov, Gaïto Gazdanov, Boris Zaïtsev, Mihaïl Tsetline, d’autres encore, parlèrent des œuvres qu’ils préfèrent dans la littérature française contemporaine. On en vint à constater que leur choix portait plus particulièrement sur celles où se manifestait une certaine inquiétude, comme c’est le cas pour Georges Bernanos ou François Mauriac — pour ne citer que les écrivains qui retinrent le plus longuement l’attention des assistants. Et on décida de consacrer la première réunion publique, devant avoir lieu à la rentrée d’octobre, à une conversation sur l’Inquiétude dans la littérature. Dans le courant de l’été, Robert Sébastien a bien voulu se joindre à nous pour collaborer à l’organisation des rencontres ultérieures et, plus tard, Jean Maxence, directeur des Cahiers 1929 et ses amis se déclarèrent solidaires de cette œuvre de rapprochement. Enfin, nous avons vu et continuons à voir venir à nous des écrivains aussi divers que ceux dont on lira plus loin les exposés et les interventions. Nous les en remercions au moment de publier les sténogrammes que les quatre premières réunions nous ont permis de recueillir, ainsi que tous ceux qui ont suivi nos débats sans y intervenir, — tout au moins, jusqu’à présent.
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Texte établi par la Bibliothèque russe et slave ; déposé sur le site de la Bibliothèque le 19 juin 2022.
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