LA BIBLIOTHÈQUE RUSSE ET SLAVE

 LITTÉRATURE RUSSE

 

 

Piotr Tchaadaïev

(Чаадаев Пётр Яковлевич)

1774 — 1856

 

 

 

 

 

APOLOGIE D’UN FOU

 

 

 

 

 

 

1862

 

 

 

 

 

 

Œuvres choisies de Pierre Tchadaïef, publiées pour la première fois par le P. Gagarin de la compagnie de Jésus, Paris-Leipzig, Librairie A. Franck, 1862.

 

 

 

 

 

 


En 1836, suite au scandale provoqué par sa première Lettre philosophique, Piotr Tchaadaïev fut déclaré fou par le pouvoir du tsar Nicolas Ier et assigné à résidence. Il écrivit cette Apologie d’un fou qui ne fut publiée officiellement que six ans après sa mort. (Note de la BRS)

 

 

 

 

 

 

« O my brethem ! I have told

» Most bitter truth, but without bitterness. »

      COLERIDGE.

 

I

 

La charité, dit saint Paul, souffre tout, croit tout, supporte tout : ainsi, souffrons, croyons, supportons tout, soyons charitables. Mais d’abord, la catastrophe qui vient de mutiler notre existence intellectuelle d’une manière si étrange, et de jeter au vent le labeur d’une vie tout entière, n’est en effet que le résultat du cri sinistre poussé dans une certaine région de la société à l’apparition de notre article, de cette page poignante, si vous voulez, mais qui certainement méritait tout autre chose que les clameurs dont elle fut saluée.

Le gouvernement, après tout, n’a fait que son devoir ; on peut même dire que les rigueurs exercées contre nous en ce moment n’ont rien d’exorbitant, puisqu’il est certain qu’elles sont loin d’avoir dépassé l’attente d’un public nombreux. Que voulez-vous que fasse le gouvernement le mieux intentionné, si ce n’est de se conformer à ce qu’il croit être, de bonne foi, le vœu sérieux du pays ? Quant aux clameurs publiques, c’est tout autre chose. Il y a diverses manières d’aimer sa patrie : le Samoyède, par exemple, qui aime les neiges natales qui l’ont rendu myope, la yourte enfumée où il reste blotti la moitié de ses jours, la graisse rance de ses rennes qui l’environne d’une atmosphère nauséabonde, n’aime pas assurément son pays de la même manière que le citoyen anglais, fier des institutions et de la haute civilisation de son île glorieuse ; et sans doute il serait fâcheux pour nous que nous fussions encore à chérir les lieux qui nous ont vus naître à la façon des Samoyèdes. C’est une fort belle chose que l’amour de la patrie, mais il existe quelque chose de mieux, l’amour de la vérité. L’amour de la patrie fait les héros, l’amour de la vérité fait les sages, les bienfaiteurs de l’humanité. C’est l’amour de la patrie qui divise les peuples, qui nourrit les haines nationales, qui parfois couvre la terre de deuil ; c’est l’amour de la vérité qui répand les lumières, qui crée les jouissances de l’esprit, qui rapproche les hommes de la Divinité. Ce n’est point par le chemin de la patrie, c’est par celui de la vérité que l’on monte au ciel. Il est vrai que nous autres Russes, nous nous sommes de tout temps médiocrement préoccupés de ce qui est vrai ou faux. Il ne faut donc guère en vouloir au pays, s’il s’est vivement ému d’une apostrophe tant soit peu virulente adressée à ses infirmités. Aussi n’ai-je pas de rancune, je vous assure, contre ce cher public qui me fit si longtemps patte de velours : c’est de sang-froid, sans irritation aucune, que je cherche à me rendre compte de mon étrange situation. Ne faut-il pas, je vous le demande, que je tâche de découvrir, si je le puis, où en est vis-à-vis de ses semblables, vis-à-vis de ses concitoyens, vis-à-vis de son Dieu, l’homme frappé de démence par un arrêt de la justice suprême du pays ?

Je n’ai jamais brigué les ovations populaires, ni recherché les faveurs de la foule ; j’ai toujours pensé que le genre humain ne devait marcher qu’à la suite de ses chefs naturels, les oints du Seigneur ; qu’il ne saurait avancer dans les voies de son progrès véritable que guidé par ceux-là qui, d’une manière ou d’une autre, ont reçu du ciel même mission et puissance pour le conduire ; que la raison générale n’était point la raison absolue, ainsi que l’a cru un grand écrivain de nos jours ; que les instincts des majorités étaient infiniment plus passionnés, plus étroits, plus égoïstes, que ceux de l’homme isolé ; que ce que l’on appelle le bon sens du peuple n’était point du tout le bon sens ; que la vérité ne jaillissait point de la cohue ; qu’elle ne saurait être figurée par un chiffre ; enfin, que l’intelligence humaine ne se manifestait jamais dans toute sa puissance, dans toute sa splendeur, que dans l’esprit solitaire, centre et soleil de sa sphère. Comment se fait-il donc que je me sois trouvé un beau jour en face d’un public en colère, d’un public dont je n’ai jamais ambitionné les suffrages, dont les caresses ne m’ont jamais réjoui, dont les boutades ne m’ont jamais ému ? Comment se fait-il qu’une pensée qui n’était pas adressée à mon siècle, que, sans vouloir avoir affaire aux hommes de nos jours, j’avais léguée dans le plus profond de mes convictions aux générations à venir, aux générations mieux informées, et avec ce caractère de publicité intime qui lui était déjà acquis depuis longtemps, comment se fait-il que cette pensée ait brisé ses entraves, qu’elle se soit échappée de son cloître, qu’elle se soit précipitée dans la rue, bondissant au milieu de la foule stupéfaite ? C’est là ce que je ne saurais dire. Mais voici ce que je puis affirmer avec une parfaite assurance.

Il y a trois cents ans que la Russie aspire à se confondre avec l’occident de l’Europe, qu’elle tire de là toutes ses idées les plus sérieuses, tous ses enseignements les plus féconds, toutes ses jouissances les plus vives. Depuis un siècle et plus elle fait mieux que cela. Le plus grand de nos rois, celui qui, dit-on, commença pour nous une ère nouvelle, à qui, dit-on, nous devons notre grandeur, notre gloire, et tous les biens que nous possédons aujourd’hui, abjura, il y a de cela cent cinquante ans, la vieille Russie à la face du monde entier. Il balaya de son souffle puissant toutes nos institutions ; il creusa un abîme entre notre passé et notre présent, et il y jeta pêle-mêle toutes nos traditions. Lui-même il alla dans les pays de l’Occident se faire le plus petit, et il en revint parmi nous le plus grand ; il se prosterna devant l’Occident, et il se releva notre maître et notre législateur. Il introduisit dans notre idiome les idiomes de l’Occident ; sa nouvelle capitale, il l’appela d’un nom de l’Occident ; son titre héréditaire, il le rejeta, et prit un titre de l’Occident ; enfin il renonça presque à son propre nom, et plus d’une fois signa ses arrêts souverains d’un nom de l’Occident. Depuis ce temps-là, les regards constamment tournés vers les pays de l’Occident, nous ne fîmes plus, pour ainsi dire, qu’aspirer les émanations qui nous arrivaient de là et nous en nourrir. Nos princes, il faut le dire, qui presque toujours nous conduisirent par la main, qui presque toujours remorquèrent le pays, sans que le pays y fût pour rien, eux-mêmes nous imposèrent les mœurs, le langage, l’habit de l’Occident. Nous apprîmes à épeler les noms des choses dans les livres de l’Occident. Notre propre histoire, c’est l’un des pays de l’Occident qui nous l’enseigna ; nous traduisîmes la littérature de l’Occident tout entière, nous l’apprîmes par cœur, nous nous parâmes de ses guenilles ; et enfin nous fûmes heureux de ressembler à l’Occident, et glorieux lorsqu’il voulut bien nous compter parmi les siens.

Elle fut belle, il faut en convenir, cette création de Pierre le Grand, cette pensée puissante qui se saisit de nous et nous lança dans la route que nous devions parcourir avec tant d’éclat ; elle fut profonde cette parole qui nous dit : Voyez-vous là-bas cette civilisation, fruit de tant de travaux, ces sciences, ces arts qui coûtèrent tant de sueurs à tant de générations ! tout cela est à vous à condition que vous vous dépouillerez de vos superstitions, que vous répudierez vos préjugés, que vous ne serez point jaloux de votre passé barbare, que vous ne vous vanterez pas de vos siècles d’ignorance, que vous ne serez ambitieux que de vous approprier les travaux de tous les peuples, les richesses acquises par l’esprit humain à toutes les latitudes du globe. Et ce n’était point pour sa nation seule que travaillait le grand homme. Ces hommes de la Providence sont toujours envoyés pour l’humanité tout entière. Un peuple les réclame d’abord, puis ils s’absorbent dans le genre humain, comme ces grands fleuves qui fertilisent d’abord de vastes contrées, puis vont porter le tribut de leurs eaux dans l’Océan. Le spectacle qu’il offrit à l’univers, lorsque, quittant la majesté royale et son pays, il alla se cacher dans les derniers rangs des peuples civilisés, que fut-ce autre chose, sinon un nouvel effort du génie de l’homme pour sortir de l’enceinte étroite de la patrie, pour s’établir dans la grande sphère de l’humanité ? Telle fut la leçon que nous devions recueillir : nous en avons profité en effet, et jusqu’à ce jour nous avons marché dans la voie que le grand empereur nous avait tracée. Notre immense développement n’est que l’accomplissement de ce superbe programme. Jamais peuple ne fut moins infatué de lui-même que le peuple russe, tel qu’il a été fait par Pierre le Grand, et jamais non plus peuple n’obtint de succès plus glorieux dans la carrière du progrès. La haute intelligence de cet homme extraordinaire devina parfaitement quel devait être notre point de départ sur la route de la civilisation et du mouvement intellectuel du monde. Il vit que, la donnée historique nous manquant à peu près complètement, nous ne saurions asseoir notre avenir sur cette base impuissante ; il comprit fort bien que, placés en face de la vieille civilisation de l’Europe, dernière expression de toutes les civilisations antérieures, nous n’avions que faire de nous étouffer dans notre histoire, de nous traîner, comme les peuples de l’Occident, à travers le chaos des préjugés nationaux, par les sentiers étroits des idées locales, sur l’ornière rouillée de la tradition indigène ; qu’il nous fallait enlever, par un élan spontané de nos puissances internes, par un effort énergique de la conscience nationale, les destinées qui nous étaient réservées. Il nous délivra donc de tous ces antécédents qui encombrent les sociétés historiques et entravent leur marche ; il ouvrit notre intelligence à tout ce qui existe parmi les hommes de grandes et belles idées ; il nous livra l’Occident tout entier, tel que les siècles l’avaient fait, et il nous donna toute son histoire pour histoire, tout son avenir pour avenir.

Croyez-vous que, s’il eût trouvé au milieu de sa nation une histoire riche et féconde, des traditions vivantes, des institutions profondément enracinées, il n’eût pas hésité à la jeter dans un moule nouveau ? Croyez-vous qu’en présence d’une nationalité fortement dessinée, fortement prononcée, son instinct d’esprit fondateur ne l’eût pas porté, au contraire, à demander à cette nationalité même les instruments nécessaires à la régénération de son pays ? Et le pays, de son côté, eût-il souffert dans ce cas qu’on lui ravît son passé, qu’on lui imposât en quelque sorte celui de l’Europe ? Mais il n’en fut pas ainsi. Pierre le Grand ne trouva chez lui que du papier blanc, et de sa forte main il y traça ces mots, Europe et Occident : dès lors nous fûmes de l’Europe et de l’Occident. Il ne faut pas s’y tromper : quels que fussent le génie de cet homme et l’énorme énergie de sa volonté, son œuvre n’était possible qu’au sein d’une nation dont les antécédents ne lui commandaient pas impérieusement la marche qu’elle avait à suivre, dont les traditions n’avaient pas le pouvoir de lui créer un avenir, dont les souvenirs pouvaient être impunément effacés par un législateur audacieux. Si nous fûmes si dociles à la voix du prince qui nous conviait à une vie nouvelle, c’est qu’apparemment nous n’avions rien dans notre existence antérieure qui pût légitimer la résistance. Le trait le plus profond de notre physionomie historique, c’est l’absence de spontanéité dans notre développement social. Regardez bien, et vous verrez que chaque fait important dans notre histoire est un fait imposé ; chaque idée nouvelle, presque toujours une idée importée. Mais il n’y a rien dans ce point de vue dont le sentiment national doive se formaliser ; s’il est vrai, il faut l’accepter, voilà tout. Il y a de grandes nations, tout comme il y a de grands personnages historiques, qui ne sauraient s’expliquer par les lois normales de notre raison, mais que la logique suprême de la Providence décrète en son mystère : ainsi en est-il de nous ; mais encore une fois l’honneur national n’a rien à démêler dans tout cela. L’histoire d’un peuple n’est point seulement une suite de faits qui se succèdent, c’est encore une série d’idées qui s’enchaînent. Il faut que le fait se traduise par une idée ; il faut qu’une pensée, un principe, circulent à travers les événements et tendent à se réaliser. Alors le fait n’est point perdu, il a sillonné les intelligences, il est resté gravé dans les cœurs, et nulle force au monde ne saurait l’en expulser. Cette histoire-là ce n’est point l’historien qui la fait, c’est la force des choses. L’historien vient un jour, la trouve toute faite, et la raconte ; mais qu’il vienne ou non, elle n’en existe pas moins, et chaque membre de la famille historique, quelque obscur qu’il soit, quelque infime qu’il soit, la porte dans le fond de son être. Voilà précisément l’histoire que nous n’avons pas. Il faut apprendre à nous en passer, et non lapider les gens qui se sont aperçus de cela les premiers.

Nos Slavons fanatiques pourront bien dans leurs fouilles diverses exhumer de temps à autre des objets de curiosité pour nos musées, pour nos bibliothèques ; mais il est permis de douter, je crois, qu’ils parviennent jamais à tirer de notre sol historique de quoi combler le vide de nos âmes, de quoi condenser le vague de nos esprits. Voyez l’Europe au moyen âge : point d’événement qui n’y soit en quelque sorte d’une nécessité absolue, qui n’ait laissé de traces profondes au cœur de l’humanité. Et pourquoi cela ? C’est que là, derrière chaque événement vous trouvez une idée, c’est que l’histoire du moyen âge, c’est l’histoire de la pensée des temps modernes, qui cherche à s’incarner dans l’art, dans la science, dans la vie de l’homme, dans la société. Aussi, que de sillons cette histoire n’a-t-elle point creusés dans les intelligences, comme elle a labouré le terrain sur lequel s’agite l’esprit de l’homme ! Je sais bien que toutes les histoires n’ont pas la marche rigoureuse, la marche logique de celle de cette époque prodigieuse, au sein de laquelle s’élabora la société chrétienne sous l’empire d’un principe suprême ; mais il n’en est pas moins vrai que c’est là le véritable caractère du développement historique, soit d’un peuple, soit d’une famille de peuples, et que les nations dépourvues d’un passé ainsi fait doivent se résigner à chercher ailleurs qu’en leur histoire, qu’en leur mémoire, les éléments de leur progrès ultérieur. Il en est de la vie des peuples à peu près comme de celle des individus. Tous les hommes ont vécu, mais il n’y a que l’homme de génie, ou l’homme placé dans certaines conditions particulières, qui aient une véritable histoire. Qu’un peuple, par exemple, par un concours de circonstances qu’il n’a point créées, par l’effet d’une position géographique qu’il n’a point choisie, se répande sur une immense étendue de pays sans avoir la conscience de ce qu’il fait, et qu’un beau jour il se trouve être un peuple puissant, ce sera assurément un phénomène étonnant, et l’on pourra l’admirer tant que l’on voudra : mais que voulez-vous que l’histoire en dise ? Au fond ce n’est là qu’un fait purement matériel, un fait pour ainsi dire géographique, dans d’énormes proportions sans doute, mais rien que cela. L’histoire le recueillera, le consignera dans ses fastes, puis se refermera sur lui, et tout sera dit. La véritable histoire de ce peuple ne commencera que du jour où il se sera saisi de l’idée qui lui était confiée, qu’il est appelé à réaliser, et lorsqu’il se mettra à la poursuivre avec cet instinct persévérant, quoique caché, qui conduit les peuples à leurs destinées. Voilà le moment que j’évoque en faveur de mon pays de toutes les puissances de mon cœur, voilà la tâche que je voudrais vous voir entreprendre, à vous, mes chers amis et concitoyens, qui vivez dans un siècle de haute instruction, et qui venez si bien de m’apprendre combien vous êtes vivement enflammés du saint amour de la patrie.

Le monde fut de tout temps partagé en deux parts, l’Orient et l’Occident. Ce n’est point là seulement une division géographique, c’est encore un ordre de choses résultant de la nature même de l’être intelligent, ce sont deux principes qui répondent aux deux forces dynamiques de la nature, deux idées qui embrassent toute l’économie du genre humain. C’est en se concentrant, en se recueillant, en se renfermant en lui-même, que l’esprit humain se construisit en Orient ; c’est en s’épandant au dehors, en rayonnant dans tous les sens, en luttant contre tous les obstacles, qu’il se développe en Occident. La société se constitua naturellement sur ces données primitives. En Orient, la pensée retirée en elle-même, réfugiée dans le repos, cachée dans le désert, laissa le pouvoir social maître de tous les biens de la terre ; en Occident, l’idée se projetant partout, embrassant tous les besoins de l’homme, aspirant à tous les bonheurs, fonda le pouvoir sur le principe du droit ; néanmoins dans l’une et l’autre de ces sphères, la vie fut forte et féconde ; dans l’une et l’autre, les hautes inspirations, les pensées profondes, les créations sublimes, ne faillirent point à l’intelligence humaine. L’Orient vint le premier et versa sur la terre des flots de lumière du sein de sa méditation solitaire ; puis vint l’Occident, qui, avec son immense activité, sa vive parole, son analyse toute-puissante, s’empara de ses travaux, acheva ce que l’Orient avait commencé, et l’enveloppa enfin dans sa vaste étreinte. Mais en Orient, les intelligences dociles, agenouillées devant l’autorité des temps, s’épuisèrent dans l’exercice de leur soumission absolue à un principe vénéré, et s’endormirent un jour emprisonnées dans leur synthèse immobile, sans se douter des destinées nouvelles qui se préparaient pour elles ; tandis qu’en Occident elles marchèrent fières et libres, ne s’inclinant que devant l’autorité de la raison et du Ciel, ne s’arrêtant que devant l’inconnu, et l’œil toujours fixé sur l’avenir sans bornes. Et elles y marchent encore, vous le savez, et vous savez aussi que, depuis Pierre le Grand, nous avons cru marcher avec elles. Mais voici venir une école nouvelle. On ne veut plus de l’Occident, on veut démolir l’œuvre de Pierre le Grand, on veut reprendre le chemin du désert. Oublieux de ce que l’Occident a fait pour nous, ingrats envers le grand homme qui nous civilisa, envers l’Europe qui nous instruisit, on renie et l’Europe et le grand homme ; et déjà dans son ardeur hâtive, ce patriotisme de fraîche date nous proclame enfants chéris de l’Orient. Quel besoin, dit-on, avions-nous d’aller chercher des lumières parmi les peuples de l’Occident ? N’avions-nous pas au milieu de nous tous les germes d’un ordre social infiniment préférable à celui de l’Europe ? Que ne laissait-on faire le temps ? Abandonnés à nous-mêmes, à notre raison lucide, au principe fécond caché dans les entrailles de notre puissante nature, et surtout à notre religion sainte, nous eussions bientôt dépassé tous ces peuples livrés à l’erreur et au mensonge. Et qu’avions-nous donc à envier à l’Occident ? Ses luttes religieuses, son pape, sa chevalerie, son inquisition ? Belles choses en vérité ! Est-ce donc l’Occident qui est la patrie de la science et de toutes les choses profondes ? C’est l’Orient, on le sait. Retirons-nous donc dans cet Orient que nous touchons partout, d’où nous avons naguère tiré nos croyances, nos lois, nos vertus, tout ce qui nous a rendus le peuple le plus puissant de la terre. Le vieil Orient s’en va : eh bien, ne sommes-nous pas ses héritiers naturels ? C’est parmi nous que vont désormais se perpétuer ces admirables traditions, que vont se réaliser toutes ces grandes et mystérieuses vérités, dont le dépôt lui fut confié dès l’origine des choses. Vous comprenez maintenant d’où est venu l’orage qui s’est abattu l’autre jour sur moi, et vous voyez qu’il s’opère au milieu de nous, dans la pensée nationale, une véritable révolution, une réaction passionnée contre les lumières, contre les idées de l’Occident, contre ces lumières, contre ces idées, qui nous firent ce que nous sommes, dont cette réaction même, ce mouvement, qui nous poussent aujourd’hui contre elles, sont le fruit. Mais cette fois l’impulsion ne vient pas d’en haut. Jamais, au contraire, dans les régions suprêmes de la société, la mémoire de notre royal réformateur ne fut, dit-on, plus vénérée qu’elle ne l’est aujourd’hui. L’initiative appartient donc tout entière au pays. Où nous mènera ce premier fait de la raison émancipée de la nation ? Dieu le sait ! Mais on ne saurait, si l’on aime sérieusement son pays, ne pas être douloureusement affecté de cette apostasie de nos esprits les plus avancés envers les choses qui firent notre gloire, notre grandeur ; et il est, je crois, d’un bon citoyen de chercher à apprécier de son mieux ce phénomène singulier.

Nous sommes situés à l’orient de l’Europe, cela est positif, mais nous n’avons jamais fait partie de l’Orient pour cela. L’Orient possède une histoire qui n’a rien de commun avec celle de notre pays. Il contient, comme nous venons de le voir, une idée féconde qui amena en son temps un développement immense de l’intelligence qui avait accompli sa mission avec une prodigieuse puissance, mais qui n’est plus destinée à se produire de nouveau sur la scène du monde. Cette idée a établi le principe spirituel au sommet de la société ; elle a soumis tous les pouvoirs à une loi suprême, inviolable, à la loi des temps ; elle a conçu profondément les hiérarchies morales ; et, bien qu’elle ait comprimé la vie dans une enceinte trop bornée, elle l’avait pourtant soustraite à toute action extérieure et empreinte d’une merveilleuse profondeur. Chez nous, rien de tel. Le principe spirituel, toujours soumis au principe temporel, ne s’est jamais assis au faîte de la société ; la loi des temps, la tradition, n’a jamais régné chez nous exclusivement ; la vie n’a jamais été constituée chez nous d’une manière invariable ; enfin, de hiérarchies morales, nous n’en avons jamais eu de traces. Nous sommes tout simplement un pays du Nord, et par nos idées tout autant que par nos climats, fort loin de la vallée parfumée de Cachemire et des rives sacrées du Gange. Quelques-unes de nos provinces avoisinent les empires de l’Orient, il est vrai, mais nos centres ne sont point là, notre vie n’est point là et n’y seront jamais, à moins que l’axe du globe ne se déplace par je ne sais quelle révolution astrale, ou qu’un cataclysme nouveau ne jette encore une fois les organisations du Midi dans les glaces du pôle.

La vérité est que nous n’avons jamais encore considéré notre histoire du point de vue philosophique. Nul des grands événements de notre existence nationale n’a été bien caractérisé, nulle de nos grandes époques n’a été appréciée de bonne foi ; de là toutes ces imaginations bizarres, toutes ces utopies du passé, tous ces rêves d’un avenir impossible qui tourmentent aujourd’hui nos esprits patriotiques. Des savants allemands découvrirent nos annalistes, il y a de cela cinquante ans ; Karamzin raconta ensuite en style sonore les faits et gestes de nos princes ; de nos jours, des écrivains médiocres, de maladroits antiquaires, quelques poètes avortés, ne possédant ni la science des Allemands ni la plume de l’illustre historien, s’imaginent peindre ou restaurer des temps et des mœurs dont personne parmi nous n’a conservé ni la mémoire ni l’amour : tel est le sommaire de nos travaux sur l’histoire nationale. Il faut convenir que l’on ne saurait guère tirer de tout cela le pressentiment sérieux des destinées qui nous attendent. Or, c’est de cela précisément qu’il s’agit maintenant ; ce sont précisément ces résultats qui font de nos jours tout l’intérêt des études historiques. Ce que réclame la pensée sérieuse des temps où nous vivons, c’est une méditation sévère, une analyse sincère des moments où la vie s’est manifestée chez un peuple avec plus ou moins de profondeur, où son principe social s’est produit dans toute sa vérité, car là est l’avenir, là sont les éléments de son progrès possible. Si de telles époques sont rares dans votre histoire, si la vie chez vous ne fut point puissante et profonde, si la loi qui préside à vos destinées, loin d’être un principe radieux, nourri au grand jour des gloires nationales, n’est qu’une chose pâle et terne, se dérobant à la lumière du soleil dans les sphères souterraines de votre existence sociale, ne repoussez point la vérité, ne vous imaginez point avoir vécu de la vie des nations historiques, alors qu’ensevelis dans votre sépulcre immense vous ne viviez que de la vie des fossiles. Mais si vous arrivez par hasard à travers ce néant à un moment où la nation s’est tout de bon sentie vivre, où son cœur s’est vraiment mis à palpiter, si vous entendez le flot populaire retentir et monter autour de vous, oh ! alors arrêtez-vous, méditez, étudiez, vos peines ne seront point perdues : vous apprendrez ce que peut votre pays dans les grands jours, ce qu’il doit espérer dans l’avenir. Tel fut chez nous, par exemple, le moment qui termina le drame épouvantable de l’interrègne, où la nation, poussée à bout, honteuse d’elle-même, fit entendre enfin son sublime cri d’alarme, et, après avoir terrassé son ennemi par un effort spontané de toutes les puissances secrètes de son être, éleva sur le pavois la noble famille qui règne sur nous : moment unique et que l’on ne saurait se lasser d’admirer, surtout si l’on considère le vide des siècles précédents de notre histoire et la situation toute particulière où se trouvait le pays en ce jour mémorable. On voit que je suis fort loin d’exiger, comme on l’a prétendu, que l’on fasse main basse sur tous nos souvenirs.

J’ai dit seulement, et je le répète, qu’il est temps de jeter un coup d’œil lucide sur notre passé, et cela non pour en extraire de vieilles reliques tombées en pourriture, de vieilles idées que le temps a dévorées, de vieilles antipathies dont le bon sens de nos princes ainsi que celui du pays ont depuis longtemps fait justice, mais pour savoir à quoi nous en tenir sur nos antécédents. C’est là ce que j’avais tenté de faire dans un travail resté incomplet, et auquel l’article qui vient de soulever si étrangement les vanités nationales devait servir d’introduction. Sans doute il y avait de l’impatience dans l’expression, de l’excès dans la pensée ; mais l’émotion qui domine le morceau tout entier n’est rien moins qu’hostile à la patrie : c’est un sentiment profond de nos infirmités, exprimé avec douleur, avec tristesse, et rien de plus.

Plus qu’aucun de vous, croyez-moi, je chéris mon pays, je suis ambitieux de sa gloire, je sais apprécier les éminentes qualités de ma nation ; mais il est vrai aussi que le sentiment patriotique qui m’anime n’est point fait exactement de la même façon que celui dont les cris ont bouleversé mon existence tranquille, et ont de nouveau lancé sur l’océan des misères humaines ma barque échouée au pied de la croix. Je n’ai point appris à aimer mon pays les yeux fermés, le front courbé, la bouche close. Je trouve que l’on ne saurait être utile à son pays qu’à la condition d’y voir clair ; je crois que le temps des aveugles amours est passé, qu’aujourd’hui avant tout l’on doit à sa patrie la vérité. J’aime mon pays ainsi que Pierre le Grand m’a appris à l’aimer. Je n’ai point, je l’avoue, ce patriotisme béat, ce patriotisme paresseux, qui s’arrange pour voir tout en beau, qui s’endort sur ses illusions, et dont malheureusement beaucoup de nos bons esprits sont affligés de nos jours. Je pense que si nous sommes venus après les autres, c’est pour faire mieux que les autres, c’est pour ne pas tomber dans leurs fautes, dans leurs erreurs, dans leurs superstitions. Ce serait, à mon avis, étrangement méconnaître le rôle qui nous est échu, que de nous réduire à répéter maladroitement toute la longue série de folies commises par les nations moins favorisées que nous, à recommencer toutes les calamités subies par elles. Je trouve que c’est là une situation fortunée que la nôtre, pourvu que nous sachions l’apprécier ; que c’est là un beau privilège que celui de pouvoir contempler et juger le monde de toute la hauteur d’une pensée dégagée des passions effrénées, des pitoyables intérêts qui ailleurs troublent la vue de l’homme et faussent son jugement. Il y a plus : j’ai l’intime conviction que nous sommes appelés à résoudre la plupart des problèmes de l’ordre social, à achever la plupart des idées surgies dans les vieilles sociétés, à prononcer sur les plus graves questions qui préoccupent le genre humain. Je l’ai souvent dit, et j’aime à le répéter : nous sommes constitués en quelque sorte, par la nature même des choses, en véritable jury pour maints procès se plaidant par-devant les grands tribunaux de l’esprit humain et de la société humaine.

Voyez en effet ce qui se passe dans les pays que j’ai trop vantés peut-être, mais qui n’en sont pas moins les exemplaires les plus complets de toute espèce de civilisation. On l’a vu trop souvent : une idée nouvelle y vient-elle à éclore, à l’instant même tout ce qui s’y remue sur la surface de la société d’égoïsmes étroits, de vanités puériles, de partis obstinés, se jette dessus, s’en empare, la travestit, la dénature, et un moment après, broyée par ces agents divers, la voilà emportée dans ces régions abstraites où vont s’engloutir toutes les poussières stériles. Parmi nous, point de ces intérêts passionnés, de ces opinions toutes faites, de ces préjugés constitués ; nous arrivons, esprits vierges, en face de chaque idée nouvelle. Dans nos institutions, œuvres spontanées de nos princes ou faibles vestiges d’un ordre de choses labouré par leur toute-puissante charrue, dans nos mœurs, mélange bizarre d’une imitation maladroite et de lambeaux d’une existence sociale depuis longtemps épuisée, dans nos opinions, qui cherchent vainement encore à se fixer sur les moindres choses : rien ne s’oppose à la réalisation immédiate de tous les biens que la Providence destine à l’humanité. Il suffit qu’une volonté souveraine se prononce parmi nous pour que toutes les opinions s’effacent, pour que toutes les croyances fléchissent, pour que tous les esprits s’ouvrent à la pensée nouvelle qui leur est offerte. Je ne sais, peut-être eût-il mieux valu traverser toutes les épreuves parcourues par les autres peuples chrétiens, y puiser comme eux des puissances, des énergies, des méthodes nouvelles, et peut-être notre position isolée nous eût-elle préservés des calamités qui accompagnèrent la longue et laborieuse éducation de ces peuples ; mais ce qu’il y a de certain, c’est que ce n’est plus de cela qu’il s’agit maintenant, c’est qu’il ne faut songer désormais qu’à bien saisir le caractère actuel du pays, tel qu’il est donné, tel qu’il se trouve fait par la nature même des choses, et qu’à en tirer tout le parti imaginable. L’histoire n’est plus à nous, il est vrai, mais la science nous appartient ; nous ne saurions recommencer tout le travail de l’esprit humain, mais nous pouvons participer à ses travaux ultérieurs ; le passé n’est plus en notre pouvoir, mais l’avenir est à nous. On ne saurait en douter, une grande partie de l’univers est opprimée par ses traditions, par ses souvenirs : ne lui envions pas le cercle borné où elle se débat ; il est certain qu’il y a dans le cœur de la plupart des nations un sentiment profond de la vie accomplie qui domine la vie actuelle, un souvenir obstiné des jours révolus qui remplit les jours d’aujourd’hui. Laissons-les lutter avec leur passé inexorable.

Nous n’avons jamais vécu sous la pression fatale de la logique des temps ; jamais une force toute-puissante ne nous a précipités dans les abîmes que les siècles creusent devant les peuples. Jouissons de l’immense avantage de n’obéir qu’à la voix d’une raison éclairée, d’une volonté réfléchie. Sachons qu’il n’existe point pour nous de nécessité irrévocable ; que nous ne sommes point, grâce au Ciel, placés sur la pente rapide qui entraîne tant d’autres nations vers leurs destinées inconnues ; qu’il nous est donné de mesurer chaque pas que nous faisons, de raisonner chaque idée qui vient effleurer notre intelligence ; qu’il nous est permis d’aspirer à des prospérités plus vastes encore que celles que rêvent les plus ardents ministres du progrès ; et que pour arriver à ces résultats définitifs, il ne nous faut qu’un seul acte souverain de cette volonté suprême qui contient toutes les volontés de la nation, qui en exprime toutes les aspirations, qui plus d’une fois déjà lui a ouvert de nouvelles voies, a déployé devant ses yeux de nouveaux horizons, et fait descendre dans son intelligence de nouvelles lumières. Eh bien, est-ce là un avenir mesquin que j’offre à ma patrie ? Trouvez-vous par hasard que ce soient des destinées sans gloire que j’évoque en sa faveur ? Cependant, ce grand avenir qui se réalisera, ces belles destinées qui s’accompliront, n’en doutons pas, ils ne seront que le résultat de cette nature particulière du peuple russe, qui a été signalée pour la première fois dans le fatal article[1]. Toutefois, il me tarde de le dire, et je suis heureux de me trouver amené à faire cet aveu. Oui, il y avait de l’exagération dans cette espèce de réquisitoire lancé contre un grand peuple dont tout le tort n’était autre, au bout du compte, que d’avoir été relégué aux confins de toutes les civilisations du monde, loin des contrées où les lumières ont dû naturellement s’accumuler, loin des foyers d’où elles ont jailli pendant tant de siècles ; il y avait de l’exagération à ne pas reconnaître que nous sommes venus au monde sur un sol que les générations précédentes n’avaient point remué, n’avaient point fécondé, où rien ne nous parlait des âges écoulés, où il n’y avait nulle trace d’un monde nouveau ; il y avait de l’exagération à ne point faire sa part à cette Église si humble, si héroïque parfois, qui seule console du vide de nos annales, à qui revient l’honneur de chaque acte de courage, de chaque beau dévouement de nos pères, de chaque belle page de notre histoire ; enfin peut-être il y avait de l’exagération à s’attrister un moment sur le sort d’une nation qui a vu naître de ses flancs la puissante nature de Pierre le Grand, l’esprit universel de Lomonossof et le génie gracieux de Pouchkine.

Mais après cela il faut aussi convenir que les fantaisies de notre public sont admirables.

On se rappelle qu’un moment après la malencontreuse publication dont il s’agit ici, un drame nouveau fut joué sur notre scène. Eh bien, jamais nation ne fut fustigée de la sorte, jamais pays ne fut ainsi traîné dans la boue, jamais on ne jeta au visage d’un public tant d’ordures, et jamais pourtant succès ne fut plus complet. Serait-ce donc que l’esprit sérieux qui aura profondément médité sur son pays, sur l’histoire, sur le caractère du peuple, sera condamné au silence parce qu’il ne pourra pas faire entendre par la bouche d’un histrion le sentiment patriotique qui l’oppresse ! Qu’est-ce donc qui nous rend si complaisants envers la leçon cynique de la comédie, et si ombrageux envers la parole austère qui va au fond des choses ? Il faut bien le dire, c’est que nous n’avons guère encore que des instincts patriotiques ; c’est que nous sommes fort loin encore du patriotisme réfléchi des vieilles nations mûries aux travaux de l’intelligence, éclairées par la lumière, par les méditations de la science ; c’est que nous sommes encore à chérir notre pays à la manière de ces peuples adolescents que la pensée n’a pas encore tourmentés, qui sont encore à la recherche de l’idée qui leur appartient, du rôle qu’ils sont appelés à remplir sur la scène du monde ; c’est que nos puissances intellectuelles ne se sont guère exercées encore aux choses sérieuses ; c’est qu’en un mot le travail de l’esprit jusqu’à ce jour a été à peu près nul chez nous. Nous sommes arrivés avec une étonnante rapidité à un certain degré de civilisation qui fait à juste titre l’admiration de l’Europe. Notre puissance fait la terreur du monde, notre empire s’étend sur la cinquième partie du globe ; mais tout cela, il faut l’avouer, nous ne le devons qu’à la volonté énergique de nos princes, secondée par les conditions physiques du pays que nous habitons.

Façonnés, moulés, créés par nos souverains et par notre climat, ce n’est qu’à force de soumission que nous sommes devenus un grand peuple. Parcourez nos annales d’un bout à l’autre, vous y trouverez à chaque page l’action profonde du pouvoir, l’influence incessante du sol, et presque jamais celle de la volonté publique. Toutefois, il est vrai de dire aussi qu’en abdiquant sa puissance entre les mains de ses maîtres, en cédant à la nature de son pays, le peuple russe faisait preuve d’une haute sagesse, qu’il reconnaissait ainsi la loi suprême de ses destinées : singulier résultat de deux éléments d’ordre différent, qu’il ne saurait méconnaître sans fausser son être, sans comprimer le principe même de son progrès possible. Un coup d’œil rapide, jeté sur notre histoire du point de vue où nous nous sommes placés, va, je l’espère, nous montrer cette loi dans toute son évidence.

 

 

II

 

Il est un fait qui domine souverainement notre marche à travers les siècles, qui parcourt notre histoire tout entière, qui comprend en quelque sorte toute sa philosophie, qui se produit à toutes les époques de notre vie sociale et détermine leur caractère, qui est à la fois l’élément essentiel de notre grandeur politique et la véritable cause de notre impuissance intellectuelle : ce fait, c’est le fait géographique.

 

 

 

Ici s’arrête le manuscrit, et rien n’indique qu’il ait jamais été continué. — J. G.

 

 

 

 

 

 

 

 

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Texte établi par la Bibliothèque russe et slave ; déposé sur le site de la Bibliothèque le 25 avril 2019.

 

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Les textes ont été relus et corrigés avec la plus grande attention, en tenant compte de l’orthographe de l’époque. Il est toutefois possible que des erreurs ou coquilles nous aient échappé. N’hésitez pas à nous les signaler.



[1] Mais sait-on donc enfin ce que c’était que cet article ? C’était une lettre intime écrite à une femme depuis maintes années sous l’impression d’un sentiment douloureux, d’un immense désappointement que l’indiscrète vanité d’un journaliste livra au public : qui, lue et relue mille fois avant l’impression et cela dans l’original plus rude de beaucoup que la faible traduction dans laquelle elle parut, jamais ne provoque la mauvaise humeur de qui que soit, pas même des plus idolâtres patriotes ; dans laquelle enfin, au milieu de quelques pages d’une dévotion profonde, était encadrée une étude historique où la vieille thèse de la supériorité des pays de l’occident se trouvait reproduite avec une certaine chaleur ; avec exagération peut-être. Tel était cet écrit détestable, ce pamphlet incendiaire qui attira sur l’auteur l’ire publique, la plus étrange des persécutions. (Note de Tchaadaïev inconnue d’Ivan Gagarine et restituée dans les éditions du XXe siècle — N.d.É).