LA BIBLIOTHÈQUE RUSSE ET SLAVE

 LITTÉRATURE BULGARE

 

 

Zacharie Stoyanov

(Джендо Стоянов Джедев)

1850 – 1889

 

 

 

 

HRISTO BOTIOV : ESSAI BIOGRAPHIQUE
EN GUISE DE PRÉFACE

(Христо Ботйов. Опит за биография — Вместо предисловие)

 

 

 

1888

 

 

 

 

 

Traduction inédite de Mariana Chirova-Simmandree, 2021.

 


Hristo Botiov[1], notre héros, dont le nom sert également de titre au présent ouvrage, naquit et fut prédestiné, par les caprices des éléments, à être un grand homme, un meneur de foules, un chef et quelqu’un qui sût marquer son époque. Malheureux, il l’était, mais sa ville natale l’était à plus forte raison, le peuple dont il était le fils l’étant encore plus, ce qui était encore largement en deçà de la vacuité et de la sécheresse de l’époque qui était la sienne. S’il eût été Italien, il eût été sinon un Garibaldi ou un Mazzini, du moins leur bras droit. S’il eût été Français, contemporain de la Révolution de Juillet ou de Louis-Napoléon, alors la première barricade dans la ville de Paris eût porté le nom de Botiov. Voire même, sait-on jamais ?… Il serait peut-être devenu l’un des conseillers nocturnes aux Tuileries, l’un de ceux qui, la nuit du 1er au 2 décembre, obligeaient de leur revolver l’aventurier pusillanime à vaincre la peur et à persévérer dans le crime. Mais cette dernière hypothèse ne nous paraît guère crédible ; nous ne nous y référâmes que comme à une illustration commode et convenable de la nature fougueuse et impatiente, qui ne se déciderait à de telles actions, contraires à elle-même et à son esprit, qu’à défaut d’autres occupations.

Que l’on ne nous tienne pas rigueur de certaines approximations, car nous n’avons pas affaire à un homme qui aurait vécu une vie ordinaire, qui aurait été normal ne fût-ce qu’un jour, qui se serait fait une place dans la société, qui savait où il passerait la nuit et ce qu’il allait souper, et qui faisait preuve de prévoyance quant au cours de son existence, du moins pour quelques années. Nous édifions en jetant des fondations sur les mers déchaînées ; nous allons fonder notre récit uniquement sur les faits et les actes, lesquels sont le reflet le plus fidèle de l’âme et de la vie de tout un chacun. Par là, nous voulons dire qu’il existe selon nous une étape décisive — et une seule — dans la vie et dans la formation du caractère des hommes : si Hristo Botiov n’était pas né et n’avait pas grandi dans la ville pittoresque de Kalofer où le Balkan bulgare, véritable mémorial et  personnification de la volonté comme de la liberté, est le plus imposant, où, toutes proches, les sources divines de la Toundja endormaient et réveillaient notre héros de leur chant virginal et splendide, où la Vallée des Roses répandait généreusement ses parfums, où la lumière éblouissante du soleil du matin jaillissait entre les sommets voisins de la montagne de Sredna gora, plus modeste que le Maragidik, où régnait enfin sur ces beautés naturelles un féroce maître d’une autre religion, de mèche avec l’orgueilleux notable local — si Hristo Botiov n’y était pas né, disons-nous, il eût pu devenir un tout autre homme, lui qui partit tout jeune et fragile pour Odessa. Cette époque encore indéterminée et équivoque en ce qui concerne les rapports entre les grands frères et les frères minuscules était propice à la réussite. Si même des gens dotés de qualités et d’aptitudes assez modestes parvenaient à décrocher en Russie des grades militaires élevés ; si, par leurs millions et par leurs demeures imposantes, les compatriotes de notre héros faisaient envie à l’aristocratie russe, alors Hristo Botiov, doué comme il l’était, aurait facilement pu sacrifier sur l’autel du négoce.

À l’époque, la communauté bulgare d’Odessa avait pour leaders les riches commerçants installés dans cette ville, comme Tochkovic et certains originaires de Kalofer ; ceux-ci n’avaient aucune raison de ne pas soutenir Botiov, lequel vivait sous leur contrôle et presque sous leur toit avec plusieurs jeunes dans la même situation. Bien au contraire, ils essayèrent de garder auprès d’eux le fils du professeur Botio, dont ils ne pouvaient ignorer les talents assortis d’un esprit éveillé. Enfin, si Botiov n’avait pas embrassé la carrière de riche commerçant ou celle de militaire haut gradé, du moins aurait-il pu profiter de son séjour à Odessa pour devenir un simple licencié en droit, un diplômé en philologie et en histoire ou bien dans une autre discipline, comme le firent nombre de ses contemporains du même âge avant de retourner au pays. Mettons-le enfin sur le même plan que Liouben Karavelov[2] et disons qu’en menant une vie modeste, il aurait pu passer en Russie dix ans et plus; il aurait pu se rendre à l’université de temps à autre, juste pour la forme, lire et se faire une idée de tout ce qui était alors écrit et créé dans la culture russe, se frayer un chemin jusqu’à la rédaction de quelques périodiques russes ; avec la persévérance méthodique et la placidité mortelle d’un homme de lettres, s’atteler à la préparation d’un recueil de folklore bulgare — chants traditionnels, devinettes, proverbes, contes populaires, etc. — qui lui eût permis de faire connaître au monde slave cultivé sa patrie encore obscure et soumise ; se mettre à écrire ses propres récits et nouvelles au contenu strictement militant, en ce sens que cette nation se doit d’être libérée ; enfin, venir s’installer plus près des bords de sa terre paternelle, pour s’y consacrer à une lutte systématique et permanente qui était possible alors et qui, d’après les critères de l’époque, passait pour utile. Et chacun doit reconnaître que Hristo Botiov était en mesure de faire tout cela : d’être à la fois homme de lettres, poète, agitateur, révolutionnaire, publiciste et journaliste.

Il n’en fit rien. Botiov prit le chemin vers lequel le poussait sa nature fougueuse. À un moment donné, au début de son séjour à Odessa, il ne put rester indifférent au nouveau monde jusque-là inconnu qui se dévoilait à son âme sensible. Les grands chevaux russes dont, enfant, il avait tant entendu parler dans la petite ville de Kalofer, les fiers généraux que tout le monde montrait du doigt avec respect ; il se laissa émerveiller par la splendeur de l’uniforme et séduire par les belles perspectives qu’il semblait offrir ; tout ceci lui fit oublier pour un temps les montagnes majestueuses qui furent ses amies d’enfance, les ateliers bruyants des fabricants de ganse installés le long de la rivière de Toundja, la maison du professeur son père, les ondulations de la ronde sur la place publique, bref, la vie typiquement bulgare. Ce fut à cette époque-là qu’un autre étudiant à Odessa nommé Stefan Zografski, rendant visite à Botiov, à plusieurs reprises trouva notre héros dans une posture plutôt bizarre : tout seul dans sa chambre, il avait attaché un oreiller à son ventre pour paraître un homme grand et gonflé comme l’est par définition tout général, il avait la tête haute et les mains sur les hanches, en un mot, on voyait là un dictateur et un véritable chef d’armée en pleine revue des troupes. Se donnant des airs orgueilleux, il arpentait la pièce, battait du pied, commandait et distribuait les ordres à ses subalternes que devaient être les murs nus, les rares membres du mobilier d’occasion et le vent. Une fois, Zografski surprit le jeune Hristo, toujours son oreiller au ventre, dans un tel état d’exaltation que ce dernier ne se rendit même pas compte de la présence de son visiteur et resta complètement sourd aux questions que l’autre lui posait.

Cette « maladie »  du général nous paraîtra toute naturelle et compréhensible du moment que nous avons une certaine connaissance de l’époque où elle infecta l’âme de Botiov, c.-à-d. de 1862 à 1864. Évidemment, il vivait dans son imagination des moments de triomphe et de gloire. Il devait se représenter le sentiment de fierté que ses parents, ses concitoyens et lui-même éprouveraient s’il faisait son apparition à Kalofer, à l’entrée de l’église ou dans sa cour, ou encore à la ronde sur la place ; bien entendu, il serait muni d’un sabre, d’épaulettes, d’un chapeau rouge à plumes etc. ; il se tiendrait droit sur le dos d’une jument blanche, à la tête de ses hommes qui ne le quitteraient pas des yeux en attendant ses ordres ; et il commanderait, il poursuivrait les oppresseurs et leur livrerait maintes batailles sans oublier de faire le bien ni de voler au secours des siens ! Ce genre d’idées et de désirs, voyez-vous, étaient alors en vogue, et il eût été impossible qu’ils laissassent indifférente l’âme sensible du jeune Hristo. Les gens de ma génération ont souvent vu ce qui se passait à l’époque, lorsqu’un étudiant à l’étranger retournait dans sa ville ou dans son village natal ; peu importait l’établissement où il avait fait des études, ça pouvait être l’École de médecine et de pharmaceutique à Bucarest, l’École supérieure de médecine à Istanbul, l’École de commerce à Vienne, ou tout simplement un pensionnat où l’on distribuait aux internes quelque chose qui, grâce à quelques boutons jaunes et à un galon doré sur la casquette, ressemblait assez fort à un uniforme. Cet Ulysse fortuné devenait aussitôt le héros du jour et la cible de tous les regards pleins de jalousie, sans distinction d’âge et de sexe. Et si par hasard il portait une veste avec plusieurs galons à la manche droite, comme celles des étudiants qui rentraient d’Istanbul ou de Bucarest, alors le général Boulanger en personne devrait s’incliner devant une telle grandeur. Qui pourrait rivaliser avec lui ? Même le sous-préfet turc, en compagnie de ses subordonnés, considérait que, pour une raison mystérieuse, il était de son devoir d’inviter l’illustre homme à prendre un café à ses côtés. Une fois, dans mon village de Kotel, j’ai été témoin du retour d’un garçon qui avait fait des études à l’École de médecine de Bucarest, chapeau rouge et galons à l’appui. Après la messe, tous les habitants, les plus riches comme les plus pauvres, avec l’ensemble du clergé local se sont arrêtés dans la cour de l’église pour saluer ce personnage qui faisait l’honneur du village entier. Un autre exemple, Kablechkov, devenu plus tard l’un des protagonistes de l’insurrection d’avril 1876 : j’ai entendu dire que sur le chemin de retour d’Istanbul où il étudiait à Koprivchtitsa chez sa famille, il ne manquait pas de faire un crochet par les thermes du Hissar ; là, pendant quelques jours, il s’en donnait à cœur joie en provoquant et en se bagarrant avec les crâneurs turcs qui, on le sait, ne sortaient pas des bains publics durant tout l’été ; ils dormaient, mangeaient et buvaient dedans. Comment un Bulgare aurait-il pu y entrer ? À peine un malheureux ouvrait discrètement la porte que les maîtres des lieux l’attrapaient par les bras et les jambes et le balançaient, les vêtements sur le dos et la tête en bas, dans le bassin. Pendant que la victime se démenait pour reprendre son souffle et appeler à l’aide, les Turcs frappaient dans leurs mains et riaient à gorge déployée. Avec sa veste courte et son chapeau à gland, Kablechkov faisait fuir ces faux durs parce que ceux-ci craignaient et respectaient tout homme qui portait de tels signes de dignité ! Ah, pauvres Turcs, comme ils étaient niais ! Ces gasconnades quelque peu enfantines avaient alors un sens, voire une utilité, car elles éveillaient en nos compatriotes un certain sentiment de fierté, elles leur donnaient une idée positive du monde extérieur, elles leur suggéraient que des temps nouveaux étaient venus, des temps où les Bulgares aussi porteraient un sabre à leur ceinture.

Telle était l’époque où Hristo Botiov, l’oreiller au ventre, jouait les généraux. Nous dirons plus loin ce qui l’empêcha d’endosser l’uniforme pour de vrai. Pour l’instant, nous nous contenterons de rappeler le fait qu’il était né à Kalofer, au pied du Balkan dans toute sa majesté. Nous partageons l’opinion selon laquelle le Balkan, du moins dans le passé épique de la Bulgarie, était le lieu magique où vivait l’esprit de liberté, où l’idée que le pays avait jadis connu des temps glorieux et mémorables triomphait de l’oubli, où l’héroïsme, l’insoumission et la résistance étaient légendaires. L’aspect même de la montagne avec ses hêtres à l’écorce crayeuse, ses sources fraîches et ses ombres épaisses, avec ses coins inaccessibles où régnaient l’humidité et l’obscurité, avec ses grottes cachées et ses sommets gigantesques, enfin, avec ses flancs vierges et inviolables où les Turcs n’osaient pas s’aventurer — voilà ce qui donnait de l’espoir aux habitants des alentours, c’est là qu’ils trouvaient refuge en cas de danger imminent. Nous pouvons prouver ce que nous avançons. Prenons d’abord les anciens chefs de haïdouks, dont les noms nous sont parvenus à travers les siècles. Où étaient-ils nés ? Dans les villes sur le Danube peut-être, à Roustchouk[3] la monotone, à Vidin, Svichtov ou Silistra ? Ou bien dans la plaine, à Tatar Pazardjik ou à Plovdiv ? Ou encore dans la ville plate de Tchirpan, et si on passait dans le nord-est de la Bulgarie, à Razgrad, ouverte de plain-pied sur la grande vallée danubienne, ou à Choumen, tapie entre les collines dénudées ? Non, ils étaient tous nés dans les petits villes et villages qui se succèdent, telles les perles d’un collier, d’un bout à l’autre de la chaîne du Balkan, en contrebas : Kotel, Sliven, Chipka, Kalofer, Karlovo, Koprivchtitsa, et ainsi de suite. Les anciens chefs comme Kara Tanas, Altan Stoïan, le Kalatchlia, Kara Kolyo, Dontcho le Vatakh, Panaïot Hitov, Hadji Dimitar, Stefan Karadja et beaucoup d’autres précurseurs de l’Éveil national étanchaient leur soif d’eau de montagne parfumée à la feuille d’hêtre, et non de l’eau malodorante d’un quelconque puits ou d’un marais. De même, le Balkan vivifiant est le berceau des figures de proue du mouvement indépendantiste : Rakovski, Levski, Liouben Karavelov, Benkovski, Kablechkov et, enfin, notre héros.

Une autre circonstance jouait en faveur des villes et villages susdits, leur permettant de résister à l’assoupissement qu’entraîne une longue soumission et par là, de donner naissance à un nombre considérable de haïdouks et de défenseurs de la cause bulgare. Ces villes et villages étaient retirés, à l’écart des communications, comme le sont aujourd’hui encore Koprivchtitsa et Kotel par exemple ; mais le plus important, c’est qu’ils étaient des communes purement bulgares jouissant d’un statut particulier et dotées d’un conseil municipal ; elles avaient des églises, des écoles et des notables aisés et influents que l’on ne pouvait guère voir ailleurs. À l’exception de Karlovo, elles ne comptaient parmi leurs habitants ni Turcs ni Grecs ni autres éléments oppresseurs et démoralisants. De plus, elles voisinaient avec le Balkan, imposant et plein de poésie, et nous avons déjà dit qu’il était considéré comme une sorte d’Éden purement bulgare. Des vieillards originaires du village de Chipka témoignent n’avoir jamais vu, ni eux ni leurs aïeuls, un Turc souiller la montagne, mais que tous les ans elle abritait des Bulgares rebelles. Les bandits turcs contrôlaient les routes des plaines, les forêts et les taillis aux abords des villages ; la journée ils vaquaient à leurs tâches, la nuit ils retournaient à leur point de rassemblement.

Quand ils pleuraient le sort de leur patrie et se souvenaient des beautés de leurs villes natales Koprivchtitsa et Kalofer, tous les trois — Rakovski, Liouben Karavelov et Botiov — évoquaient d’abord les montagnes, les rivières et le reste du splendide paysage balkanique où ils avaient vu le jour et eu leurs premières impressions. Lorsque Karavelov se mettait à parler de Koprivchtitsa, ou lorsque Rakovski décrivait successivement la fameuse source près de Kotel, les berges sombres et humides de Razboïna et la grotte de Nirets, ce n’était pas de l’encre qui coulait de leur plume, mais des larmes… « C’était la ville de Kalofer, dit Botiov lui-même dans son article Exemples de justice turque publié dans le premier numéro du journal Douma[4]. De tristes souvenirs se sont emparés de moi dès que, depuis le sommet de la colline, j’ai vu les belles maisons et églises, et les eaux limpides de la Toundja serpentant entre elles. C’est ici, me suis-je dit, qu’est ma bien-aimée, c’est ici que je retrouverai mes frères haïdouks : les cinq ou six mois passés en leur compagnie restent à ce jour l’apothéose de ma vie, lorsque j’ai découvert l’âme même de Kalofer, cette « ville d’or » qui a fait naître en moi un amour ardent mort très tôt, et une haine profonde qui ne me quittera plus jusqu’à la tombe… C’est à Kalofer que j’ai connu le riche notable et le paysan pauvre, le maître turc et le peuple bulgare… » Mais voyons, qu’auraient donc décrit tous ces gens, par quel lien résistant à la force centrifuge de l’imagination aurait-t-il tenu leur âme si, enfants, ils avaient connu les eaux boueuses du Danube, le pittoresque bigarré de Varna ou l’uniformité ennuyeuse de Pleven ? Quand Hadji Dimitar s’apprêtait à passer en Bulgarie depuis la Roumanie, avant même d’approcher la frontière, il ne parlait que de sa chère Aglikina poliana près de la ville de Sliven. C’est à cette clairière, ordonnait-il à ses frères d’armes, que devrait se rendre celui qui s’égarerait et perdrait les autres, c’est là que la compagnie déciderait que faire par la suite.

Ainsi, parmi les raisons pour lesquelles Botiov n’embrassa ni la carrière militaire ni une quelconque profession à peu près déterminée — des raisons que nous allons exposer en temps utile — il y a donc ceci : son âme poétique était profondément imprégnée de souvenirs et d’images du Balkan enchanteur aux environs de sa ville natale. Il vivait de ces paysages, il trouvait en eux un réconfort et une source d’exaltation aux moments difficiles des jours sans pain, enfin, c’est là qu’il alla mourir. D’aucuns diront : n’y a-t-il que Botiov qui soit né au pied du Balkan, qui ait goûté l’eau de la Toundja et qui se soit endormi au bruit de son courant rapide ? Non, c’est vrai, mais il ne s’agit pas ici des êtres mortels communs qui sont légion sur terre, qui naissent, vivent et meurent comme tous les animaux avec cette différence qu’ils sont doués de parole ; et où qu’ils naissent, où qu’ils vivent, que ce soit dans la montagne ou dans les marécages, ces êtres-là restent sourds et aveugles au vaste royaume qui les entoure, préoccupés qu’ils sont de pourvoir à leur subsistance et à la myriade de petits besoins que celle-ci implique, ce qui est aussi propre à tous les animaux. Ici, il s’agit de Hristo Botiov : le poète, l’impétueux génie sans pareil non seulement à Kalofer, mais aussi dans toute la Bulgarie. Le même qui, pauvre comme Job, sans feu ni lieu, s’écria du fond des tavernes nauséabondes de l’exil :

 

Mon cœur est lourd ! Versez du vin !

Que je m’enivre, que j’oublie :

Est-ce la gloire ou l’infamie ?

Qu’en savez-vous donc, imbéciles ?[5]

 

Au nombre de ces imbéciles sont tous les bienheureux d’ici-bas : les riches et honorables propriétaires terriens, les gros commerçants, les évêques fastueux, les rois et les princes. Botiov qui n’avait qu’une veste usée jusqu’à la corde et ne mangeait qu’un jour sur deux, se considérait comme comblé, intelligent et heureux ! Il s’accordait ce privilège car, en œuvrant pour la cause de ses frères pauvres et relégués, en pensant jour et nuit à la libération de sa patrie asservie, en connaissant d’une manière dont seuls les poètes ont le secret les beautés naturelles de sa terre natale avec ses montagnes, rivières, champs et vallées, et avec les esclaves qui la peuplaient, en se rapportant enfin au milieu étranger et indifférent autour de lui, il se sentait profondément satisfait, il pensait être un grand homme. Et il avait raison. Ce que le simple mortel, tout au long de sa vie, touche et voit comme un objet inerte sans finalité aucune est pour une nature extraordinaire et poétique la vie même, un motif de lutte continuelle et une source d’énergie inépuisable. Arrêtons donc une fois pour toutes de mesurer les personnes comme Hristo Botiov à l’aune des simples mortels.

Ainsi, il naquit en Bulgarie asservie dans une famille d’esclaves. Quelle position dans cette société-là aurait-elle pu convenir à sa nature hors du commun ? Celle du professeur, pour enseigner aux enfants l’alphabet et la grammaire, et peut-être pour chanter à l’église le dimanche ? Quand le lecteur aura pris connaissance de la vie de Botiov, il jugera par lui-même si le bouc donne du lait. Le père étant professeur, le fils sensible avait maintes occasions de voir et de comprendre ce que signifiait alors ce métier : dépendre du conseil municipal, être convoqué à la mairie chaque fois qu’un conseiller en avait envie, devoir satisfaire aux caprices de quelques notables chantres de psaumes. Et puis, s’enfermer dans un milieu aussi limité — professeur ? — eût été pour Hristo Botiov un acte suicidaire. Ou bien devenir commerçant pour tenir un livre de comptes comportant deux rubriques seulement : recettes et dépenses ? Est-ce que ça vaut la peine d’en parler ? Ou, à l’instar d’un Liouben Karavelov, devenir homme de lettres pour s’enfermer modestement dans un cabinet plein de livres et de manuscrits ? Un tel choix demandait de la patience, de la persévérance, un mode de vie sain et un travail technique ; des choses qui, très certainement, répugnaient à notre héros. Quant à la carrière militaire dont il s’engoua pour un temps, elle l’eût conduit droit dans le piège car dès le premier jour de son engagement, il eût été envoyé au mitard. Devenir officier de l’armée russe, endosser l’uniforme et accepter les lourdes responsabilités qu’il impose en Russie, se faire claustrer dans les casernes, prêter serment au tsar, etc., etc. Et la Bulgarie ? Et la ville de Kalofer avec ses montagnes ? Comment pourrait-on les oublier, comment pourrait-on fondre ces pensées dans la vie de régiment quand l’une est poudre, et l’autre feu ?

Pour Botiov, la vie en Bulgarie était impossible, la paix ailleurs inconcevable. Il voyait tout en noir, tout devait être détruit et annihilé. Sa situation rappelait celle d’un homme qui se trouve soudain dans un pays où, faute de langue commune, il ne comprend pas les habitants et eux ne le comprennent pas, où on considère le soleil comme un fléau, où tout se fait à l’encontre de la nature humaine. Botiov décida de prendre le chemin que lui montraient son cœur et son âme. Il alla se joindre à ceux que le peuple entier ou presque tenait pour la racaille de la société bulgare, prêt à partager leurs joies et leurs peines. C’est eux qu’il jugea fiables ; il était persuadé que c’est avec eux qu’il pourrait œuvrer pour la cause nationale, que c’est eux qui comprendraient le mieux ses idéaux. Ces gens-là étaient, pour une raison ou une autre, tous mécontents de l’ordre établi et des idées dominantes en Bulgarie, et c’est cette attitude qui importait à notre héros : l’insatisfaction, la contestation souvent spontanée, le renoncement à la vie tranquille et aisée, le choix de vivre du jour au jour, la tendance à détruire par haine et désir de vengeance. Ces gens-là étaient les haïdouks, les exilés sans feu ni lieu et les crève-la-faim qui dormaient çà et là dans les coins et s’entassaient dans les tavernes les plus sordides. Botiov les admirait, il s’enthousiasmait pour eux, surtout pour les haïdouks, ces oiseaux légendaires du Balkan, à qui il vouait un véritable culte. Aussi se mit-il en tête de devenir lui-même haïdouk, et le voilà annonçant poétiquement cette décision à sa mère :

 

    Ô ma mère, ne pleure pas!
Oui, ton fils est un haïdouk,
Un haïdouk, un insurgé!
Malheureuse, je t’ai laissée
T’endeuiller de ton premier-né.
Ne pleure pas, mère, maudis
La persécution des Turcs
Qui nous a chassés, nous les jeunes,
Vers la triste terre étrangère
Où nous errons sans feu ni lieu,
Privés d’amour, privés de tout.[6]

 

Ce que Botev fit en 1870, Liouben Karavelov, homme de lettres beaucoup plus paisible, l’avait déjà fait entre 1862 et 1865, lors de ses études à Moscou. Ses nouvelles et récits, et plus tard ses poèmes, n’étaient rien d’autre qu’une idéalisation des chefs rebelles et des haïdouks de l’époque. Quant au défunt Rakovski, il était corps et âme haïdouk. Par amour pour ces fauteurs de troubles dans l’État turc, ce dernier était allé passer un été dans leur royaume, le Balkan du côté de Kotel ; là, il leur rédigeait, comme s’ils étaient ses disciples, des textes de lois, de serments et de prières. Plusieurs diront que c’était là une aventure et un compromis particulièrement fâcheux. En effet ; mais du point de vue d’un gouvernement, l’œuvre, l’entreprise même n’était au fond qu’une aventure. S’exiler en terre étrangère pour entamer une lutte contre un vieil empire, perturber la vie de millions d’êtres humains sans leur en avoir demandé l’autorisation et, pour reprendre ici le mot des conservateurs, s’associer avec quelques gueux dans ce but : n’est-ce pas une aventure ? Le caractère spécifique de l’époque, des circonstances et de l’œuvre appelait des hommes spécifiques. Où celui qui levait l’étendard sanglant du feu et de la destruction devait-il chercher des alliés afin de pouvoir réaliser ses grandes idées, fruits d’une grande passion ? Parmi les artisans ? Parmi les petits commerçants de bon sens, ou parmi les faiseurs de profits sur deux continents ? Évidemment non, mais parmi ceux dont nous avons parlé plus haut. À cette époque-là, les plus grands idéalistes en Bulgarie étaient justement les haïdouks et les exilés déshérités. Ils étaient les premiers à protester contre la mainmise du pouvoir étranger sur leur patrie ; ayant la tête chaude et l’humeur extrême, ils avaient conçu avant tous l’idée de venir à bout du maître asiatique par leurs propres moyens. Pour les jeunes révolutionnaires qui publiaient dans les pages des journaux Svoboda[7], Nezavissimost[8] et Zname[9], les vieux chefs de haïdouks du Balkan étaient de véritables patriarches. Ceux-ci racontaient volontiers des histoires où les festins autour d’un méchoui à la montagne suivaient les attaques éclairs qui auraient fait fuir les capitaines de l’armée turque comme le rapace fait fuir le menu gibier ; c’est dans ces récits que Rakovski, Karavelov et enfin Botiov puisaient de la force morale, du courage et de l’espoir. Les vieux chefs étaient les aigles qui leur apportaient tous les ans de l’air frais des sommets du Balkan promis et sacré en leur redonnant, même en terre étrangère, des forces et des espérances d’un avenir plein de grandeur.

Nous pouvons aussi éclaircir ce point par quelques comparaisons judicieuses. En temps normal, sous un gouvernement entièrement issu de la volonté du peuple, respectueux de la liberté et fondé sur des lois, un agitateur avide de poste ministériel qui se propose, sans aucune raison valable, de faire tomber le pouvoir en place, rassemble autour de lui une bande d’ivrognes des plus déchus, puis il tient devant eux un discours véhément dont le sens se réduit à ceci : réussir, c’est pousser le mensonge à outrance. Allons donc, comment devait alors procéder un pauvre émigré à l’étranger, qui se proposait de faire tomber un empire, de rompre des chaînes et de libérer un peuple de la tyrannie ? Je crois que c’est assez clair. Tout autres eussent été les moyens, les hommes et pour ainsi dire le matériau, si le temps avait appelé Botiov et ses compagnons de lutte non pas à détruire, mais à édifier. Imaginez par exemple qu’après la libération de la Bulgarie, Botiov eût toujours été en vie et qu’il se soit vu confier la tâche de former, bon gré mal gré, un cabinet pour mettre en place le nouveau gouvernement de l’État. Tout le monde sera d’accord : à ce stade hypothétique de son activité politique, il ne se serait pas derechef tourné vers ses haïdouks et exilés préférés qui, ayant déjà apporté leur contribution à la cause, n’avaient plus aucun rôle à jouer.

Nous nous rappelons ici les vociférations que poussent aujourd’hui les blancs-becs sortis du moule soi-disant nouveau ; l’écume aux lèvres, ils s’acharnent à montrer qu’il n’y aurait, dans les rangs des partis bulgares existant depuis la Libération, pas un seul homme dans la lignée politique de Karavelov et Botiov, pas un seul qui tienne leur étendard à la main et leurs idéaux de révolution et de destruction à cœur. Cet état des choses serait fort regrettable selon eux, les modernes ; et tandis qu’ils s’en plaignent, nous les plaignons davantage en les regardant se fatiguer pour rien. Karavelov et Botiov étaient des révolutionnaires opposés à l’État turc. Mais qui porterait la main sur la principauté de Bulgarie fraîchement instituée et sur son gouvernement populaire ? — Les crétins et les pourris !

Au cours de notre travail sur le présent essai, nous nous sommes référé aux sources suivantes :

Premièrement, les journaux Douma, Boudilnik[10] et Zname dont Botiov fut le rédacteur en chef, ainsi que ses poèmes et le reste de ses œuvres littéraires. Quoi qu’il eût écrit, quel que fût son mode d’expression, il mit toute son âme dans chaque mot, dans chaque sanglot, dans chaque éclat de rire. Les futurs biographes et historiens pour qui l’époque où il vécut sera définitivement révolue pourront, à la lecture d’un seul de ses poèmes, déterminer aussi bien le caractère de l’auteur que les trais spécifiques de son temps.

Deuxièmement, ses propres récits transmis par ses nombreux amis. C’est à eux qu’il racontait tout son passé et ses mésaventures. Les amis en question connaissaient non seulement sa vie, mais aussi celle d’autres personnages parmi ses proches, surtout de gens originaires de Kalofer. Notre héros avait l’habitude, et même la passion, d’être le seul à parler chaque fois qu’il se trouvait en cercle amical. Ses camarades devaient bientôt reconnaître que ce droit lui revenait naturellement car dès qu’il prenait la parole pour raconter, l’assistance se taisait et écoutait comme sous l’effet d’un enchantement. Botiov avait le don de rendre captivant tout sujet, même le plus trivial. L’hiver passé dans le moulin abandonné près de Bucarest, les brèves périodes d’enseignement à Kalofer, Zadounaïka et Ismaïl, les aventures à Brǎila et à Galati, etc. : autant de moments de sa vie que plusieurs connaissaient dans le moindre détail.

Troisièmement, la correspondance entretenue par le Comité révolutionnaire central entre 1874 et 1876, c.-à-d. pendant les années d’activité de Botiov. Grâce à D. Gorov, décédé depuis, grâce aussi à D. Hr. Popov, I. Drassov, R. Raïkovic, N. Obretenov et autres, nous avons en notre possession les originaux de ces documents. Les lettres écrites par Botiov lui-même — à peu près une quinzaine — nous ont été particulièrement utiles. Sa correspondance, comme sa poésie, nous fait connaître la personnalité de l’auteur, l’époque où il vécut et les idéaux auxquels il aspira. Ces lettres-là sont loin d’être ordinaires ou remplies de phrases creuses mais à effet. Un cœur y bat, une grande âme s’y dévoile.

Quatrièmement, pour établir la suite des événements et, par là, un ordre chronologique dans le passé de notre héros, nous nous sommes surtout servi des mémoires (non publiés) de Mr. K. Toulechkov, un ami de Botiov, qui partagea avec ce dernier maintes épreuves. Nous en avons comblé les lacunes à l’aide des témoignages des parents, des frères, de l’épouse et des autres membres de la famille.

En décrivant Botiov le poète et Botiov le chef rebelle, nous avons prêté une attention particulière à l’expédition qu’il entreprit avec ses 185 compagnons d’armes, traversant les frontières de l’Empire ottoman pour accomplir en Bulgarie son œuvre sacrée. Cette marche à la mort est à notre avis sa propriété exclusive. Quiconque en décrit le déroulement, doit également décrire la personnalité de Botiov, et vice versa. D’autant plus que jusqu’à présent, nul n’a fait ni l’un ni l’autre. En nous en chargeant, nous avons recueilli les propos de plus d’une dizaine de ses camarades; enfin, nous avons visité la région qui l’a vu combattre et mourir.

Il nous a semblé pertinent de joindre à la biographie de Botiov l’ensemble de ses œuvres littéraires, qui sont si rares que nous avons eu beaucoup de peine à nous les procurer et à les réunir ici. Nous n’avons opté pour ce format économique qu’en raison de leur nombre très limité lequel ne saurait justifier une édition à part entière ; même si c’était le cas, le recueil tiendrait plus d’une simple brochure que d’un livre, avec tous les risques de déchirement et de perte de pages ; alors que jointes à la biographie, ces œuvres seront préservées à jamais. L’annexe comporte aussi quelques articles qui furent publiés dans les journaux Douma et Zname ; au point de vue de leur contenu, ces articles ne sont plus d’actualité, mais en tant que textes écrits par Botiov, aujourd’hui encore ils révèlent la force de sa plume et présentent un intérêt certain pour le lecteur. En outre, ils font partie de ces éléments qui mettent en lumière le caractère et les convictions politiques du poète-chef rebelle.

En nous acquittant de notre tâche difficile sinon de biographe, du moins de simple collecteur de faits et documents, par crainte de nous voir accuser de partialité, et peut-être de mauvaise foi, nous n’avons pas passé sous silence certains actes de Botiov, que les moralistes et les petits commerçants de bon sens auront le droit de blâmer. Il est question des atteintes à la propriété d’autrui. Nous les rapportons ici avec la ferme conviction que la personne comme les faits et gestes de Botev ont rajouté au livre des vraies vertus des pages si sublimes et inaccessibles pour le reste des humains que le poids de ces actes s’en trouve naturellement annulé, tant en ce qui concerne leur auteur qu’en ce qui concerne la fin et l’époque. Nous les rapportons ici parce que sans eux, le lecteur ne pourrait pas se faire une idée complète de la vie et des aspirations de notre héros. C’est ainsi selon nous, et les gens neutres seront de notre avis ; quant à ceux-là qui ont une âme de tartufe, même si Botiov n’avait fait rien d’autre que dire des prières, s’agissant précisément de lui — un homme qui a écrit des poèmes comme La Lutte et Ma Prière —, de toute façon ils l’auraient vu d’un mauvais œil. Mais nous n’écrivons pas à l’intention des tartufes.

Nous devons prévenir nos lecteurs trop enthousiastes de s’abstenir de suivre l’exemple de Botiov soit dans la pratique du cambriolage, soit dans la haine de tout ce qui annonce le contentement et la satiété, soit dans l’abandon à répétition des études et dans son mode de vie extravagant. Qu’on ne dise pas : il n’a pas terminé l’école, il dédaignait tout, et pourtant il est devenu poète, chef et grand homme. Ce serait un jeu des plus dangereux. Ne nous mesurons pas à lui : il est du nombre des gens extraordinaires que la Bulgarie voit rarement naître. Si, en tant qu’homme ordinaire, certaines qualités lui faisaient défaut, il en était compensé de talent et de dons par une nature d’habitude extrêmement avare de ce genre d’avantages. Les hommes comme Botiov, avec des idéaux et des sentiments comme les siens, ne comparaissent pas devant le même tribunal que le commun des mortels. Leurs juges sont l’Histoire et la postérité. Il n’y a pas de comparaison possible entre notre temps et l’époque à laquelle Botiov vécut et agit ; alors, il était à lui seul roi, loi, volonté générale, prêt et budget, bref, tout. Cinq millions d’êtres humains appelés rayas bulgares, muets et enchaînés, traînaient une vie de bétail. La conscience de leurs souffrances dans les fers d’esclave d’une part et, de l’autre, la pensée de leur avenir mettaient la grande âme de notre héros dans un état proche de la folie. Pour ne pas prendre d’embonpoint, pour ne pas avoir d’argent ou quelques autres richesses à sa disposition, c.-à-d. pour éviter tout sentiment de satisfaction que procure une bonne situation, il dormait avec les chiens dans les moulins abandonnés ; pendant plusieurs jours, il restait sans manger ; il aidait les déshérités sans s’aider lui-même. Il cherchait un moyen si terrible et radical qu’il pût anéantir tous les tyrans qui faisaient souffrir les peuples, et spécialement celui qui opprimait le sien. Se comparer à de tels hommes est ridicule, et les blâmer est honteux, parce que, voyez-vous, au nom de leur grande fin et pour le bien des millions, un jour ils auraient pris la moitié à quelqu’un qui avait mille pièces dans la poche, ne lui laissant que l’autre moitié.

Enfin, nous avons rempli la fonction d’un simple narrateur de faits et d’événements. Voici le plan et le but du présent livre ; nous invitons les futures critiques à limiter leur tir à cette seule cible. Dans l’exposition des faits, le rapport des événements et la description de l’époque, nous nous sommes efforcé de garder un maximum de véracité, d’impartialité et de bonne foi. Le reste ne dépend pas de nous. De même, nous n’avons aucune prétention de nous prononcer, en bon critique de l’histoire, sur la valeur des faits exposés. Si, lors d’une caractérisation par exemple, des impressions et des raisonnements personnels se sont glissés çà et là dans notre récit, cela s’est produit de façon involontaire ; à aucun moment nous n’avons pensé à nous ériger en juge. Il est possible que sous l’influence de divers événements passés et récents, nous nous trompions sur plusieurs points, mais nos erreurs ne peuvent nullement décider de la voix toute-puissante de l’Histoire. Notre voix à nous autres contemporains est trop faible pour avoir un tel effet. C’est uniquement à elle, l’Histoire, de dire quelle sera la place de Hristo Botiov parmi les écrivains, poètes, patriotes et révolutionnaires bulgares ; quelle fut et sera l’importance de son rôle dans le mouvement de notre renaissance politique et morale.

Pour notre part, nous serons largement satisfait d’entendre le public reconnaître que Botiov fut l’un de nos hommes d’action, qui méritait une biographie, et que nous avons été le premier à nous en charger et à réunir quelques documents qui puissent du moins servir de base aux biographes plus dignes que nous.

 

 

Roussé, le 7 août 1888.

 

 

 

 


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Texte établi par la Bibliothèque russe et slave ; déposé sur le site de la Bibliothèque le 20 octobre 2021.

 

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Les textes ont été relus et corrigés avec la plus grande attention, en tenant compte de l’orthographe de l’époque. Il est toutefois possible que des erreurs ou coquilles nous aient échappé. N’hésitez pas à nous les signaler.



[1] Botiov est le nom original ; aujourd’hui, on le dit et écrit Botev. (N.d.T.)

[2] Écrivain, poète, encyclopédiste et journaliste (1834-1879), l’un des acteurs éminents de l’Éveil national. Militant pour la libération du pays, il prend part au mouvement révolutionnaire bulgare ; élu à la tête du Comité central à Bucarest en 1869, il démissionne en 1873, après l’arrestation et la mise à mort de la figure de proue de l’organisation, Vassil Levski. (N.d.T.)

[3] Aujourd’hui, la ville de Roussé. (N.d.T.)

[4] Parole. (N.d.T.)

[5] Dans la Taverne, traduit du bulgare par P. Éluard, https://www.slovo.bg/old/f/fr/botev/taverne.htm (N.d.T.)

[6] Adieux 1868, traduit du bulgare par P. Éluard, https://www.slovo.bg/old/f/fr/botev/adieux.htm (N.d.T.)

[7] Liberté. (N.d.T.)

[8] Indépendance. (N.d.T.)

[9] Étendard. (N.d.T.)

[10] Réveil. (N.d.T.)