LA BIBLIOTHÈQUE RUSSE ET SLAVE
— LITTÉRATURE RUSSE —
Constantin Stanioukovitch
(Станюкович Константин Михайлович)
1843 — 1903
UN HOMME À LA MER !
RÉCIT MARITIME
(Человек за бортом!)
1887
Traduction du commandant Blanchecotte
parue dans la Revue politique et littéraire, t. 48, 15 août 1891.
TABLE
Constantin-Mikailovitch Stanioukovitch, né en 1844, avait été destiné de bonne heure par son père, amiral de la marine russe, à embrasser la profession de marin. Mais après avoir navigué pendant quelques années, entraîné par sa passion pour la littérature, il quitta le service malgré la résistance de son père.
Il écrivit dans nombre de journaux, principalement dans l’Œuvre, où furent publiés quelques-uns de ses romans et nouvelles. Il tint pendant longtemps au journal le feuilleton sous le titre de : Esquisses de la vie publique, signées : Un écrivain sincère. En 1882, le journal passa sous la direction de Stanioukovitch, mais ensuite de la publication de quelques épigrammes politiques, le journal fut suspendu en 1884 et son rédacteur en chef jeté en prison. En 1885, Stanioukovitch fut exilé en Sibérie par mesure administrative; il passa trois années dans la ville de Tomsk. À l’expiration de sa peine, il vécut pendant deux ans à l’étranger, notamment à Paris, où il fit, entre autres connaissances littéraires, celle de Pierre Loti, qui paraît avoir conçu une grande estime pour l’écrivain russe.
Les Récits maritimes, écrits en exil, ont été publiés en 1888, à Saint-Pétersbourg, sous la double signature de Stanioukovitch et de Kostine, pseudonyme sous lequel ont paru quelques-unes de ses œuvres. (Note du traducteur.)
La chaleur étouffante d’une journée des tropiques commençait à devenir moins pesante, le soleil descendait avec lenteur vers l’horizon.
Poussé par une légère brise, le croiseur, portant toute sa toile, glissait sans bruit sur l’océan Atlantique en filant ses huit nœuds. À l’horizon, pas une voile, pas un nuage de fumée ; partout la mer immense avec ses vagues légèrement ondulées, avec son bruit de houle mystérieuse ; partout la mer, surmontée de la coupole sans nuage d’un ciel transparent, bleu foncé.
L’air était doux et limpide ; de salubres effluves marins montaient de l’océan.
Partout la solitude et le silence !
Cependant, parfois, aux rayons du soleil viennent luire, comme un éclair, les brillantes écailles dorées d’un poisson volant ; haut dans le ciel passe un albatros aux blanches ailes ; rasant l’eau dans son vol agité, un pétrel se hâte vers les lointains rivages de l’Afrique ; parfois encore, on entend le bruit du jet d’eau lancé par une baleine ; puis, de nouveau, la solitude et le silence qu’aucune créature vivante ne vient troubler. Rien que le ciel et l’océan, l’océan et le ciel, tous deux paisibles, pleins de caresses et de sourires.
— Votre Honneur veut-il nous permettre de chanter quelques chansons ? vint demander le sous-officier de quart à l’officier de service qui se promenait lentement sur la passerelle.
D’un signe de tête, celui-ci accorda la permission demandée ; quelques instants après s’élevait du milieu de l’océan un air populaire de village au chant large et mélancolique.
Heureux de sentir la fraîcheur du soir venir remplacer l’accablante chaleur du jour, les matelots, après avoir rangé les canons de côté, se réunissent en foule sur l’avant pour entendre les chanteurs. Les amateurs déterminés, composés principalement des anciens matelots, forment un cercle compact autour de ceux-ci qu’ils écoutent avec une attention concentrée, pendant que leurs visages hâlés s’éclairent d’un ravissement silencieux. En avant du cercle s’est placé Lavreutitch, un vieux marin voûté aux épaules carrées, aux jambes torses et légèrement arquées, aux mains épaisses et salies par le goudron, dont l’une est privée d’un doigt depuis longtemps arraché par une manœuvre de la drisse de hune. Ce Lavreutitch est un ivrogne fieffé que l’on ramène toujours de terre complètement privé de sentiment. Sa figure est couverte de cicatrices, car son grand plaisir est en effet de chercher querelle aux matelots étrangers, sous prétexte que ceux-ci, suivant son opinion, ne savent pas boire, mais seulement bambocher en s’avisant d’étendre d’eau le rhum abominablement fort qu’il avale, lui, d’un trait. D’habitude, son visage ridé, aux moustaches rudes et hérissées, au nez richement teinté de rubis et de violet, conserve une apparence farouche, car Lavreutitch semble toujours mécontent et tout prêt à déverser un torrent d’invectives. Mais à présent, au contraire, en écoutant les chanteurs, il reste comme engourdi dans une sorte d’accablement, tandis qu’une expression rêveuse et paisible vient adoucir la rudesse des traits de son visage. Quelques matelots accompagnent tout bas les chanteurs ; d’autres, se tenant à l’écart, en groupes, causent entre eux à mi-voix, tout en témoignant de temps en temps leur approbation par un sourire ou par des exclamations admiratives. C’est qu’en effet nos artistes improvisés chantaient très bien ! Toutes ces voix jeunes, fraîches et pures s’harmonisaient et se fondaient merveilleusement en chœur. Mais la voix qui plongeait surtout les auditeurs dans le ravissement était celle de Choutikoff, une superbe voix de ténor, douce comme du velours. Elle se détachait du chœur par sa pureté et son éclat, pénétrant l’âme elle-même par l’expression chaude et sincère de son chant.
— Il vous prend aux entrailles, cet animal-là ! disaient de lui ses rudes auditeurs.
Et les chants s’envolaient l’un après l’autre, rappelant aux matelots, au milieu de cette région tropicale, si chaude et si lumineuse, le lointain village natal, avec ses neiges et ses frimas, ses champs, ses forêts, ses isbas enfumées, avec sa pauvreté et son dénuement dont le souvenir étreignait le cœur...
— Allons, les enfants, une chanson à danser, maintenant !
Le chœur entonna gaiement une joyeuse chanson de danse. Parfois presque éteinte, la voix de Choutikoff résonnait tout à coup, à d’autres moments, pleine d’audace et d’allégresse, appelant un involontaire sourire sur le visage des auditeurs, et forçant même les plus graves matelots à remuer en cadence bras et jambes.
Un jeune et alerte matelot nommé Makarka, qui depuis quelque temps déjà sentait des démangeaisons dans tout son corps petit et maigre, bientôt ne put y tenir et, suivant la mesure d’un air entraînant que chantait le chœur, il se mit à danser un trépak,[1] au grand plaisir des spectateurs.
À la fin, les danses et les chants cessèrent. À ce moment, Choutikoff, matelot aux cheveux noirs, au corps élégant et mince, sortit du cercle pour aller fumer près de la baille d’eau, recueillant au passage les marques d’approbation les plus flatteuses.
— Comme tu chantes bien, ah ! oui, crânement bien, que le chien te mange[2] ! lui dit Lavreutitch avec émotion en secouant la tête ; et pour mieux témoigner son contentement, il assaisonna sa louange d’un mot salé intraduisible.
— S’il avait eu des leçons, il aurait pu certainement chanter à l’Opéra, affirma avec aplomb notre jeune fourrier Pougovkine, qui venait de l’École des mousses et posait pour les belles manières et les expressions recherchées.
Lavreutitch, qui méprisait les fonctionnaires,[3] gens absolument inutiles, d’après lui, sur un navire, et qui considérait comme un devoir d’honneur de les insulter en toute occasion, jeta un regard noir sur le fourrier, jeune blondin tout rondelet, tout luisant de graisse, et lui dit :
— Qu’est-ce que tu nous chantes avec ton Opéra ? Et le petit ventre qui t’a poussé à ne rien faire, c’est plutôt lui qui est un joli opéra !
Un ricanement général accueillit la riposte.
— Est-ce que vous comprenez seulement ce que veut dire le mot « opéra » ? répondit le petit fourrier décontenancé.
— Quels sauvages ! ajouta-t-il en se hâtant de disparaître.
— En voilà une mamz’elle civilisée ! lui jeta dédaigneusement Lavreutitch, qui ajouta selon son habitude une autre invective plus capiteuse, mais cette fois sans le moindre accent de tendresse.
Puis, après un silence, il continua en s’adressant à Choutikoff :
— Oui, c’est moi qui te le dis, tu chantes crânement bien, Egor.
— Il n’y a pas à dire ! Il est bon pour tout faire. En un mot, c’est un gaillard, Egorka !... affirma quelqu’un dans l’assistance.
En réponse à cette marque d’estime, Choutikoff se contenta de sourire en découvrant des dents superbes sous de grosses lèvres charnues qui décelaient la bonté.
Cet heureux sourire, ingénu et limpide comme celui des enfants, qui éclairait les jolis traits d’un jeune et frais visage doré par le hâle ; ces grands yeux sombres, doux et caressants comme ceux d’un épagneul ; ce corps maigre et bien pris, à la fois robuste, musculeux et souple, non dépourvu cependant d’une certaine lourdeur de paysan, tout dans le jeune matelot attirait et disposait en sa faveur au premier abord, même sans qu’on eût entendu sa voix merveilleuse. Aussi Choutikoff jouissait-il de l’affection générale, et, de son côté, s’il était aimé de tous, il rendait cette affection à chacun en particulier.
C’était une de ces bonnes et heureuses natures, si rares, au contact desquelles l’âme se sent involontairement plus sereine et plus joyeuse. Il était de ces gens qui sont optimistes sans même le savoir. À tout instant, son rire franc et sonore retentissait sur le croiseur. Lorsqu’il racontait une histoire, il était le premier à en rire, et sa gaieté se communiquait à ses auditeurs. À quelque travail qu’il fût occupé, gréer une poulie, racler la couleur d’une embarcation ou, abrité du vent, passer une nuit de quart dans les hunes, toujours Choutikoff fredonnait une petite chanson, pendant qu’un bon sourire voltigeait sur ses lèvres. Sa seule présence suffisait pour ramener la joie et le calme dans les cœurs. Il était bien rare qu’on l’eût vu aigri ou chagrin. Jamais sa joyeuse humeur ne l’abandonnait, même lorsque les autres perdaient courage. C’est surtout en de semblables moments que son exemple avait un prix inestimable.
Un jour, il m’en souvient, nous luttions contre la tempête. Le croiseur, sous ses voiles de cape, dansait comme une coquille de noix sur les vagues qui semblaient à tout instant prêtes à engloutir le frêle esquif qui frissonnait et gémissait plaintivement dans sa membrure, pendant que ses plaintes se mêlaient aux sifflements du vent dans les agrès tendus à se rompre. Les vieux matelots eux-mêmes, qui pourtant avaient vu bien des orages, gardaient un morne silence ; leurs regards anxieux se dirigeaient vers la passerelle sur laquelle se tenait une haute figure, paraissant encore grandie par le sentiment de la responsabilité, celle du capitaine enveloppé dans son imperméable, et surveillant d’un œil vigilant la tempête déchaînée. Mais, pendant ce temps, Choutikoff, se retenant d’une main aux manœuvres pour ne pas être emporté, était en train d’occuper, par des récits étrangers à la terrible situation présente, tout un groupe de jeunes matelots épouvantés et serrés craintivement autour du grand mât. Il racontait avec tant de calme et de bonhomie quelque amusante histoire de village, il riait de si bon cœur, lorsque les vagues venaient lui jeter leur écume au visage, que la tranquillité de son attitude finit par s’imposer aux jeunes matelots et leur redonner courage, en écartant ainsi d’eux l’idée même du danger.
— Où diable as-tu pu apprendre à jouer aussi superlativement bien du galoubet ? continua Lavreutitch en bourrant son brûle-gueule de gros tabac commun... Lorsque j’étais sur le Constantin, nous avions aussi un sacré petit matelot qui chantait bigrement bien, on peut le dire, mais certainement ce n’était pas aussi capiteux que toi.
— C’est moi qui me suis appris tout seul en gardant les troupeaux. Souvent, lorsque les bêtes broutaient dans la forêt, je m’essayais sous un bouleau et je m’apprenais des airs. Aussi au village m’appelait-on le berger chanteur — répondit Choutikoff avec un sourire qui appela aussi le sourire sur les lèvres de ses auditeurs. Alors, pris d’un bel accès d’enthousiasme, Lavreutitch lui décocha une bourrade dans le dos, puis, comme marque d’estime particulière, il accompagna ce geste amical d’une série d’épithètes grossières débitées avec toute l’amabilité que pouvait lui permettre sa voix de rogomme.
C’est à ce moment que vint se précipiter au milieu du cercle des matelots un de leurs camarades nommé Ignatoff, solide gaillard, déjà d’un certain âge, à la tête ronde et rasée.
Le visage pâle et défait, il raconta d’une voix entrecoupée par la colère et l’émotion qu’on venait de lui voler une pièce d’or :
— Vingt francs ! vingt francs ! camarades ! clamait-il d’une voix plaintive en précisant le chiffre.
Tous, à cette nouvelle, furent aussi surpris que troublés. C’est qu’aussi un tel fait était bien rare sur le croiseur. Les anciens fronçaient le sourcil. Les jeunes étaient mécontents de l’irruption soudaine de l’importun au milieu de leurs gais propos. C’est avec un sentiment de curiosité mêlée d’effroi, plutôt que de compassion, qu’ils écoutaient le récit détaillé du vol, entrecoupé de malédictions, que leur fit Ignatoff d’une voix essoufflée, pendant que ses mains nettes et propres battaient l’air de gestes désespérés. Il raconta comme quoi, aujourd’hui même, après le dîner, pendant le repas de la bordée, il avait visité sa malle qu’il avait trouvée encore, grâce à Dieu, intacte et en ordre, et comme quoi, à l’instant, ayant voulu y prendre du cuir pour fabriquer des bottes, il venait d’en trouver la serrure forcée... « Camarades, les vingt francs n’y étaient plus !... »
— Est-il possible que l’on vole ainsi un frère ? dit-il en terminant d’un air hagard.
Il avait un visage aux chairs pleines et lisses, rasé de frais, couvert de taches de rousseur, les yeux petits et perçants comme ceux du vautour, le nez recourbé en bec de corbin. Tous ces traits étaient autant d’indices infaillibles qui prouvaient le calme, la possession de soi, et même l’intelligence assez développée d’un homme qui connaît sa valeur. Mais à présent, ce même visage était altéré, défiguré par le désespoir de l’avare qui a perdu toute sa fortune. La mâchoire inférieure était agitée de mouvements convulsifs, les yeux couraient éperdus d’un visage à l’autre. On voyait que le vol dont il avait été victime l’avait jeté dans le désarroi le plus complet, en faisant apparaître à nu la vilenie d’une nature basse et sordide.
En effet, Ignatoff, que certains matelots appelaient respectueusement Céménitch,[4] était un homme très intéressé et avide d’argent. Il s’était engagé comme volontaire pour faire le voyage autour du monde, laissant à Cronstadt ses deux enfants et sa femme, marchande dans un bazar, sans autre but que de profiter du voyage pour mettre de l’argent de côté et revenir à Cronstadt, une fois libéré, pour y entreprendre un petit commerce. Il menait une vie très sobre, ne buvait jamais de vin et ne dépensait jamais rien à terre. Il amassait de l’argent, kopeck par kopeck, connaissait parfaitement les pays où il était avantageux de faire le change des monnaies, et prêtait en secret de l’argent à un taux usuraire, mais seulement à ceux dont il était sûr. C’était d’ailleurs un homme habile ; en route, il achetait des cigares ou bien des objets chinois ou japonais avec la vente desquels il comptait faire une excellente opération à son retour en Russie. Il s’était déjà occupé de petites affaires semblables lors de ses nombreuses navigations précédentes dans le golfe de Finlande. C’est ainsi qu’ayant acheté à Revel des sardines, à Helsingfors des cigares et des confiseries, il avait revendu ensuite tout cela avec bénéfice à Cronstadt.
Ignatoff était un bon timonier, exact à son service. Il cherchait à se mettre bien avec tout le monde et se trouvait dans les meilleurs termes avec le commis aux vivres et le second maître. Sachant lire et écrire, il passait pour un matelot comme il faut, et c’est avec grand soin qu’il se cachait d’amasser de l’argent.
— C’est certainement cette canaille de Prochka ; ce ne peut être personne autre que lui, continua Ignatoff tout bouillant de colère. Il y a longtemps qu’il tournait dans la batterie, toutes les fois que j’y descendais pour voir mes affaires. Qu’est-ce qu’il faut faire de cette canaille, dites, camarades ? demanda-t-il en s’adressant de préférence aux anciens comme s’il recherchait leur appui. Est-il possible que je doive me résoudre à perdre mon argent ?... Cet argent-là, c’est le sang de mes veines... Vous le savez bien, camarades, ce que c’est que l’argent pour un matelot... Je l’ai amassé sou à sou... Je n’ai jamais bu ma tasse de vodka, ajouta-t-il d’une voix plaintive et larmoyante.
Bien que la seule preuve contre Prochka fût qu’il « tournait depuis longtemps dans la batterie », comme c’était la victime désignée, les auditeurs ne doutèrent point que l’auteur du vol ne fût lui, Prochka Gitine, d’autant plus qu’à plusieurs reprises il avait été convaincu de petits larcins envers ses camarades. Pas une seule voix ne s’éleva pour prendre sa défense ; au contraire, la plupart des matelots, excités, se répandirent en injures contre le voleur supposé :
— C’est, un chenapan, il déshonore le métier de matelot... s’écria Lavreutitch, irrité.
— Oui, c’est un chien galeux parmi nous...
— Il faut donner une leçon à ce vaurien, à ce galvaudeux pour qu’il s’en souvienne.
— Pourquoi agir ainsi, camarades ? continua Ignatoff... Que voulez-vous faire avec lui ? S’il refuse de me rendre mon bien, je préfère me plaindre au second. J’aime mieux qu’il soit jugé suivant la règle.
Mais cette motion, qui souriait à Ignatoff, ne trouva aucun écho sur le gaillard-avant. Il y existe, en effet, des règlements spéciaux, non écrits, que les anciens matelots, comme des prêtres antiques, conservent avec un soin jaloux.
Le premier, Lavreutitch, protesta avec énergie :
— Il veut se plaindre à l’autorité, celui-là ! dit-il d’un ton méprisant. Il veut faire des cancans ! On voit bien que, dans sa frayeur, il a oublié les règlements des matelots !... Quelle race ! (Pour soulager sa colère, Lavreutitch employait ce mot : race, au lieu de son expression habituelle.) Voilà ce qu’il a imaginé, et il se prend pour un matelot ! ajouta-t-il en jetant sur Ignatoff un regard qui n’était pas précisément tendre.
— Alors, d’après vous, que faut-il faire ?
— D’après nous, il faut agir selon ce qu’on nous a enseigné. Il faut fouetter jusqu’au sang ce fils de chienne, pour lui apprendre à vivre et pour le forcer à rendre l’argent. Voilà ce qu’il faut faire, d’après nous.
— Il s’agit bien de rosser cette canaille ! Et s’il refuse de rendre ! Alors je perdrai mon argent. Non ! ce n’est pas cela. Il vaut mieux faire passer le voleur en jugement. Camarades, pas de pitié pour ce chien-là !
— Tu es par trop avide d’argent, Ignatoff. N’aie pas peur, il n’a pas tout pris. Il en reste encore un peu, hé ? repartit ironiquement Lavreutitch.
— Tu l’as compté, n’est-ce pas ?
— Non. Je n’en sais rien, mais seulement ce n’est pas l’affaire d’un matelot d’aller faire des cancans comme une vieille femme. Ça n’est pas digne ! fit observer Lavreutitch d’un air d’autorité. N’est-ce pas, camarades, que j’ai raison ?
Et, au grand déplaisir d’Ignatoff, presque tous convinrent qu’il n’était pas « digne d’un matelot » d’aller faire des cancans.
— Maintenant, amène ici Prochka, pour l’interroger en présence des camarades ! conclut Lavreutitch,
Et Ignatoff, irrité et mécontent, dut s’incliner devant la décision unanime. Il alla à la recherche de Prochka pendant que les matelots, en l’attendant, formaient un cercle plus compact.
Prokor Gitine, ou plutôt Prochka,[5] comme on l’appelait en signe de mépris, était le dernier des matelots du bord. C’était un poltron fieffé, que la menace du fouet pouvait seule décider à grimper dans les hunes, où il se sentait envahi par une couardise invincible. C’était du reste un fainéant, un propre à rien, cherchant toujours à esquiver le travail, et avec cela très enclin au vol. Aussi, dès le commencement du voyage, Prochka, repoussé de tous, était-il devenu le paria du bord. C’était le souffre-douleur de tout l’équipage ; qu’il le méritât ou non, les maîtres et les sous-officiers l’injuriaient sans cesse et le frappaient à qui mieux mieux, lui disant : Hue donc, fainéant ! Jamais il ne protestait, supportant les coups avec l’humilité stupide d’un chien battu. Après quelques menus larcins dont il fut convaincu d’être l’auteur, personne ne lui parlait plus ; il dut se contenter du mépris général.
Quiconque en avait la fantaisie pouvait impunément l’injurier et le battre, lui donner des ordres, se moquer de lui : c’était un être sans conséquence. Il semblait même que Prochka, habitué à être traité ainsi en chien galeux et rossé, ne conçût pas que l’on pût avoir d’autres procédés avec lui. Il paraissait accepter facilement cette existence de galérien, pourvu qu’il pût manger à sa faim et dresser un cochon de lait à faire des tours d’adresse. Toutefois, quand il allait à terre, il était galant et empressé auprès du beau sexe, dont il était très amateur ; pour les femmes, il dépensait volontiers son dernier kopeck, et c’est pour satisfaire cette passion qu’il volait de l’argent à ses camarades, malgré les sévères représailles qu’il s’attirait lorsqu’il était pris sur le fait. C’était toujours lui qui était de service à la poulaine[6] ; il n’avait pas d’autre fonction officielle. Il comptait au nombre des derniers matelots chargés des travaux de force qui n’exigent aucune aptitude spéciale : cela lui convenait parfaitement ; quand il était attelé avec d’autres pour haler sur une manœuvre, il feignait seulement de tirer, comme font les mauvais chevaux rusés.
— Hue donc, fainéant, galvaudeux, hue donc ! lui criait alors le capitaine d’armes en lui promettant de lui « caresser la carcasse ».
Et il va sans dire qu’il la lui caressait.
Réfugié sous la chaloupe, Prochka, ayant aux lèvres le sourire inconscient du rêve, dormait d’un paisible sommeil, quand un vigoureux coup de pied le força de se réveiller en sursaut. Il se disposait à se glisser un peu plus loin pour éviter ce visiteur malencontreux, quand une nouvelle atteinte lui donna à comprendre qu’on avait besoin de lui et qu’il était nécessaire de quitter sa confortable retraite. Il sortit donc en rampant, se redressa, et, tout ahuri, s’attendant peut-être à recevoir un nouveau coup, il leva la tête sur le visage irrité d’Ignatoff.
— Suis-moi, lui dit celui-ci qui contenait avec peine une envie furieuse de se jeter derechef sur lui.
Comme un chien en faute, il suivit docilement Ignatoff d’une allure lente et paresseuse, en se balançant d’un côté à l’autre comme fait un canard sur la terre ferme.
Prochka était un homme d’une trentaine d’années, maigre, gauche, mal bâti, avec un tronc trop long reposant sur de petites jambes torses, comme en ont souvent les tailleurs. Avant son entrée au service, il avait été, en effet, employé comme tailleur chez un petit propriétaire de campagne. Son visage bouffi — d’une couleur terreuse, avec un nez camard et d’immenses oreilles écartées qui faisaient saillie bien au dehors de son chapeau — était fripé et vraiment peu avenant... Ses tout petits yeux, gris et ternes, enfoncés sous des sourcils clairsemés, presque blancs, avaient l’expression d’indifférence et de soumission que l’on observe chez les animaux fréquemment battus, mais ils donnaient en même temps l’impression d’un être rusé. Rien, dans sa tournure, ne rappelait le matelot dressé par le service ; tout en lui respirait la saleté et la nonchalance ; en un mot, il n’avait rien qui disposât en sa faveur.
Quand Prochka fut arrivé au milieu des matelots à la suite d’Ignatoff, toutes les conversations cessèrent ; le cercle se resserra encore davantage, et tous les regards se dirigèrent sur le voleur.
Pour commencer l’interrogatoire, Ignatoff lança à tour de bras un violent coup de poing sur la figure de Prochka.
Sous ce choc inattendu, Prochka chancela. Il reçut le coup sans rien dire, seulement son visage en parut encore plus hébété et plus effaré.
— Ce n’est qu’une entrée de jeu ; tu peux mettre ça dans ta poche ! murmura Lavreutitch.
— Ce sont des arrhes que je donne à cette canaille ! fit observer Ignatoff, qui ajouta en s’adressant à Prochka : Avoue, brigand, que tu m’as dérobé de l’or dans ma malle !
À ces mots, une lueur d’intelligence éclaira pour un instant la face stupide de Prochka. Il parut comprendre la gravité de l’accusation et jeta un regard d’effroi sur les visages sévères et malveillants des auditeurs. Tout son corps fut secoué de tremblements convulsifs, pendant qu’une pâleur livide se répandait sur son visage dont les traits étaient défigurés par une terreur absurde.
Ce brusque changement d’attitude fut pour tout le monde une preuve nouvelle que Prochka était bien l’auteur du vol.
Au lieu de répondre, il resta silencieux, les yeux baissés.
— Où est l’argent ? Où l’as-tu caché ? Réponds donc ! criait le volé.
— Je n’ai pas pris ton argent, répondit-il enfin d’une voix sourde.
À cette réponse, Ignatoff entra en fureur :
— Oh ! prends garde !... je te cognerai jusqu’à ce que tu en crèves, si tu ne veux pas me rendre mon bien, cria-t-il irrité, avec un ton si sérieux que l’autre fit un pas en arrière.
De tous côtés s’élevèrent des voix hostiles :
— Tu ferais mieux de t’avouer coupable, animal !
— Voyons, Prochka, tu ne peux pas nier !
— Rends donc l’argent, canaille !
Il vit bien que tous étaient contre lui. Alors il releva la tête, ôta son chapeau et s’adressant à la foule s’écria avec l’accent désespéré du noyé qui se raccroche à une branche :
— Camarades ! devant Dieu qui nous voit, je suis prêt à en faire le serment, je n’ai pas volé ! Que je crève plutôt sur place... Faites de moi ce que vous voudrez, mais je n’ai pas pris l’argent !
À ces mots, quelques-uns parurent hésiter. Mais Ignatoff ne laissa pas à l’indignation le temps de se refroidir, et il se hâta d’ajouter :
— Ne mens pas, racaille, et laisse Dieu de côté ! Tu niais aussi lorsque tu as volé de l’argent dans la poche de Kouzmine, t’en souviens-tu ? Et quand tu as dérobé la chemise de Leontieff, tu voulais aussi jurer que ce n’était pas toi. Faire un serment devant Dieu ou cracher par terre, cela ne fait qu’un pour toi, infâme que tu es !
De nouveau, Prochka baissa la tête.
— Avoue donc plutôt que tu es coupable. Réponds, où est mon argent ? Je n’ai vu personne autre que toi rôder dans la batterie... Voyons, raconte-nous, espèce d’être sans foi, ce que tu allais faire là-dedans au moment du repos ? questionna de nouveau Ignatoff.
— Je me promenais.
— Tu te promenais !... Ah ! Prochka, la main me démange, ne me force pas à faire un péché. Voyons, cesse de nier !
Mais celui-ci se tut.
Alors Ignatoff, voulant essayer de tous les moyens, changea de ton subitement. Il ne menaçait plus, il adjurait Prochka, avec des inflexions de voix caressantes, de lui rendre son argent :
— On ne te fera rien, tu comprends ? Rends-moi seulement mon argent... Toi, tu n’en as besoin que pour boire ; mais moi, j’ai une famille... Dis ! rends-le moi !
Et sa voix se faisait suppliante.
— Que l’on me fouille si on veut... je n’ai pas pris ton argent.
— Ainsi tu ne l’as pas pris, canaille ? Tu ne l’as pas pris ? s’écria Ignatoff, tout pâle de colère. Tu ne l’as pas pris ?
Et, disant ces mots, il fondit comme un vautour sur le misérable.
Pâle, tremblant de tous ses membres, Prochka fermait les yeux et s’efforçait avec ses bras de garantir sa tête contre les coups.
Les matelots, silencieux, fronçaient les sourcils devant cette scène scandaleuse. Mais Ignatoff continuait à s’acharner avec une férocité croissante sur sa victime sans défense.
— Arrête, en voilà assez ! cria Choutikoff au milieu de la foule.
Et cette douce voix qui intercédait en faveur du malheureux réveilla tout à coup les sentiments d’humanité chez les autres.
Après lui, beaucoup de matelots crièrent d’un ton irrité :
— Assez... assez !
— Avant de le frapper, tu ferais mieux de fouiller Prochka, et tu saurais bien s’il dit la vérité !
Alors Ignatoff lâcha sa victime et, tout tremblant de colère, se détourna un peu. Prochka en profita pour se jeter au milieu des matelots.
Pendant un instant, le silence régna dans la foule.
— Le misérable, il persiste à nier ! dit Ignatoff, traduisant par ces mots le sentiment général. Attends un peu seulement, lorsque nous serons à terre, si tu ne me rends pas mon argent, je te réglerai ton compte, continua-t-il menaçant.
— Mais peut-être n’est-ce pas lui ? dit tranquillement Choutikoff.
— Ce n’est pas lui ! Pour les premiers vols, c’était bien le coupable, n’est-ce pas ? Car voler, c’est son affaire... Il est bien connu comme un filou...
Sur ce, Ignatoff, accompagné de deux hommes, alla faire une perquisition dans le sac de Prochka.
— Quel homme avide d’argent ! quel avare ! dit Lavreutitch d’un ton de courroux en secouant la tête, à l’adresse d’Ignatoff.
— Mais toi, tu as volé, tu as déshonoré l’état de matelot ! ajouta-t-il soudainement.
Puis il lâcha une bordée d’invectives à l’adresse de Prochka, mais, cette fois, sans autre intention, semblait-il, que de raffermir son opinion et de chasser l’indécision qui se lisait sur son visage.
— Mais voyons, Egor, pourquoi penses-tu que ce n’est pas Prochka ? demanda-t-il après une pause. Il me semble que ce ne peut être personne autre que lui.
Choutikoff ne répondit pas. Lavreutitch cessa de le questionner et se remit avec rage à fumer son brûle-gueule.
Les matelots se séparèrent. Quelques minutes après, on apprit que, ni sur Prochka ni dans son sac, on n’avait trouvé la pièce d’or.
— La canaille, il l’a cachée quelque part ! telle fut la conclusion d’un grand nombre de matelots, qui pensèrent, en outre, que désormais cela irait mal pour Prochka, car l’autre ne lui pardonnerait jamais le vol de son argent.
Les ombres d’une douce nuit des tropiques s’étaient rapidement étendues sur l’océan.
On étouffait sur le pont. Les matelots dormaient dans la batterie, pendant qu’une bordée était de service. Mais sous les tropiques, quand on se trouve dans les régions des vents alizés, les quarts sont très calmes et les matelots peuvent abréger les heures de la nuit par des conversations et des récits qui chassent l’envie de dormir.
Pendant cette nuit, le service de quart, de minuit à six heures du matin, était fait par la seconde bordée à laquelle appartenaient Choutikoff et Prochka.
Après avoir conté quelques histoires à un petit groupe de matelots assis auprès du mât de misaine, Choutikoff se décida à aller fumer une pipe. L’opération terminée, il s’avançait vers la dunette en ayant soin d’éviter les dormeurs étendus çà et là sur le pont, lorsqu’il aperçut Prochka qui, couché à l’écart, sous le bastingage, faisait un somme en ronflant du nez. Il l’appela doucement :
— Est-ce toi, Prochka ?
— C’est moi, répondit celui-ci en se secouant.
— J’ai quelque chose à te dire, continua Choutikoff à voix basse, avec un accent plein de douceur. Tu sais bien quel homme c’est qu’Ignatoff... Tu sais que, lorsque vous serez à terre, il t’assommera de coups sans aucune pitié...
Prochka dressa l’oreille : il ne s’attendait pas à ce qu’on pût lui parler sur ce ton.
— Qu’il m’assomme s’il le veut, mais je n’ai pas touché à son argent ! répondit-il après un silence.
— Il n’en veut rien croire, tant que tu ne lui rendras pas son argent, il ne te pardonnera pas... Il y a beaucoup de camarades qui ont aussi des doutes...
— Je l’ai déjà dit, je n’ai rien pris, répéta Prochka, toujours obstiné.
— Moi, camarade, je suis persuadé que tu n’as rien pris... Oui, je le crois et je regrette que tantôt l’on t’ait frappé inutilement et qu’Ignatoff ait menacé de t’assommer encore... Mais voilà ce qu’il faut faire, Prochka : tiens, prends ces vingt francs qui sont à moi et rends-les à Ignatoff... Que le bon Dieu le bénisse ! Qu’il soit heureux avec son argent ! Tu me rendras cela un jour ou l’autre, je ne te forcerai pas, sois tranquille. Ainsi ton affaire pourra s’arranger... Mais écoute ! ne raconte la chose à personne, n’est-ce pas ? ajouta Choutikoff.
Complètement dérouté, Prochka ne trouvait pas un mot à répondre. Si Choutikoff avait pu voir son visage, il y aurait pu lire l’émotion et le trouble extraordinaires qui s’étaient emparés de lui. Comment ! on le plaignait, lui, Prochka, et, qui plus est, on venait encore lui offrir de l’argent pour le soustraire aux coups dont il était menacé ! C’en était trop pour un homme qui, depuis si longtemps, n’avait entendu un mot de caresse.
Étouffé par l’émotion qui le serrait à la gorge, il restait silencieux, la tête baissée.
— Tiens, prends cet argent, dit Choutikoff sortant de la poche de son pantalon tout son petit pécule enveloppé dans un chiffon.
— Comment se peut-il... Ah ! mon Dieu, mon Dieu !... bégayait Prochka éperdu.
— Tais-toi, imbécile !... Allons, c’est dit, accepte sans faire de grimaces.
— Prendre cela ! Ah ! frère ! comme je te remercie ! Quelle belle âme tu possèdes ! — répondit Prochka d’une voix tremblante ; mais tout à coup, il ajouta résolument : — Choutikoff, je n’ai que faire de ton argent... Je ne veux pas paraître vil devant toi... Je n’en ai pas besoin. Une fois mon quart terminé, j’irai rendre à Ignatoff sa pièce d’or.
— Ainsi donc, c’était toi !
— Oui, c’était moi, répondit Prochka d’une voix à peine distincte... Personne n’en pouvait rien savoir... J’avais caché la pièce d’or dans un canon.
— Ah ! Prokor, Prokor ! — soupira Choutikoff d’une voix triste et secouant lentement la tête.
— Maintenant qu’il vienne me battre... Que l’on me retourne la peau... ça m’est égal. Je t’en prie, frappe-moi, je suis un être indigne ; assomme-moi, je suis un misérable ; sois sans pitié, je t’en prie !... s’écria Prochka en s’animant furieusement contre lui-même... Je supporterai tout avec bonheur, car, du moins, je sais que tu as eu pitié de moi, que tu as eu confiance en moi... Tu as trouvé des paroles de caresse pour Prochka... Ah ! Dieu m’en est témoin ! jamais de ma vie je n’oublierai ça.
— Allons, du calme ; quel drôle d’homme tu fais ! — dit avec douceur Choutikoff qui s’assit sur un canon voisin.
Il resta quelques moments pensif et continua :
— Écoule bien ce que je vais te dire : renonce à ta mauvaise conduite, oui ! abandonne tout cela... c’est mal... et vis comme vivent les gens, Prokor, pour le bien ! Deviens un honnête matelot, deviens-le en toutes choses, comme il faut l’être... Alors ton âme sera meilleure... Est-ce que la vie ne serait pas ainsi plus douce pour toi ? Je ne te dis pas cela comme reproche, Prokor, c’est seulement pour te plaindre !... ajouta Choutikoff.
En entendant ces paroles, Prochka restait sous le charme, comme fasciné. Jamais personne ne lui avait parlé avec tant de douceur et de cordialité. Jusqu’alors, des coups et des injures, voilà quel avait été son apprentissage de la vie. Son cœur était pénétré d’un profond sentiment d’attendrissement et de reconnaissance, mais les mots lui manquaient pour l’exprimer.
En le quittant, Choutikoff lui promit de s’employer auprès d’Ignatoff pour que celui-ci consentît à pardonner. À son départ, Prochka était un autre homme ; il comprenait maintenant l’abjection et le néant de l’existence acceptée jusqu’alors et dont il se croyait seulement digne. Longtemps il resta debout, le regard perdu dans les ténèbres de la mer, essuyant de la main les larmes qui venaient mouiller ses yeux. Le matin, après le changement de service, il rendit à Ignatoff sa pièce d’or. D’un geste avide, le matelot tout réjoui s’empara de la pièce qu’il garda dans sa main serrée, allongea un bon coup de poing sur la figure de Prochka, et allait s’éloigner lorsque celui-ci se plaça résolument devant lui et lui dit :
— Frappe encore, Céménitch, frappe : encore un coup sur la gueule !
Étonné d’une telle audace, Ignatoff lui jeta un regard de mépris en disant :
— Misérable, je t’aurais traité de la belle manière, si tu ne m’avais pas restitué mon argent ; mais maintenant, tu ne mérites pas que je salisse ma main à te toucher... Va-t’en, canaille, filou, mais prends garde... n’essaye plus de me voler... je te réduirais en bouillie ! — ajouta Ignatoff d’un ton significatif. Puis, écartant Prochka de son chemin, il se précipita dans la batterie pour y cacher son trésor.
Tel fut le seul châtiment infligé au voleur. Ce fut aussi grâce à la médiation de Choutikoff que Tschoukine, qui était informé du vol et se disposait, après la corvée de nettoyage, à rosser « cette charogne », se contenta d’être assez miséricordieux, relativement parlant, pour lui décocher une simple bourrade, en le traitant de gueux de Prochkine.
— Prochka a eu peur de Gemenitch, il lui a rendu son argent ; mais comme il niait, ce filou-là ! — se disaient les matelots pendant les travaux de la toilette du matin.
À dater de cette nuit mémorable, Prochka s’attacha sans esprit de retour à Choutikoff, et lui montra le dévouement d’un chien fidèle. Bien entendu, il ne s’avisait pas de laisser paraître les témoignages de cet attachement devant tous, sentant probablement que l’amitié d’un réprouvé comme lui ne pouvait que diminuer Choutikoff dans l’estime des autres. Jamais il ne lui adressait la parole en public, se contentant de lui jeter de fréquents regards pleins de reconnaissance et de dévouement. À ses yeux, Choutikoff était un être à part, devant lequel lui, Prochka, ne valait pas même la dernière des balayures du bord. Fier de ce patronage, il prenait à cœur tout ce qui touchait à son idéal. C’est avec une admiration non déguisée qu’il suivait du regard les agiles mouvements de Choutikoff le long des vergues, c’est avec un ravissement qui lui faisait battre le cœur qu’il écoutait ses chansons. Enfin, d’une manière générale, il estimait tout ce que pouvait faire Choutikoff comme ce qu’il y avait de meilleur et de plus extraordinaire au monde. Quelquefois le jour, mais plus souvent pendant les quarts de nuit, quand il le voyait seul, il se dirigeait de son côté, et, sans but, il tournait çà et là autour de lui.
— Qu’est-ce que tu veux, Prokor ? lui demandait Choutikoff avec affabilité.
— Moi, rien.
— Alors, où vas-tu ?
— J’allais à mon poste... et je passais seulement de ton côté, répondait, en s’en allant, Prochka, qui semblait demander pardon de l’avoir dérangé.
Il désirait ardemment lui être utile en quelque chose, mais à ses offres de service, aux propositions qu’il lui faisait de laver son linge ou de brosser ses habits, bien souvent le pauvre Prochka tout déconcerté ne recevait que des refus. Un jour ayant confectionné à son intention une élégante chemise de matelot, pourvue d’un devant en toile de Hollande, il vint, tout ému, la lui offrir.
— Ah ! le brave Gitine, ah ! camarade, voilà du travail bien conditionné ! remarqua d’un ton encourageant, après un examen minutieux, Choutikoff qui voulut lui rendre la chemise,
— Mais, c’est pour toi que je l’ai faite, Egor Mitrich ; prends cela en considération, je te prie... Daigne me faire l’honneur de la porter.
Choutikoff commença par refuser ; mais devant l’air malheureux du suppliant qui lui demandait cela comme une marque d’estime, il consentit à la fin à accepter son petit présent, ce qui mit Prochka au comble du bonheur.
Certainement Prochka n’apportait plus au travail les mêmes habitudes de flânerie et d’astuce qu’autrefois. On ne le frappait plus que rarement, mais on continuait à le traiter comme par le passé avec un parfait dédain. Souvent même l’équipage prenait plaisir à le taquiner et à le harceler sans merci.
Celui qui montrait le plus d’acharnement était un jeune homme nommé Ivanoff, un des pires matelots de l’équipage, querelleur et poltron. Un jour, à la grande joie de la galerie qui se forma autour d’eux, il se mit à l’accabler sans pitié de ses railleries et de son persiflage, et devant le silence de Prochka, qui, selon son habitude, supportait ses plaisanteries sans y répondre, il devint encore plus agressif et plus méchant.
Ce jour-là, Choutikoff, qui passait par hasard de ce côté, voyant la manière cruelle dont on traitait Prochka, prit résolument son parti :
— Ivanoff, c’est mal, c’est très mal ce que tu fais là !... Pourquoi te coller à cet homme comme de la poix, pourquoi le harceler ainsi ?
— Bah ! notre Prochka n’est pas susceptible, répondit en riant Ivanoff.
— Allons, Prochenka, raconte-nous donc un peu comment tu chipais de l’argent à ton vieux grigou de père pour l’apporter ensuite aux dames... Tu n’avais pas besoin de forcer la porte, hé ? Allons, raconte-nous ça ! lui disait Ivanoff sur un ton de persiflage, au rire général de l’assistance.
— Je te dis de laisser cet homme, entends-tu ? interrompit Choutikoff d’un air sévère.
Grand fut l’étonnement de tous en le voyant prendre si chaleureusement le parti de Prochka, de ce fainéant, de ce voleur...
— Est-ce que ça te regarde ? repartit Ivanoff irrité.
— En rien pour moi, certes ; mais toi, ne fais pas le fanfaron... tu vois que tu as trouvé à qui parler, si tu veux faire le brave.
Ému jusqu’au fond de l’âme, mais craignant en même temps d’être la cause de quelque désagrément pour Choutikoff, Prochka se décida à élever la voix :
— Ce que disait Ivanoff n’était rien du tout ; des bêtises seulement pour plaisanter.
— Mais toi, n’allais-tu pas lui flanquer ta main sur la figure, s’il continuait ses plaisanteries ?
— Comment, lui, Prochka, me flanquer sur la figure ! s’écria avec étonnement Ivanoff, tellement la chose lui semblait invraisemblable. Voyons, qu’il essaye pour voir, Prochka, je lui frotterai joliment la carcasse, à cette espèce de fainéant.
— Peut-être que la tienne serait aussi caressée, dit Choutikoff.
— Est-ce toi qui le ferais ?
— Oui, moi, certainement, répondit-il en domptant son agitation ; et l’expression de son visage, habituellement si douce, devint sérieuse et sévère.
Ces paroles calmèrent instantanément Ivanoff. Ce ne fut qu’après le départ de Choutikoff qu’il se hasarda à dire, en regardant Prochka avec un sourire moqueur :
— Tout de même, Choutikoff s’est choisi là un bel ami... Il n’y a pas à dire, c’est un ami « très chic » que Prochka le vidangeur.
Cet épisode eut pour résultat de calmer le mauvais vouloir de l’équipage, qui savait que Prochka avait désormais un défenseur ; il ne fit que resserrer encore plus étroitement l’attachement du malheureux envers Choutikoff. Peu après, Prochka devait avoir l’occasion de montrer de quel degré de dévouement était capable son cœur reconnaissant.
Le croiseur naviguait dans l’océan Indien, en route pour les îles de la Sonde.
Ce matin-là, le jour s’était levé brillant et ensoleillé, mais la température était assez froide ; on sentait que le pôle Sud n’était pas très éloigné. Il soufflait une brise régulière et assez forte. Dans le ciel couraient des nuages duvetés d’un blanc neigeux dont le changeant assemblage dessinait des formes élégantes et fantastiques.
Secoué par un roulis modéré, emporté par un courant favorable, notre croiseur fuyait à une allure constante, sous ses huniers au ris de chasse, sa misaine et sa grand’voile.
Dix heures allaient bientôt sonner. Tout le monde était sur le pont, les hommes de quart à leur poste, les autres au travail du nettoyage. Chacun s’occupait activement de son affaire : celui-ci à nettoyer les cuivres, celui-là à racler la peinture de la chaloupe, tel autre à amarrer un paillet.[7] Debout sur les porte-haubans, Choutikoff, qu’une ceinture de chanvre retenait aux cordages, s’apprenait à jeter la ligne de sonde. Tout près de lui, Prochka procédait à l’astiquage d’un canon. Il interrompait fréquemment son travail pour admirer Choutikoff, lorsque celui-ci, après avoir retiré la ligne de sonde qu’il lovait en cercles, la rejetait habilement avec le geste d’un homme lançant un nœud coulant ; puis, la ligne une fois tendue, la tirait à lui d’un mouvement adroit et rapide.
Tout à coup, de la dunette, retentit le cri sinistre :
« Un homme à la mer ! »
Trois secondes ne s’étaient pas écoulées que de nouveau on entendit crier :
« Un autre homme à la mer ! »
Un silence de mort s’établit instantanément sur le croiseur. Beaucoup de matelots se signèrent, pris d’épouvante.
L’enseigne de quart, qui se tenait sur la passerelle, vit passer devant ses yeux le corps d’un matelot précipité brusquement dans le vide, puis, presque immédiatement, celui d’un autre qui se jetait derrière lui.
Le cœur lui manqua, mais il ne perdit pas la tête. Il se hâta de jeter à la mer une des ceintures de liège accrochées près de lui, cria de lancer une bouée de sauvetage de la dunette, et, d’une voix forte, bien qu’agitée par l’émotion, commanda :
— À carguer la misaine et le grand mât !
Au premier cri d’alarme, tous les officiers étaient sortis du carré. Le commandant et le second, tous deux émus, se trouvaient déjà sur la passerelle.
— Il me semble qu’il a pu saisir la bouée, dit le commandant, abandonnant pour un instant sa jumelle. Timonier, ne quitte pas l’œil de la lunette !
— Oui... je les vois !
— Vite, plus vite, mettez en panne et amenez la baleinière, commanda le capitaine d’une voix nerveuse et saccadée.
Il n’était pas besoin de hâter la manœuvre. Les matelots, comprenant que chaque seconde était précieuse, travaillaient comme des enragés. Huit minutes après l’accident, le croiseur était déjà en panne et la baleinière avec ses hommes, sous le commandement de l’aspirant Liessovoï, descendait lentement de ses bossoirs.
— Que Dieu vous soit en aide ! leur dit le capitaine. Cherchez les hommes par le nord-ouest-ouest... Mais n’allez pas trop loin !
Déjà les deux hommes tombés à la mer n’étaient plus visibles, car, pendant ces huit minutes, le croiseur avait au moins parcouru l’espace d’un mille.
— Quels sont les hommes qui sont tombés ? demanda le capitaine au second.
— Choutikoff ; il a été précipité de son poste pendant qu’il jetait la sonde, sa ceinture s’est rompue.
— Mais l’autre ?
— C’est Gitine, qui s’est précipité à la suite de Choutikoff.
— Comment, Gitine ! ce lambin, ce poltron, dit le capitaine étonné.
— C’est en effet inconcevable ! répondit Vassili Ivanovitch.
Cependant, tous les yeux étaient rivés sur la baleinière, qui s’éloignait lentement du bord, tantôt disparaissant, puis reparaissant au milieu des lames. À la fin, elle échappa complètement à l’œil nu. Ce ne fut plus qu’un point imperceptible au milieu des vagues agitées de l’océan.
Un morne silence régnait sur le croiseur. C’est à peine si, de temps en temps, les matelots échangeaient quelques mots à voix basse. Le commandant ne quittait point sa jumelle ; le premier pilote et les deux timoniers avaient l’œil collé aux longues-vues.
Une grande demi-heure se passa ainsi.
— La baleinière revient ! s’écria un timonier.
De nouveau, tous les regards sondèrent l’océan.
— Certainement, ils ont sauvé nos gens ! dit le second au capitaine à voix basse.
— Qui vous le fait croire, Vassili Ivanovitch ?
— Liessovoï, sans cela, ne serait pas revenu si vite.
— Plaise à Dieu qu’il en soit ainsi !
Ballotté par les lames, la baleinière se rapprochait du navire. On eût dit, de loin, une frêle coquille prête à s’engloutir à chaque seconde, lorsque, soulevée un moment sur la crête des vagues, elle venait à descendre de nouveau.
— Quel brave marin que ce Liessovoï, comme il gouverne bien ! s’écria le capitaine, qui suivait les mouvements de l’embarcation d’un œil avide. La baleinière se rapprochait toujours.
— Ils y sont tous deux, cria le timonier d’un accent joyeux.
Un soupir de satisfaction s’échappa de toutes les poitrines, un grand nombre de matelots se signèrent. La vie renaissait sur le croiseur, où de nouveau se firent entendre des bruits de conversations.
— L’aventure s’est heureusement terminée, dit le capitaine, dont le sérieux visage s’éclaira d’un bon son rire de contentement auquel répondit également un sourire de Vassili Ivanovitch.
— Ce Gitine, qui avait tout l’air d’un poltron, d’un canard, voyez pourtant ! continua le capitaine.
— C’est étonnant... Penser que ce propre à rien de matelot s’est jeté à la mer pour sauver un camarade !... Mais il faut dire que ce camarade, c’était Choutikoff qui le protégeait, ajouta le second comme explication.
Tout l’équipage était dans l’admiration. Prochka devint le héros du moment.
Dix minutes après, la baleinière était hissée heureusement sur ses bossoirs.
Rouges, mouillés, trempés de sueur, la poitrine haletante des efforts qu’ils venaient de faire, les rameurs sortirent de la baleinière et se dirigèrent vers l’avant, accompagnés de Choutikoff et de Prochka, qui se secouaient comme des canards, pâles, émus, heureux.
Maintenant tous considéraient avec respect Prochka, placé en face du commandant qui s’était avancé à sa rencontre.
— Tu es un brave, Gitine ! dit celui-ci, involontairement surpris à la vue de ce matelot si laid, si disgracieux, si gauche, qui venait pourtant de risquer sa vie pour un camarade.
Prochka, se dandinant d’un pied sur l’autre, avait perdu contenance.
— Maintenant, va, rhabille-toi bien vite, et tu boiras un bon verre de vodka à mon compte... Je te proposerai pour la médaille à cause de ton exploit ; et je te donnerai aussi de l’argent en récompense.
Complètement ahuri, Prochka n’eut même pas la présence d’esprit de répondre : « Je ferai tout mon possible,[8] » il sourit de l’air d’un homme qui a perdu la tête et s’éloigna avec son balancement de canard.
— Appareillez pour se remettre en route ! commanda le capitaine en remontant sur la passerelle.
À son tour retentit la voix de commandement de l’officier de quart, qui résonnait maintenant calme et joyeuse. Bientôt les voiles furent orientées à nouveau : cinq minutes après le croiseur, doucement soulevé par les lames, reprenait son allure précédente, pendant que le travail interrompu recommençait sur le pont.
— Dis donc, toi, tu vas bien. Que la puce te mange[9] ! dit Lavreutitch à Prochka, lorsque celui-ci, rhabillé, réchauffé par un verre de rhum, remonta sur le pont à la suite de Choutikoff. Pour un tailleur, tu es un gaillard déterminé, ajouta-t-il en lui frappant amicalement sur l’épaule.
— Camarades, sans Prokor, je ne serais plus de ce monde ! Après mon plongeon, lorsque je revins sur l’eau, je me dis : « Je suis perdu !... il faut rendre son âme à Dieu... » raconta Choutikoff. Je ne pourrai jamais me tenir assez longtemps sur l’eau... Mais, tout à coup, j’entends la voix de Prokor qui m’appelle... Je le vois qui nage vers moi avec la ceinture de sauvetage et qui me la tend... Ah ! camarades, que j’étais heureux de le voir, car c’est grâce à cette ceinture que nous avons pu nous soutenir ensemble jusqu’à l’arrivée de la baleinière.
— Mais ça devait être terrible ? demandèrent les matelots.
— Vous pouvez le croire ! Ah ! oui, camarades, la situation était terrible ! Mais Dieu ne nous a pas abandonnés ! répondit Choutikoff avec un sourire de bonheur.
— Et toi, camarade, comment cette idée t’est-elle venue ? demanda à Prochka, d’une voix caressante, Tschoukine qui s’était approché.
Prochka eut un sourire niais, et ne se décida qu’après un silence à répondre :
— Mais je ne pensais à rien, Matweï Wilitch... Seulement je vois Choutikoff tomber... alors, je me jette après lui en appelant Dieu à mon aide... et voilà tout !
— Oui, c’est certain... Il y a une âme en lui... Ah ! le brave Prokor ! Tiens, fume ma pipe pour la peine, dit Tschoukine, qui lui présenta son brûle-gueule comme signe de faveur spéciale, en accompagnant le geste d’un juron épicé, débité de l’accent le plus tendre.
Depuis cette époque, Prochka cessa d’être le paria Prochka, et ne fut désormais appelé que Prokor.
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Texte établi par la Bibliothèque russe et slave, avec le concours de Marc Szwajcer ; déposé sur le site de la Bibliothèque le 23 mars 2013.
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Les livres que donne la Bibliothèque sont libres de droits d'auteur. Ils peuvent être repris et réutilisés, à des fins personnelles et non commerciales, en conservant la mention de la « Bibliothèque russe et slave » comme origine.
Les textes ont été relus et corrigés avec la plus grande attention, en tenant compte de l’orthographe de l’époque. Il est toutefois possible que des erreurs ou coquilles nous aient échappé. N’hésitez pas à nous les signaler.
[1] Danse populaire russe.
[2] Que le diable t’emporte !
[3] Les matelots appelaient fonctionnaires tous ceux qui ne comptent pas dans le rang, c’est-à-dire les fourriers, l’infirmier, le commis aux vivres, le second maître. — (Note de l’auteur).
[4] Fils de Simon. — Ignatoff est le nom de famille du matelot. — Pour témoigner sa déférence à une personne, un Russe l’interpelle par son prénom suivi du prénom de son père. — (Note du traducteur)
[5] Dans la langue russe, les diminutifs de mépris se terminent par la terminaison ka. Exemple : Varia (Basile), diminutif de mépris, vaska; mais les diminutifs d’affection se terminent aussi en enka ou inka. Exemple : vacia diminutif d’affection ; Vacinka. Dans ce dernier cas, la désinence ka avec laquelle on forme les diminutifs affectueux est presque toujours précédée d’une autre lettre, de telle sorte que les désinences sont ouchka ou enka. (Note du traducteur.)
[6] Maritime. Sur les anciens navires, plate-forme triangulaire, formant saillie à l’extrême avant, où les matelots lavaient leur linge et où se trouvaient les latrines. (Note de la BRS)
[7] Mar. Natte ou garniture en filin qui est parfois appliquée sur les manœuvres dormantes pour les protéger contre les frottements. (Note de la BRS)
[8] Formule usitée chez les Russes pour répondre à un supérieur qui fait un compliment à un subalterne.
[9] Que le diable t’emporte !