LA BIBLIOTHÈQUE RUSSE ET SLAVE

 LITTÉRATURE RUSSE

 


Vladimir Odoïevski

(Одоевский Владимир Фёдорович)

1803 – 1869

 

 

 

 

LA VILLE SANS NOM

CINQUIÈME DES NUITS RUSSES

(Город без имени)

 

 

 

1839

 

 

 

 

 


Traduction de Morgan Malié, 2012.

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TABLE

 

PRÉFACE DES NUITS RUSSES

CINQUIÈME NUIT — LA VILLE SANS NOM


 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nel mezzo del cammin di nostra vita

Mi ritrovai per una selva oscura

Che la diritta via era smaritta.

 Dante. Inferno[1]

 

Lassen sie mich nun zuvorderst

gleichnissweise reden ! Bei schwer

begreiflichen Dingen thut man wohl

sich auf diese Weise zu helfen.

 Goethes Wilhelm Meisters

 Wanderjahre.[2]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PRÉFACE DES NUITS RUSSES

En tout temps, mue par une force invincible, sans le vouloir elle-même, l’âme humaine, comme un aimant vers le nord, se tourne vers les questions dont la résolution se cache dans la profondeur des éléments mystérieux formant et liant la vie spirituelle et la vie matérielle ; rien n’entrave cette attraction, ni les peines ni les joies de l’existence, ni l’activité effrénée, ni l’humble méditation ; cette ambition est si constante qu’il semble parfois qu’elle existe indépendamment de la volonté de l’homme, ainsi que les fonctions physiques ; les siècles passent, tout est dévoré par le temps : les concepts, les mœurs, les habitudes, le sens et la forme des entreprises humaines ; toute la vie passée sombre dans un gouffre insondable, mais les questions étranges surnagent au-dessus du monde englouti ; au terme de longues luttes, de doutes, de plaisanteries — une nouvelle génération, comme la précédente dont elle s’était moquée, éprouve la profondeur de ces mêmes éléments mystérieux ; le cours des siècles varie leurs noms, modifie même la compréhension qu’on peut en avoir, mais ne change ni leur essence, ni leurs formes d’action ; éternellement jeunes, éternellement puissants, ils demeurent dans leur virginité originelle, et leur harmonie indéchiffrée se perçoit distinctement au milieu des tempêtes qui si souvent agitent le cœur de l’homme. Afin d’expliquer la haute signification de ces grandes forces agissantes, le naturaliste interroge les œuvres du monde matériel, ces symboles de la vie matérielle ; l’historien, les symboles vivants inscrits dans les chroniques des peuples ; le poète — les symboles vivants de son âme.

Dans tous les cas, les moyens d’enquête, le point de vue, les procédés, peuvent varier à l’infini : dans les sciences naturelles, les uns considèrent la nature entière dans toute son unité, comme matière de leurs investigations, et les autres — la construction harmonieuse d’un organisme pris à part ; il en est ainsi dans la poésie.

On rencontre dans l’Histoire des figures entièrement symboliques, dont la vie correspond à l’histoire intérieure de toute l’humanité à une époque donnée ; on rencontre des événements dont le déchiffrage peut signifier, d’un certain point de vue, le chemin parcouru par l’humanité dans telle ou telle direction ; tout n’est pas dit par la lettre morte des chroniques ; toute pensée, toute vie, n’y atteint pas un maturation aboutie, comme chaque plante n’atteint pas le stade de la fleur et du fruit ; mais la possibilité de son développement n’en est pas pour autant réduite à néant ; en mourant dans l’histoire, elle ressuscité dans la poésie.

Dans les profondeurs de la vie intérieure du poète, on rencontre ses propres personnages et événements symboliques ; parfois, ces symboles, à la lumière magique de l’inspiration, sont complétés par les symboles historiques ; parfois, les premiers coïncident parfaitement avec les seconds ; alors on pense habituellement que le poète investit sur les figures historiques, comme sur une victime expiatoire, ses propres visions, ses espoirs, ses souffrances ; à tort ! Le poète ne fait que se soumettre aux lois et aux impératifs de son monde ; une telle rencontre est un hasard, pouvant être ou ne pas être, car pour l’âme à l’état naturel, c’est-à-dire à l’état d’inspiration, il y a des signes plus fiables que tous les parchemins poussiéreux du monde.

Ainsi peuvent exister séparément ou conjointement les symboles historiques et poétiques ; les uns et les autres coulent depuis la même source, mais vivent d’une vie différente : les uns, d’une vie imparfaite, dans l’espace étroit de la planète ; les autres, d’une vie illimitée, dans le royaume infini du poète ; mais, hélas ! Les uns comme les autres conservent au fond d’eux-mêmes, sous plusieurs voiles, le secret intime, peut-être inaccessible à l’homme dans cette vie, mais qu’il lui est permis d’approcher.

N’accusez pas l’artiste, si sous un voile il trouve encore un autre voile, pour la même raison pour que vous ne blâmez pas le chimiste de n’avoir pas du premier coup découvert les plus simples éléments de la matière qu’il étudie, mais les plus complexes. L’antique inscription de la statue d’Isis : « Personne encore ne vit mon visage » — n’a jusqu’ici rien perdu de son sens dans tous les domaines de l’activité humaine.

Voilà la théorie de l’auteur ; vraie ou fausse, ce n’est pas son affaire. Encore quelques mots sur la forme de cette œuvre, qui s’appelle « les Nuits russes » et qui, probablement, subira la critique : l’auteur a considéré possible l’existence d’un tel drame, dont la matière n’est pas la destinée d’un seul homme, mais la destinée d’un sentiment commun à toute l’humanité, manifesté de manières variées par les figures [historico-]symboliques ; en un mot, d’un drame où ce ne serait pas le discours, soumis à des sentiments passagers, mais la vie entière d’un personnage qui servirait de question ou de réponse à la vie d’un autre.

Après ce trop long exposé théorique, il semble à l’auteur superflu d’entrer dans des explications supplémentaires ; les œuvres qui prétendent au titre d’esthétiques doivent répondre d’elles par elles-mêmes, et les défendre à l’avance par un exposé dogmatique détaillé de la théorie sur laquelle elles sont fondées, serait une injuste offense aux droits de l’artiste.

L’auteur ne peut ni ne doit terminer cette préface sans avoir dit « merci » aux personnes dont il a profité des conseils, autant qu’à celles qui ont jugé son œuvre, jusqu’à présent dispersée entre diverses revues, digne d’être traduite ; en particulier au célèbre homme de lettres berlinois Varnhagen von Ense qui, au sein de son activité infatigable et généreuse, a transmis à ses compatriotes, dans une élégante traduction de loin supérieure à l’original, quelques-unes des œuvres de l’auteur de ce livre.

Dans le chemin difficile et étrange que traverse un homme tombé dans le cercle enchanté, duquel il n’y a point d’issue, appelé littérature, c’est un plaisir d’entendre un écho à ses sentiments chez des gens qui nous sont inconnus, séparés de nous à la fois par la distance et par les circonstances de la vie.

 

* * *

 

 

 

 

 

CINQUIÈME NUIT — LA VILLE SANS NOM

 

 

Dans les vastes plaines du Haut-Canada, sur les rives désertes de l’Orénoque, se trouvent les vestiges d’édifices, d’armes de bronze, de sculptures, qui témoignent qu’autrefois des peuples éclairés habitèrent dans ces contrées, où n’errent à présent que des hordes de chasseurs sauvages.

Humboldt. Vues des Cordillères (fr.)

 

 

... Le chemin s’étendait entre des rochers couverts de mousse. Les chevaux glissaient en gravissant l’escarpement, et ils s’arrêtèrent finalement tout à fait. Nous fûmes contraints de sortir de la calèche...

Alors seulement nous remarquâmes au sommet d’une falaise presque inaccessible quelque chose qui avait l’air d’un homme. Ce fantôme en épantcha noire était assis, immobile et dans un profond silence, entre des tas de pierres. En nous approchant de la falaise, nous vîmes de quelle manière cet être avait pu gravir la hauteur grâce aux parois nues et presque verticales. Le courrier répondit à nos questions, disant que cette falaise servait depuis quelques temps d’habitation à l’homme noir, et on prétendait au bureau de police que cet homme noir en descendait rarement, et seulement pour aller chercher de la nourriture, et qu’il y retournait ensuite, errant tristement toute la journée entre les rochers, ou s’asseyant immobile comme une statue.

Ce récit avait piqué notre curiosité. Le courrier nous indiqua un étroit escalier qui menait à la hauteur. Nous lui donnâmes un peu d’argent afin qu’il nous attendît tranquillement, et après quelques minutes nous étions déjà sur la falaise.

C’est un étrange tableau qui se présenta à nous. La falaise était jonchée de fragments de rochers qui semblaient former des ruines. Tantôt la main étrange de la nature, ou bien l’art antique immémorial, les avait étendus en une longue ligne sous l’apparence de murs, tantôt les avait jetés comme les restes d’une voûte écroulée. À certains endroits, l’imagination trompée voyait l’apparence d’un péristyle ; les jeunes arbres montraient différentes directions à cause des débris ; la cuscute perçait entre les ruines et en complétait le charme.

Le bruissement des feuilles fit se retourner l’homme noir. Il se leva, monta sur un rocher qui paraissait un piédestal et nous regardait avec un certain étonnement, mais sans dépit. L’aspect de l’inconnu était sévère et majestueux : dans ses profondes orbites brillaient de grands yeux noirs ; ses sourcils étaient inclinés comme ceux d’une personne habituée à une méditation continuelle ; debout, l’inconnu semblait encore plus grand à cause de son épantcha noire, qui glissa de son épaule gauche d’une manière pittoresque et tomba à terre.

Nous cherchâmes à nous excuser d’avoir troublé sa solitude... — Il est vrai... — dit l’inconnu après un instant de silence, — qu’il m’est rare de voir des visiteurs ; les gens vivent, les gens passent... les spectacles frappants restent sur le côté, les gens avancent, avancent — jusqu’à ce qu’eux-mêmes ne se retournent plus sur un triste spectacle...

— Il n’est pas étonnant que l’on vous rende peu visite, — répliqua l’un d’entre nous pour engager la conversation, — cet endroit est tellement désolé, — il ressemble à un cimetière.

— À un cimetière... — interrompit l’inconnu, — oui, c’est la vérité ! — ajouta-t-il avec amertume. — C’est la vérité — ici reposent les tombes de beaucoup de pensées, de beaucoup de sentiments, de beaucoup de souvenirs...

— Vous y avez probablement perdu quelqu’un de très cher à votre cœur ? — continua mon compagnon.

L’inconnu lui jeta un coup d’œil rapide ; dans ses yeux s’exprimait l’étonnement.

— Oui, monsieur, — répondit-il, — j’y ai perdu ce qui est le plus précieux dans la vie — j’y ai perdu ma patrie...

— Votre patrie ?...

— Oui, ma patrie ! Ce sont ses ruines que vous voyez. Ici, à cet endroit même, s’agitaient jadis les passions, luisait la pensée, s’élevaient vers le ciel de brillants palais ; la puissance des arts rendait perplexe la nature... À présent ne sont demeurés que des rochers recouverts par les herbes, — pauvre patrie ! J’avais prévu ta chute, j’ai gémi de tes désordres : tu n’as pas entendu mes plaintes... et le destin voulait que je te survive. — L’inconnu se jeta sur un rocher en couvrant son visage... Soudain, il se releva et s’efforça de repousser le rocher qui lui avait servi de support.

— Encore tu te tiens devant moi, — cria-t-il, — toi, coupable de tous les malheurs de ma patrie, — arrière — arrière — mes larmes ne te réchaufferont pas, colonne sans vie... les larmes sont inutiles... inutiles ?... n’est-ce pas ?... — L’inconnu partit d’un éclat de rire.

Désirant donner une autre orientation à ses pensées, qui devenaient pour nous à chaque minute plus incompréhensibles, mon compagnon demanda à l’inconnu comment s’appelait le pays au milieu des ruines duquel nous nous trouvions.

— Ce pays n’a pas de nom — il en est indigne ; autrefois il portait un nom — un nom éclatant, glorieux ; mais il l’a traîné dans la boue ; les années l’ont couvert de poussière ; il m’est interdit de lever le voile de ce sacrement...

— Permettez-vous de vous demander, — continua mon compagnon, — est-il vraiment possible que ce pays dont vous parlez ne soit indiqué sur aucune carte ?... Cette question, apparemment, surprit l’inconnu...

— Même sur une carte... — répéta-t-il après un instant de silence, — oui, c’est possible... cela doit être ainsi ; alors... au milieu des innombrables révolutions ayant ébranlé l’Europe au cours des derniers siècles, il se peut aisément que personne n’ait même prêté attention à la petite colonie établie sur cette falaise inaccessible ; elle a eu le temps de se constituer, de prospérer et... de mourir, ignorée des historiens... mais, d’ailleurs... permettez... ce n’est pas cela... elle ne devait même pas être remarquée ; le chagrin brouille mes pensées, et vos questions me troublent... Si vous le voulez... je vous raconterai l’histoire de ce pays depuis le début... Cela me sera plus facile... Une chose m’en rappellera une autre... seulement, ne m’interrompez pas...

L’inconnu remonta sur son piédestal comme sur une chaire, et d’un air grave d’orateur, il commença ainsi :

« Il y a fort longtemps — au XVIIIe siècle — tous les esprits étaient agités par les théories de l’organisation sociale ; partout on débattait des raisons du déclin et de la prospérité des États : sur la place publique comme dans les discussions universitaires, dans la chambre des jolies femmes comme dans les commentaires sur les auteurs antiques, et sur le champ de bataille.

Alors un jeune homme en Europe fut illuminé par une pensée nouvelle et originale. Autour de nous, disait-il, il y a mille opinions, mille théories ; toutes ont le même but — la prospérité de la société — et toutes s’opposent les unes aux autres. Regardons s’il n’y a pas quelque chose en commun dans toutes ces opinions. On parle des droits de l’homme, de ses devoirs : mais qui peut contraindre un homme à ne pas dépasser les limites de son droit ? Qui peut contraindre un homme à accomplir pieusement son devoir ? Une seule chose — son propre intérêt ! C’est en vain que vous affaiblirez les droits de l’homme, quand son intérêt personnel incline vers leur conservation ; c’est en vain que vous lui prouverez la sainteté de son devoir, quand son intérêt est dans sa contradiction. Oui, l’intérêt est le moteur essentiel de toutes les actions de l’homme ! Ce qui est inutile est nuisible, ce qui est utile est permis. Voilà l’unique fondement solide de la société ! L’intérêt, et l’intérêt seul — c’est lui qui sera votre première et votre dernière loi ! Que de lui proviennent toutes vos décisions, vos occupations, vos mœurs ; que l’intérêt remplace ces fondations précaires nommées ici conscience, ici sentiment naturel, toutes ces chimères poétiques, toutes ces inventions de philanthropes — et la société atteindra une prospérité durable.

Ainsi parlait le jeune homme dans le cercle de ses camarades, et il s’appelait — je n’ai pas besoin de le nommer — Bentham.

Ses brillantes conclusions, construites sur des fondements si solides, si positifs, en enflammèrent beaucoup. Au milieu de l’ancienne société, il était impossible d’amener à sa réalisation l’ambitieux système de Bentham : celui-ci s’opposait à la fois aux vieilles gens, aux vieux livres et aux vieilles croyances. L’émigration était à la mode. Les riches, les artistes, les marchands, les artisans vendaient leur propriété, se munissaient de pièces agricoles, de machines, d’instruments mathématiques, prenaient place dans un bateau et se mettaient à rechercher quelque coin inoccupé du monde où l’on pouvait tranquillement, loin des rêveurs, donner l’existence à ce brillant système.

À cette époque, la montagne sur laquelle nous nous trouvons à présent était ceinte de tous côtés par la mer. Je me souviens encore quand les voiles de nos bateaux flottaient au gré du vent dans le port. La position inaccessible de cette île plut à nos voyageurs. Ils jetèrent l’ancre, sortirent sur le rivage, n’y trouvèrent nul habitant et occupèrent la terre en vertu du droit du premier occupant.

Tous ceux qui ont établi cette colonie étaient des gens plus ou moins cultivés, dotés de l’amour des sciences et des arts, se distinguant par la délicatesse du goût, habitués à des plaisirs raffinés. La terre fut bientôt défrichée ; d’énormes édifices s’en élevèrent comme d’eux-mêmes ; tous les caprices et toutes les commodités de la vie s’y trouvaient rassemblés ; machines, fabriques, bibliothèques, tout apparut à une vitesse indicible. Le meilleur ami de Bentham, élu gouverneur, animait tout de sa forte volonté et de son esprit éclairé. Remarquait-il quelque part le plus petit relâchement, la plus petite négligence — il prononçait le mot magique : profit — et tout rentrait dans l’ordre ; les bras paresseux se relevaient, la volonté éteinte se ranimait ; bref, la colonie prospérait. Pénétrés de reconnaissance envers le responsable de leur prospérité, les habitants de l’île heureuse érigèrent sur la place principale une statue colossale de Bentham, et gravèrent sur le socle en lettres d’or : profit. De longues années s’écoulèrent de la sorte. Rien ne troublait la sérénité et les plaisirs de l’île heureuse. Au tout début faillit s’engager une dispute à propos d’un sujet assez important. La plupart des premiers colons, attachés à la foi de leurs pères, jugèrent indispensables de construire un temple pour les habitants. Bien entendu, une question surgit immédiatement : était-ce utile ? Et beaucoup affirmèrent qu’un temple n’est pas une espèce de manufacture et donc, en conséquence, qu’elle ne pouvait apporter aucun profit sensible. Mais les premiers répliquèrent que le temple est nécessaire afin que les prédicateurs puissent sans cesse rappeler aux habitants que le profit est le seul fondement de la morale et l’unique loi pour toutes les actions de l’homme. Tous en convinrent, et le temple fut construit.

La colonie était florissante. L’activité commune dépassait toute probabilité. Les habitants de tous rangs se levaient du lit tôt le matin, craignant de perdre vainement la moindre parcelle de leur temps, et chacun vaquait à son ouvrage : l’un travaillait sur une machine, l’autre défrichait une nouvelle terre, le troisième faisait fructifier l’argent — à peine avaient-ils le temps de manger. En société il n’y avait qu’une seule conversation : avec quoi, de quoi tirer profit ? Une quantité de livres parut sur cette question — que dis-je ? — il ne paraissait que des livres de ce genre. La jeune fille, au lieu de romans, lisait un traité sur la filature ; le garçon de douze ans commençait déjà à économiser de l’argent en vue de se constituer un capital pour des tractations commerciales. En famille, il n’y avait ni plaisanteries ni dispersions inutiles ; chaque minute de la journée était comptée, chaque geste pesé, et rien ne se perdait gratuitement. Nous n’avions pas une minute de tranquillité, pas une minute de ce que les autres appelaient le loisir ; la vie se mouvait sans cesse, tournoyait, crépitait.

Quelques-uns des artistes proposèrent de construire un théâtre. Les autres trouvaient un tel établissement parfaitement inutile. La discussion dura longtemps ; mais ils décidèrent finalement qu’un théâtre pouvait être un établissement utile, si toutes ses représentations avaient pour but de prouver que le profit est la source de toutes les vertus et que l’inutilité est la cause principale de tous les malheurs de l’humanité. À cette condition, le théâtre fut construit.

Beaucoup de discussions de ce genre s’élevèrent ; mais comme le pays était gouverné par des gens maîtrisant la dialectique irréfutable de Bentham, elles se terminaient promptement dans la satisfaction générale. L’harmonie n’était pas troublée ; la colonie prospérait !

Ravis de leurs succès, les colons décidèrent de ne plus jamais changer leur législation, puisque l’expérience l’avait reconnue comme la plus haute perfection que l’homme pouvait atteindre. La colonie prospérait.

Alors de longues années s’écoulèrent encore. Non loin de nous, sur une autre île déserte, s’était installée une autre colonie. Elle se composait de gens simples, de laboureurs qui ne s’étaient pas établis là pour réaliser un quelconque système, mais simplement pour y obtenir leur subsistance. Ce que produisaient chez nous l’enthousiasme et les principes que nous sucions avec le lait maternel était chez nos voisins produit par la nécessité de vivre et par un labeur incontrôlé, mais constant. Leurs champs, leurs prés, étaient bien travaillés, et la terre, artificiellement surélevée, récompensait au centuple le travail humain.

Cette colonie voisine nous sembla un endroit fort indiqué pour ce qu’on appelle l’exploitation[3] ; nous engageâmes avec elle des relations commerciales ; mais dirigés par le mot de profit, nous ne jugeâmes pas nécessaire de ménager nos voisins ; nous empêchâmes par différentes astuces le transport de produits indispensables jusqu’à chez eux, puis leur vendîmes les nôtres trois fois plus cher ; beaucoup d’entre nous, se protégeant par toutes les formes légales, organisèrent des banqueroutes très réussies qui firent fermer leurs fabriques, ce qui servit nos intérêts ; nous brouillâmes nos voisins avec d’autres colonies et leur vînmes en aide dans ces circonstances avec un argent qui, cela va sans dire, nous revint au centuple ; nous les attirâmes dans le jeu de la bourse, dont nous sortions toujours gagnants, par des manipulations habiles ; nos agents s’établissaient chez nos voisins en usant de tous les moyens : flatterie, perfidie, corruption, menace — ils étendaient continuellement notre monopole. Tous les nôtres s’enrichirent — la colonie prospérait.

Quand nos voisins furent ruinés grâce à notre politique sage et fondée, nos dirigeants, ayant réuni quelques gens, leur soumirent une question : ne serait-il pas profitable à notre colonie de prendre à présent tout à fait possession de la terre de nos voisins affaiblis ? Tous répondirent par l’affirmative. Après celle-là, d’autres questions suivirent ; comment s’emparer de ce territoire : par l’argent ou par la force ? On répondit à cette question qu’il fallait d’abord essayer l’argent ; et si ce moyen ne parvenait pas, alors il faudrait utiliser la force. Quelques-uns des membres du conseil, bien qu’en accord avec le fait que la population de notre colonie exigeait de nouvelles terres, jugèrent qu’il serait peut-être plus conforme à la justice d’occuper quelque île inhabitée au lieu de porter atteinte à la propriété d’autrui. Mais ces gens furent traités de dangereux rêveurs, d’idéologues ; au moyen de calculs mathématiques, on leur prouva de combien le profit serait supérieur de prendre une terre déjà travaillée plutôt qu’une terre qui n’aurait pas encore été effleurée par la main de l’homme. Il fut décidé d’envoyer à nos voisins une proposition de concession de terrain pour une certaine somme. Ceux-ci refusèrent... Alors, tirant le bilan des coûts d’une guerre et du profit que pourrait nous rapporter la terre de nos voisins, nous les attaquâmes à main armée et anéantîmes ceux qui nous opposaient la moindre résistance ; les autres furent contraints de s’exiler dans des pays lointains, et nous prîmes possession de l’île.

C’est ainsi, à la mesure de nos besoins, que nous agîmes aussi en d’autres circonstances. Les malheureux habitants des terres avoisinantes ne semblaient les cultiver que pour devenir nos victimes. Ayant sans cesse en vue notre propre intérêt, nous considérions tous les moyens permis contre nos voisins : l’intrigue politique et la tromperie comme la corruption. Comme par le passé, nous brouillions nos voisins entre eux pour amoindrir leur force et soutenions les plus faibles afin qu’ils se dressassent contre les plus forts. Peu à peu, toutes les colonies avoisinantes, les unes après les autres, tombèrent en notre pouvoir — et Benthamia devint un état redoutable et puissant. Nous nous glorifiions de nos exploits et donnions en exemple à nos enfants ces hommes héroïques qui, par les armes, et plus souvent par la tromperie, avaient enrichi notre colonie. La colonie prospérait.

De longues années s’écoulèrent encore. Peu après avoir soumis nos voisins, nous en rencontrâmes d’autres dont la sujétion ne fut pas aussi aisée. Des querelles s’élevèrent alors entre nous. Les villes situées aux frontières de notre État, tirant de grands profits du commerce avec l’étranger, trouvaient avantageux de rester en paix. Au contraire, les habitants des villes intérieures, à l’étroit dans un espace restreint, avaient soif d’un agrandissement des frontières de l’état et trouvaient plus profitable de susciter la querelle avec les voisins, — ne serait-ce que pour se débarrasser de l’excédent de notre population. Les avis étaient partagés. Les deux partis parlaient d’une seule et même chose : de l’intérêt général, sans remarquer que chacun, dans ce mot, ne comprenait que son propre intérêt. Il y en eut aussi d’autres qui, souhaitant prévenir ce différend, parlèrent d’abnégation, de concessions mutuelles, de la nécessité de sacrifier quelque chose dans le présent pour le bien des générations futures. Les deux côtés couvrirent ces gens de calculs mathématiques irréfutables ; les deux côtés appelèrent ces gens-là dangereux rêveurs, idéologues ; et l’État se divisa en deux camps : l’un d’eux déclara la guerre au voisinage, l’autre conclut avec lui un accord commercial[4].

Cette division de l’État se répercuta fortement sur sa prospérité. Le besoin apparut dans toutes les classes ; il fallait renoncer à certaines commodités de la vie auxquelles nous nous étions habitués. Cela parut intolérable. La concurrence relança l’activité industrielle, stimula la recherche de nouveaux moyens pour ramener l’aisance passée. Malgré tous leurs efforts, les Benthamites ne purent rendre à leur maison le faste perdu — et il y avait de nombreuses raisons à cela. Dans ce qu’on appelait la concurrence loyale, dans l’intense activité de tous et de chacun, il se passait souvent entre les villes ce qui s’était passé entre les deux parties de l’État. Des intérêts opposés se heurtaient ; aucun ne voulait céder à l’autre : une ville avait besoin d’un canal, l’autre d’un chemin de fer ; l’une dans une direction, la seconde dans une autre. Cependant, les opérations bancaires se poursuivaient ; mais confinées dans un espace étroit, elles devaient absolument, dans le cours naturel des choses, s’effectuer non plus sur le compte des pays voisins mais sur celui des Benthamites eux-mêmes ; et les marchands, suivant notre grand principe — le profit, se mirent tranquillement à s’enrichir par des banqueroutes, à retenir avec raison les produits pour lesquels il y avait une demande afin de les vendre ensuite au prix fort, à se lancer à fond dans le jeu de la bourse, et sous l’apparence de la sacro-sainte illimitée liberté du commerce, à constituer des monopoles. Les uns s’enrichirent — les autres se ruinèrent. Cependant, personne ne voulait sacrifier une partie de ses intérêts aux intérêts généraux quand ceux-ci ne leur amenaient pas un profit immédiat ; les canaux s’obstruèrent ; les routes ne se terminèrent pas par manque de collaboration ; les fabriques, les usines déclinèrent ; les bibliothèques se vendirent ; les théâtres fermèrent. La misère grandit et toucha tous indifféremment, les riches comme les pauvres. Elle irritait les cœurs ; des reproches, on passa aux querelles ; on sortit les épées, le sang coula, une région s’insurgea contre une autre, un village contre un autre ; la terre resta sans semence ; une récolte abondante était détruite par l’ennemi ; le père de famille, l’artisan, le marchand, étaient arrachés à leurs occupations pacifiques ; tout cela ensemble aggrava les souffrances communes.

De nombreuses années s’écoulèrent encore parmi ces batailles extérieures et intérieures, qui tantôt s’interrompaient pour un temps, tantôt reprenaient avec un nouvel acharnement. De la douleur individuelle ou collective apparut un sentiment général de découragement. Exténués par cette longue lutte, les gens tombèrent dans l’inaction. Personne ne voulut plus rien entreprendre pour l’avenir. Tous les sentiments, toutes les pensées, toutes les aspirations de l’homme se limitaient à l’instant présent. Le père de famille rentrait chez lui ennuyé et chagrin. Ni les caresses de sa femme, ni le développement intellectuel de ses enfants ne le consolaient. L’éducation semblait superflue. On ne considérait qu’une seule chose nécessaire — se procurer, de manière juste ou injuste, quelque avantage matériel. Les pères craignaient d’enseigner cet art à leurs enfants, de peur de leur fournir une arme contre leurs parents eux-mêmes ; cela même eût semblé superflu ; le jeune Benthamite, dès ses jeunes années, n’apprenait qu’une seule science des légendes antiques et des récits de sa mère : fuir les lois divines et humaines et ne voir en elles que l’un des moyens de se procurer quelque profit. Rien ne pouvait ranimer la combativité de l’homme ; rien ne pouvait le consoler dans l’affliction. Le langage divin et inspiré de la poésie était inaccessible au Benthamite. Les grands phénomènes de la nature ne le plongeaient pas dans cette méditation insouciante qui arrache l’homme aux peines terrestres. La mère ne savait pas chanter de berceuse sur le berceau de son bébé. L’élément poétique naturel avait depuis longtemps été tué par les âpres calculs de l’intérêt. La mort de cette fibre avait contaminé tous les autres éléments de la nature humaine ; toutes les pensées abstraites, communes, reliant les hommes entre eux, paraissaient des délires ; les livres, le savoir, les lois de la morale — étaient comme un luxe inutile. Des temps glorieux d’autrefois n’était resté qu’un seul mot — profit ; mais même celui-ci avait reçu un sens incertain : chacun l’interprétait à sa manière.

Bientôt, les discordes surgirent à l’intérieur de notre capitale. Aux environs se trouvaient de riches gisements de houille. Les propriétaires de ces mines en recevaient de gros bénéfices. Mais en raison de leur longue exploitation et de la profondeur grandissante des mines, elles étaient inondées. L’extraction du charbon était devenue difficile ; les propriétaires des mines en haussèrent les prix. À cause de la cherté, le reste des citadins ne purent plus accéder en quantité suffisante à ce combustible indispensable. L’hiver vint ; la pénurie de charbon se fit plus sensible. Les pauvres s’adressèrent au gouvernement. Celui-ci proposa les moyens de pomper l’eau des mines et de faciliter ainsi l’extraction du charbon. Les riches s’y opposèrent, prouvant par des calculs irréfutables qu’il leur était plus avantageux de vendre une petite quantité à prix fort que d’interrompre le travail pour assécher la mine. Des disputes commencèrent et se conclurent quand la foule des indigents, grelottants de froid, se jeta sur les mines et en prit possession, prouvant de leur côté de manière tout aussi irréfutable qu’il leur était plus avantageux de prendre gratuitement le charbon que de le payer.

De tels événements se répétaient sans cesse. Ils suscitèrent une grande inquiétude à tous les habitants de la ville, ne les épargnaient ni sur la place publique, ni dans leur propre maison. Tous voyaient la détresse générale — et personne ne savait comment y remédier. Enfin, ayant recherché partout la cause de leurs malheurs, il leur vint à l’esprit que le cause se trouvait dans le gouvernement, car ce dernier, quoique rarement, avait rappelé dans ses déclarations la nécessité de s’aider l’un l’autre et de sacrifier son intérêt à l’intérêt général. Mais tous les appels venaient trop tard ; tous les principes dans la société s’étaient mélangés ; les mots avaient changé de sens et l’intérêt général même ne semblait qu’un rêve ; l’égoïsme était l’unique principe sanctifié ; les insensés accusaient leurs dirigeants du crime le plus affreux : la poésie. « Qu’avons nous à faire de ces dissertations philosophiques sur la vertu, le sacrifice, la valeur civique ? Quel pourcentage d’intérêt nous ont-ils rapporté ? Aidez-nous dans nos besoins essentiels, positifs ! » criaient les malheureux, sans savoir que le mal essentiel était dans leur propre cœur. « Qu’avons-nous à faire — disaient les marchands — de ces savants et de ces philosophes ? Est-ce bien à eux de gouverner la ville ? C’est nous qui nous occupons des affaires importantes ; nous recevons de l’argent, nous payons, nous achetons les produits de la terre, nous les vendons, nous apportons le véritable profit : nous devons gouverner ! » Et tous ceux chez lesquels se trouvait encore ne serait-ce qu’une étincelle du feu divin furent chassés de la ville en tant que dangereux rêveurs. Les marchands prirent le pouvoir et le gouvernement se mua en société par actions. Disparurent toutes les grandes entreprises qui ne pouvaient amener un profit immédiat ou dont le but demeurait peu clair au regard étroit et intéressé des commerçants. La perspicacité des gouvernants, la prévoyance avisée, le redressement des mœurs — tout ce qui n’était pas orienté vers une fin commerciale, en un mot, tout ce qui ne gonflait pas les pourcentages, était qualifié de rêverie. La féodalité bancaire triompha. Les sciences et les arts se turent tout à fait ; il n’y avait plus de nouvelles découvertes, d’inventions, de perfectionnements. La population en augmentation nécessitait de nouvelles forces industrielles ; mais l’industrie suivait la vieille ornière banale et ne répondait plus aux besoins croissants.

Des cataclysmes naturels inattendus s’abattirent : des tempêtes, des vents pestilentiels, des épidémies, des famines... L’homme humilié inclinait la tête face à eux, et la nature, par sa puissance indomptée, anéantissait d’un souffle les fruits de ses efforts passés. Toutes les forces humaines dépérissaient. Même des projets ambitieux qui auraient pu à la longue relancer l’activité commerciale, mais qui nuisaient dans l’immédiat aux profits des marchands au pouvoir, étaient appelés préjugés. La duperie, les fraudes, les banqueroutes préméditées, le mépris total de la dignité humaine, l’idolâtrie de l’or, l’assouvissement des plus viles exigences de la chair — devinrent choses manifestes, autorisées, nécessaires. La religion devint une affaire tout à fait accessoire ; la moralité se limita à présenter des comptes exacts ; les activités intellectuelles — à rechercher des moyens de tromper sans perdre son crédit ; la poésie — à la balance des livres de compte ; la musique — au vacarme monotone des machines ; la peinture — au dessin technique. Il n’y avait rien pour soutenir, stimuler, consoler l’homme ; nul endroit pour s’oublier ne serait-ce qu’un moment. Les sources mystérieuses de l’esprit s’étaient taries ; il y avait bien une sorte de soif qui torturait, mais les gens ne savaient pas quel nom lui donner. Les souffrances générales s’accrurent.

À cette époque, sur la place publique d’une de nos villes, apparut un homme, pâle, les cheveux en désordre, vêtu d’un linceul. « Malheur, s’exclamait-il en répandant des cendres sur sa tête, malheur à toi, pays indigne ; tu as rossé tes prophètes, et tes prophètes se sont tus ! Malheur à toi ! Regarde comme dans les nues se rassemblent déjà des nuages menaçants ; ou bien ne crains-tu pas que le feu céleste ne se précipite sur toi et consume tes villages et tes champs ? Ou bien te sauveront-ils, tes palais de marbre, tes habits luxueux, tes amas d’or, tes foules d’esclaves, ton hypocrisie et ta perfidie ? Tu as dépravé ton âme, tu as donné ton cœur à vendre et oublié tout ce qui est grand et sacré : tu as brouillé le sens des mots et nommé l’or, le bien, et le bien — l’or, la fourberie, l’intelligence, et l’intelligence, la fourberie ; tu as méprisé l’amour, tu as méprisé la science de l’esprit et la science du cœur. Tes palais chuteront, tes habits se déchireront, tes rues et tes places se couvriront d’herbe, et ton nom sera oublié. Moi, dernier de tes prophètes, je t’en conjure : abandonne le commerce et l’or, le mensonge et l’indignité, ranime les pensées de l’esprit et les sentiments du cœur, ne te prosterne pas devant les autels des idoles, mais devant celui de l’amour désintéressé... Mais j’entends la voix de ton cœur endurci ; mes paroles frappent en vain tes oreilles : tu ne te repentiras pas — je te maudis ! » Sur ces paroles, l’orateur tomba face contre terre. La police dispersa la foule des badauds et emmena le malheureux dans un asile de fous. Après quelques jours, les habitants de notre ville furent réellement frappés par un terrible orage. On aurait dit que le ciel entier était en flammes ; les nuées étaient déchirées par les éclairs bleu vif ; les coups de tonnerre se succédaient sans interruption ; des arbres furent déracinés ; de nombreux édifices dans notre ville furent détruits par la foudre. Mais il n’y eut pas d’autre malheur ; ce n’est qu’après quelques temps que dans le « Prix Courant », notre unique journal, nous lûmes l’article suivant :

« Le savon reste stable. Les bas de coton baissent de vingt pour cent. Il y a de la demande d’imprimé. »

P. S. Nous nous hâtons d’informer nos lecteurs qu’un orage a causé, il y a deux semaines, des dommages terribles dans une zone de cent milles autour de notre cité. Beaucoup de villes ont été réduites en cendre par la foudre. Pour comble de malheur, un volcan s’est formé dans une montagne proche ; la lave qui en a coulé a détruit ce qui avait été épargné par l’orage. Des milliers d’habitants ont perdu la vie. Heureusement pour les survivants, la lave durcie leur offre une nouvelle ressource pour l’industrie. Ils en cassent des morceaux multicolores et fabriquent avec des bagues, des boucles d’oreilles et d’autres ornements. Nous conseillons à nos lecteurs de mettre à profit la situation malheureuses de ces artisans. Par nécessité, ils vendent leurs produits pour presque rien, et l’on sait que tous les objets faits de lave peuvent être revendus avec un bénéfice important, etc. »

Notre inconnu s’interrompit. « Que dire de plus ? Notre vie artificielle, fondée sur les échanges commerciaux, ne pouvait pas se prolonger bien longtemps.

Quelques siècles s’écoulèrent. Aux marchands succédèrent les artisans. « Qu’avons-nous à faire, criaient-ils, de ces gens qui profitent des fruits de notre labeur et s’enrichissent, tranquillement assis derrière leur bureau ? Nous travaillons à la sueur de notre front ; nous savons ce qu’est le travail ; sans nous, ils ne pourraient pas subsister. Nous apportons le véritable profit : nous devons gouverner ! » Et tous ceux chez qui se cachait encore ne serait-ce qu’une sorte de vision globale des choses furent chassés de la ville ; les artisans se proclamèrent dirigeants, et le gouvernement se transforma en atelier. L’activité commerciale disparut ; les œuvres artisanales emplirent le marché ; il n’y avait pas de centre de vente ; les voies de communications furent coupées par l’incompétence des dirigeants ; l’art de gérer les capitaux se perdit ; l’argent se fit rare. Les souffrances générales s’accrurent.

Après les artisans vinrent les laboureurs. « Qu’avons-nous à faire, criaient-ils, de ces gens qui s’occupent de futilités et, assis dans leurs maisons douillettes, mangent le pain que nous produisons à la sueur de notre front, nuit et jour, dans le froid comme dans la canicule ? Que deviendraient-ils si nous ne les nourrissions pas des fruits de notre labeur ? Nous apportons le véritable bénéfice à la ville ; nous connaissons ses besoins primordiaux, nécessaires : nous devons gouverner ! » Et ceux dont la main n’avait pas l’habitude du rude travail de la terre furent chassés de la ville.

Des événements similaires, avec quelques différences, se produisaient aussi dans les autres villes de notre pays. Ceux qui avaient été chassés d’une région trouvaient dans une autre un refuge provisoire ; mais la nécessité se faisant plus rude les forçaient à en chercher un nouveau. Pourchassés de contrées en contrées, ils se regroupaient en hordes et trouvaient leur subsistance les armes à la main. Les champs étaient piétinés par les chevaux ; les récoltes étaient détruites avant de parvenir à maturité. Les laboureurs furent contraints, pour se défendre face aux pillages, d’abandonner leur ouvrage. Seule une petite partie de la terre était ensemencée et, cultivée dans l’agitation et l’inquiétude, elle apportait un maigre fruit. Livrée à elle-même, sans le secours de l’art, elle se couvrait d’herbes sauvages, de broussailles ou de sable marin. Il n’y avait plus personne pour signaler les moyens efficaces que la science aurait pu offrir pour prévenir la misère générale. La famine, avec toutes ses horreurs, dévasta notre pays comme un torrent enragé. Le frère tuait le frère d’un débris de charrue et lui arrachait une maigre pitance de ses mains ensanglantées. Les édifices magnifiques de notre ville étaient depuis longtemps à l’abandon ; les navires inutiles pourrissaient dans le port. Il était à la fois étrange et effroyable de voir, à côté des palais de marbre témoins de notre grandeur passée, une foule grossière et effrénée, dans une débauche impétueuse, qui luttait pour le pouvoir ou pour sa nourriture quotidienne ! Des tremblements de terre achevèrent ce que les gens avaient commencé : ils renversèrent tous les monuments des temps anciens, les couvrirent de cendres ; le temps les recouvrit d’herbe. Des souvenirs anciens, il ne restait qu’une pierre carrée sur laquelle avait été élevée autrefois la statue de Bentham. Les habitants se retirèrent dans les forêts, où la chasse leur offrait une possibilité d’assurer leur subsistance. Séparées les unes des autres, les familles devinrent sauvages ; avec chaque génération, une partie de la mémoire du passé se perdait. Enfin, hélas ! Je vis les derniers descendants de notre glorieuse colonie se prosterner, par crainte superstitieuse, devant le piédestal de la statue de Bentham, la prenant pour une divinité antique, et lui amener en sacrifice les prisonniers capturés dans une lutte avec les autres tribus tout aussi sauvages. Lorsque, leur désignant les ruines de leur patrie, je leur demandais quel peuple avait laissé ces vestiges, ils me regardaient avec étonnement et sans comprendre ma question. Enfin moururent les derniers survivants de notre colonie, accablés par la faim, par les maladies ou achevés par les bêtes sauvages. De toute ma patrie, il n’est resté que cette pierre inanimée, et je suis seul pour pleurer et maudire. Vous, habitants des autres pays, vous, adorateurs de l’or et de la chair, racontez au monde le récit de ma malheureuse patrie... Et à présent, éloignez-vous et ne gênez plus mes sanglots. »

L’inconnu, avec fureur, saisit la pierre carrée et sembla s’efforcer de la renverser à terre de toutes ses forces...

Nous nous éloignâmes.

À la station suivante, nous essayâmes d’obtenir de l’aubergiste quelques informations sur l’ermite avec lequel nous avions parlé.

— Oh ! répondit notre aubergiste. Nous le connaissons. Il y a quelques temps de cela, il a exprimé le désir de nous dire un sermon à l’une de nos assemblées. Nous nous en sommes tous réjouis, surtout nos épouses, et nous sommes préparés à écouter le prédicateur en pensant qu’il était un homme honnête ; mais dès les premiers mots, il commença à nous invectiver, à nous démontrer que nous étions le peuple le plus déréglé de la terre entière, que la banqueroute est la chose la plus infâme qui soit, que l’homme ne doit pas penser sans cesse à accroître sa fortune, que nous mourrions immanquablement... et encore d’autres choses aussi condamnables. Notre fierté ne pouvait tolérer une telle insulte à notre caractère national, et nous avons mis l’orateur à la porte. Cela semble l’avoir touché à vif ; il est devenu fou, erre de part et d’autre, arrête les passants et leur récite des passages du sermon qu’il a composé pour nous.

 

* * *

 

— Alors ? Que dites-vous de cette histoire ? demanda Faust après avoir terminé sa lecture.

— Je ne comprends pas ce que ces gens voulaient démontrer avec leur histoire, dit Viatcheslav.

— Démontrer ? Mais rien du tout ! Comme vous le savez, au cours des expériences de chimie, les observateurs ont pour habitude de consigner un journal de tout ce qu’ils peuvent remarquer au cours de l’expérience ; sans avoir encore en vue de rien démontrer, ils notent chaque fait, bien fondé ou erroné...

— Mais quel fait y a-t-il donc ici ! cria Viktor. Ce genre de chose n’a jamais existé...

Faust. Pour mes chercheurs de l’esprit, le fait consistait en l’éclairage symbolique d’une époque qui devait, selon le cours naturel des choses, infailliblement advenir, si la douce providence n’avait pas ôté aux gens la capacité de mettre totalement à exécution leurs pensées, et si pour le bonheur de l’humanité même, chaque pensée n’était pas arrêtée dans son développement par une autre — juste ou fausse, peu importe —, mais qui, comme un flotteur, empêche l’hameçon (à l’aide duquel quelqu’un se joue de nous) de s’enfoncer au fond et de remonter toute la vase. Du reste, malgré tous les obstacles que l’humanité trouve au complet développement de la pensée de l’un de ses membres, il est pourtant bien impossible de ne pas reconnaître que le féodalisme banquier en Occident s’est engagé droit sur la route des Benthamites ; et sur l’autre hémisphère, il y a un pays qui, semble-t-il, est allé encore plus loin sur cette route ; là-bas, ce ne sont plus avec des mots ou à l’épée que se font les duels — il est devenu habituel qu’ils se fassent aux crocs.

Viatcheslav. Tout cela est bien beau, mais je ne vois pas le but de tout cela. Que voulaient démontrer ou, si vous voulez, qu’ont remarqué ces messieurs ? Que le seul intérêt matériel ne peut pas être le but de la société, ni servir de fondement à ses lois, — je souhaiterais savoir : comment auraient-ils pu se passer de cet intérêt ; selon leur système, il n’y a pas besoin de s’occuper ni du bois, ni du bétail, ni du vêtement...

Faust. Qui parle de cela ? Tout est bien, tout est bon ! Mais ce n’est pas là la question, et c’est en vain que les économistes-matérialistes veulent l’obscurcir. Je vais vous l’expliquer avec un exemple, qui n’est certes pas de la meilleure odeur ; mais pour vous, utilitaristes, c’est pourtant indifférent ; chaque chose, selon vous, a le droit d’exister simplement parce qu’elle existe. Ces gens qui emportent les déchets et la saleté de la ville lui apporte un grand intérêt : ils la préservent d’une odeur désagréable, des maladies contagieuses — sans leur aide la ville ne pourrait pas exister ; ainsi, sans doute, ce sont des gens utiles au plus haut degré, n’est-ce pas ?

Viktor. Certes.

Faust. Que se passerait-il si ces gens, fiers de leurs exploits nauséabonds, exigeaient la première place dans la société et se considéraient en droit de lui assigner son but et de la diriger par leurs actions ?

Viktor. Cela ne peut pas arriver.

Faust. C’est faux, — cela s’effectue sous nos yeux, mais dans une autre sphère : messieurs les économistes-utilitaristes, en s’occupant uniquement des leviers matériels, furètent aussi seulement parmi ces déchets, qui recouvrent pour eux le vrai but et la nature de l’humanité ; et en raison de leurs exploits nauséabonds, ensemble avec les banquiers, les fermiers, les agioteurs, les commerçants, etc. — ils se considèrent en droit d’occuper la première place de la race humaine, de lui prescrire des lois et de désigner son but. Ils tiennent dans leurs mains la terre comme la mer, ainsi que l’or et les bateaux de tous les coins du monde ; il semble qu’ils peuvent tout fournir à l’homme — mais l’homme est insatisfait, son existence est incomplète, ses besoins ne sont pas satisfaits, et il cherche quelque chose qui n’apparaît pas dans le livre de comptes.

Viktor. Mais alors n’est-ce pas aux poètes de se charger de cette affaire ?

Faust : Depuis le temps de Platon, les poètes ont été chassés de la ville ; ils contemplent les gerbes desquelles on les a couronnés ; assis sur une colline et regardant la ville, ils ne sauraient assez admirer comment tout s’anime dans la ville avec le lever du soleil et comment tout s’arrête lorsque celui-ci se couche ; mais parfois, ils relisent les discours du sage Bork sur la prospérité de l’Inde sous la direction d’une entreprise commerciale qui, comme disait le célèbre orateur, « battait une monnaie de viande humaine[5]. »

Viktor. Eh bien, messieurs, inventez donc de nouvelles lois pour l’économie politique, et nous verrons bien ce qu’il en est en fait.

Faust. Inventer ! Inventer des lois ! Je ne sais pas, messieurs, pourquoi une telle chose vous semble possible, il me semble bien parfaitement incompréhensible de trouver un tel être que quelqu’un aurait envoyé dans le monde avec pour mission d’inventer pour ce monde et pour lui-même des lois ; car il faudrait alors en conclure que ce monde même n’a aucune loi pour l’existence, c’est-à-dire qu’il existe sans exister ; je pense que dans chaque monde, les lois doivent être toutes prêtes — il n’y a qu’à les découvrir. Du reste, ce n’est pas mon affaire ; en tant que savant cité par Rostislav, je remarque seulement ce que disent les autres, et ne dis rien moi-même ; cependant je reconnais que le rôle le plus grand dans tout l’univers est joué précisément par ce qui est le moins tangible ou le moins utile. Lisez les curieux raisonnements de Carus[6] selon lesquels toutes les parties solides — les muscles, les os — sont en quelque sorte le fond de l’œuvre des parties aqueuses, autrement dit, les restes d’un organisme déjà accompli. Il semble même que l’on peut remarquer cette progression dans la nature. Plus bas nous descendons dans ses degrés, moins, malgré sa densité apparente, nous trouvons de liens, de solidités et de forces ; brisez une pierre, elle restera morcelée ; coupez un arbre — il repoussera ; et la blessure d’un animal est guérissable ; plus haut vous montez dans la sphère des éléments, plus vous trouvez de forces ; l’eau est plus faible que la pierre ; la vapeur, semble-t-il, est plus faible que l’eau ; le gaz est plus faible que la vapeur ; et en même temps, la force de ces actants grandit à mesure de leur apparente faiblesse. En montant encore plus haut, on trouve l’électricité, le magnétisme — avantages impalpables, incalculables, qui ne sont pas produits spontanément, — et ceux-là, en même temps, se meuvent et conservent en harmonie toute la nature physique. Il me semble que c’est là une prescription honnête pour les économistes. Mais il est déjà tard, messieurs, ou comme dit Shakespeare, il se fait déjà tôt ; demain je vous montrerai les notes de nos chercheurs au sujet des étranges symboles de ce monde qui sont nommés par les poètes, les artistes, etc.

— Encore un mot, dit Viktor, vous, messieurs les idéologues, en volant dans les airs, vous aimez nous mener à la baguette, nous pauvres mortels qui, comme tu dis, furètent parmi les déchets : est-il donc impossible d’être moins catégorique ? Laissons Malthus, grand bien lui fasse ; mais Adam Smith, le grand Adam Smith, père de toute l’économie politique de notre temps, ayant formé une école illustre par les noms de Say, Ricardo, Sismondi ! N’est-ce pas un peu brutal de l’accuser d’ineptie manifeste, ainsi que deux générations entières depuis lui. Est-il possible que la race humaine soit frappée d’un tel aveuglement qu’au courant d’un demi-siècle, personne n’a remarqué cette absurdité ?

Faust. — Personne ? Non, je suis le conseil de Goethe[7] : je loue sans scrupule ; mais lorsque je suis contraint de critiquer quelqu’un, je m’efforce toujours de soutenir mon opinion à l’aide d’une autorité importante. Au début de notre siècle vivait un homme du nom de Melchior Gioja, que citent les économistes anglais et français dans l’histoire de la science, par acquit de conscience, même si, vraisemblablement, aucun d’entre eux n’a eu la patience de lire la douzaine de tomes in-quarto écrits par l’humble Melchior, — c’est un exploit fantastique de profondeur de la pensée et d’érudition. En 1816, il a inclus dans son livre[8] une table que, non sans ironie, il a appelé : « État actuel de la science » ; dans celle-ci, il rassemble les différents prétendus axiomes de l’économie politique selon Adam Smith et ses disciples ; il ressort que ces gens ne se comprenaient pas eux-mêmes, malgré la clarté de l’erreur manifeste derrière laquelle ils couraient. Ainsi, par exemple, Adam Smith, le grand Adam Smith démontre que le travail est la source première, et non première, de la richesse des nations[9] ;

que le perfectionnement de l’industrie dépend entièrement et ne dépend pas de la division du travail[10] ;

que la division du travail est la cause principale et n’est pas la cause principale de la richesse des nations[11] ;

que la division du travail stimule et ne stimule pas l’inventivité[12] ;

que l’agriculture dépend et ne dépend pas des autres branches de l’industrie[13] ;

que l’agriculture rapporte et ne rapporte pas les plus gros intérêts sur les capitaux[14] ;

que le travail intellectuel est et n’est pas une force de production, c’est-à-dire d’accroissement de la richesse des nations[15] ;

que l’intérêt privé perçoit mieux et moins bien l’intérêt général que n’importe quel gouvernement[16] ;

que les intérêts privés des marchands sont liés étroitement et pas du tout liés aux intérêts des autres membres de la société[17].

C’est assez, n’est-ce pas ? J’ai cité le tableau au hasard ; mais il s’agit là des plus importants axiomes de la science. Le succès d’Adam Smith est très compréhensible ; son objectif principal était de démontrer que personne ne devait s’ingérer dans les affaires commerciales, mais qu’il fallait plutôt les laisser à ce qu’on appelle leur cours naturel et à la concurrence loyale. On peut se représenter l’admiration des commerçants anglais quand ils apprirent qu’on leur offrait, depuis la chaire professorale, le droit de spéculer, d’accaparer, de faire monter et descendre les prix à leur gré, et par un subterfuge habile, sans autre travail, de gagner au centuple, — et qu’en tout cela « ils n’avait pas seulement raison, mais ils étaient presque des saints »[18]... Depuis cette époque, des mots sonores sont devenus à la mode : « expansion du commerce », « importance du commerce », « liberté du commerce ». Avec cette dernière formule, les théories d’Adam Smith ont pénétré en France, et par l’harmonie des mots seulement, leur sens même (s’il en a un) est devenu là-bas un axiome : Adam Smith est considéré comme un grand philosophe et un bienfaiteur du genre humain ; par la suite, quelques-uns l’ont lu, et personne n’a compris ce qu’il voulait dire ; mais, malgré cela, depuis le labyrinthe sombre et embrouillé de sa pensée sont apparues beaucoup de croyances, fondées sur rien, bonnes à rien, mais qui flattaient les plus basses passions de l’homme, et qui pour cette raison se propagent dans la masse à une vitesse incroyable. Ainsi, grâce à Adam Smith et à ses successeurs, à présent, il n’y a que ce qui peut augmenter le chiffre d’affaires qui mérite les qualificatifs de pertinent, d’adéquat ; n’a droit aux épithètes de sérieux et actif que celui qui sait accroître ses bénéfices, et par l’expression inintelligible de cours naturel des choses, il faut entendre opérations bancaires, féodalisme de l’argent, agiotage, spéculation en bourse, et quelques autres activités du même genre.

— Par conséquent, remarqua Viktor, l’économie politique, selon toi, n’existe pas ?...

— Si ! Répondit Faust. Elle existe, elle est la première des sciences, sur elle, peut-être, toutes les sciences devront un jour trouver un appui solide ; seulement je dirai avec les mots de Gogol : elle existe — d’un autre côté.

 

 

 

 

 

 

 


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Texte établi par la Bibliothèque russe et slave ; déposé sur le site de la Bibliothèque le 15 juillet 2012.

 

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Les livres que donne la Bibliothèque sont libres de droits d’auteur. Ils peuvent être repris et réutilisés, à des fins personnelles et non commerciales, en conservant la mention de la « Bibliothèque russe et slave » comme origine.

 

Les textes ont été relus et corrigés avec la plus grande attention, en tenant compte de l’orthographe de l’époque. Il est toutefois possible que des erreurs ou coquilles nous aient échappé. N’hésitez pas à nous les signaler.



[1]   Au milieu du chemin de notre vie,

Je me suis retrouvé dans une forêt obscure,

Ayant perdu la bonne route dans les ténèbres de la vallée.

Dante, Enfer

[2] Laissez-moi d’abord dire une parabole sur des choses difficiles à comprendre ; peut-être que de cette manière, je pourrai apporter une aide dans notre affaire.

Goethe, Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister (all.)

[3] Heureusement, ce mot, dans ce sens, n’existe pas encore dans la langue russe ; on peut le traduire ainsi : profit sur le compte du prochain.

[4] La revue républicaine américaine "Tribune" (duquel un extrait fut publié par "l’Abeille du Nord", 21 septembre 1861, n°209, p.859, col.4), analysant les conséquences du triomphe du parti ultra-démocrate, écrit : "Un État déclarera aussitôt nuls les tarifs douaniers de l’Union, un autre s’opposera à l’impôt militaire, un troisième n’autorisera pas la poste à traverser son territoire ; en conséquence de quoi cette Union se désintégrera entièrement. »

 

[5] Cf. les discours de Bork au début de l’année 1788.

[6] Cf. Carus (« Grundzüge der vergl. Anatomie »). Ce fameux livre qui a entraîné un tournant dans la compréhension de l’organisme est connu de tout naturaliste ; nous le recommandons, ainsi qu’un autre de ce même auteur : « System der Physiologie », Dresden, 1839 — aux poètes et aux artistes, d’autant plus que dans ces livres, une profonde et positive érudition s’unit à ces éléments poétiques grâce auxquels Carus savait réunir en lui les qualités d’un grand nom de la physiologie, d’un médecin expérimenté, d’un peintre original et d’un littérateur.

[7] « Wilhelm Meisters Wanderjahre »

[8] Cf. « Nuovo prospetto delle scienze economiche », 6 v. in-4, Milano, 1816, tomo V, parte sesta, p.223. Stato della scienza [« Nouveau regard sur les sciences économiques », 6 vol., in-4, Milan, 1816, t. 5, partie 6, p. 223. État de la science (ital.)].

[9] Adam Smith (éd. fr. de 1802), t. I, p. 5 et t. IV, р. 507.

[10] Ibidem, t. Ill, p. 543 et t. I, p. 17-18 ; t. I, p. 11 et t. II, p. 215-216.

[11] Ibidem, t. I, p. 24-25 et t. I, p. 262-264 ; t. I, p. 29 et t. II, p. 370, 193, 326, 210 ; t. III, p. 323.

[12] Ibidem, t. I, p. 21-22 ; t. IV, p. 181-183.

[13] Ibidem, t, II, p. 409-410 et t. II, p. 408.

[14] Ibidem, t. II, p. 376-378, 407, 498 et t. I, p. 260-261 ; t. II, p. 401-402, 481, 483, 485, 486, 487, 413.

[15] Ibidem, t. II, p. 204-205 ; t. I, p. 213-214, 23, 262-265 et t. II, 312-313.

[16] Ibidem, t. V, p. 524, t. III, p. 60, 223, t. II, p. 344 et t. II, p. 161, 423-424, t. III, p. 492, t. II, p. 248, 289, t. I, p. 219-227.

[17] Ibidem, t. II, p. 161, t. Ill, p. 239, 208-209, 435, 54-55, 59 et t. Ill, p. 295, 145, 239, t. II, p. 164, 165, t. Ill, p. 465.

[18] Krylov.