LA BIBLIOTHÈQUE RUSSE ET SLAVE

 LITTÉRATURE RUSSE

 

 

Sémion Nadson

(Надсон Семён Яковлевич)

1862 – 1887

 

 

 

 

POÈMES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Traductions d’Isabelle Eberhardt (L’Athénée, janvier et mai 1897), Lucien Ponsinet (Travaux de l’Académie Nationale de Reims, 1893),  Angelica Balabanova (L’Humanité nouvelle , 1899), Emmanuel de Saint-Albin (Les Poètes russes, Paris, Savine, 1893), André Lirondelle (La Poésie lyrique russe, Paris, La Renaissance du livre, 1917).

 

 

 

 

 

 

 


Traductions d’Isabelle Eberhardt

 

Isabelle Eberhardt traduisit en 1897, sous le pseudonyme de Nicolas Podolinsky, plusieurs poèmes de Nadson et les envoya à la rédaction de l’Athénée  précédés de ces lignes (Note de la Bibliothèque) :

 

« Sous ce pli, — nous écrit-il, — je vous envoie deux ou trois petits poèmes de Nadson — ce que j’ai eu le temps de bâcler en vingt-quatre heures... (Je déteste traduire, comme tout autre esclavage !) Mais je tiens à faire connaître en France la belle phalange ignorée de nos poètes contemporains. Comme vous le verrez, Nadson et les autres modernes de Russie diffèrent essentiellement des vôtres... Leur idiosyncrasie est bien différente... Toute traduction en prose d’une oeuvre écrite en vers est une mutilation inévitable... Et ma prose pâle ne donnera certes qu’une idée bien affaiblie du rythme divin et de l’admirable harmonie du vers de Nadson, notre poète à nous, les femmes de sainte Russie, génie martyr qui chanta nos tristesses, nos espérances meurtries, nos révoltes passionnées et nos pensées ardentes... qui sut intégrer et dire la mélancolie profonde innée en nos âmes orientales et notre résignation fière !... Et si, à vingt-quatre ans, en pleine floraison de son génie hors ligne, la phtysie ne l’avait pas emporté, aidée par la misère et les ineptes persécutions, ce pâle jeune homme à la douce et belle figure d’apôtre ou de christ, eût été l’un des bardes les plus émouvants, les plus profonds et les plus vraiment artistes que le monde ait connus !

« Mais non, il est une fatalité sur la Pensée et sur l’art... « Odi profanum vulgus et arces... ».

« Et le vulgus triomphe quand même par la force brutale, par la persécution et la famine.

Ma tristesse et ma haine irréconciliable et farouche des oppresseurs intellectuels m’ont inspiré ces quelques pensées que je vous communique là, mon cher camarade. Vous excuserez mon exubérance orientale... (Nous applaudissons des deux mains, au contraire) Et vous accueillerez une bonne et franche poignée de mains de la part de votre

N. Podolinsky.

 

 

AVANT-PROPOS

Dédié par le traducteur à Véra Popow, méd. sud, en souvenir d’amitié.

 

Traduire l’œuvre d’un prosateur — c’est lui enlever presqu’entièrement la saveur de son originalité d’expression, la beauté de la forme...

Traduire en prose le chant mélodieux d’un poète, c’est le priver du grand charme inexpliqué du rythme et de la rime — magie évocatrice puissante de sensations infiniment ténues et délicates...

Et cependant, ne faut il pas aller partout répandre la gloire des poètes qu’enfanta le sol natal en sa mystérieuse fécondité ?...

Ne faut-il pas qu’à tous les échos de la terre viennent se répercuter les accents admirables en quoi s’exprimèrent les espoirs et les angoisses, les douleurs et les joies des Élus... et celles aussi des frères obscurs qui souffrent et qui meurent — en silence ?

Parmi ceux qui chantèrent l’âme inquiète et tourmentée de la jeunesse Russie au déclin de la si brève renaissance intellectuelle des années 1860... Siméon Yakowléwitch Nadson fut l’un des plus éloquents, des plus passionnés, l’un aussi des plus désolés...

Certes, en ses chants de douleur et de mélancolie, se reflétèrent aussi ses propres souffrances... Et elles furent cruelles, ces douleurs qui le tuèrent !

Durant sa courte vie de vingt-quatre années, il connut toutes les affres de la misère, de la lutte titanesque dans les ténèbres — et celles aussi de la maladie qui devait l’achever : la phtysie... La phtysie sur l’issue fatale de laquelle il ne s’illusionna jamais.

Il connut l’amère douleur de perdre une mère adorée, victime elle aussi du même mal héréditaire et de la même misère...

Il aima, et son Aimée lui fut enlevée à l’aurore de leur amour...

Il écouta les plaintes et les cris de révolte qui, de toutes parts, retentissaient alentour... et il les répéta en ses poèmes tour-à-tour enflammés ou désolés, d’une puissance de satire prodigieuse, ou d’une douceur infinie.

Et les Pharisiens lui jetèrent la pierre... À toute égoïste pensée, son noble cœur fut toujours fermé... On l’accusa d’hypocrisie.

Il ne songea sans cesse qu’aux souffrances d’autrui, tandis que le mal implacable achevait son œuvre de désagrégation...

À l’aube radieuse de sa vie et de son génie — il mourut...

Peu  à peu, autour de ce tombeau récent, — le silence et la paix se firent...

Mais qui de nous saurait oublier jamais celui dont la voix posthume résonnera toujours à notre oreille attentive :

« ... Où donc est la lumière, — et où est une issue ?

« ... Et je compris en mon âme que la raison n’éclairerait point le torturant chaos, et que son effort ne m’apporterait que les ténèbres de rabattement et la rage des larmes brûlantes...

« Et je maudis alors les doutes stériles, et j’interrogeai mon cœur, et par lui je résolus, ayant ouï la plainte de mes frères — sans pensées et sans raisonnements, — d’aller et de secourir, autant que j’en aurais la force.

J’ai élu pour divinités l’amour et l’universel pardon. De leur flamme sacrée, j’enflammais chacun de mes vers et j’apportais dans notre cercle amical le même chant d’amour, de tristesse et d’oubli... »

(1883).

 

 

 

Dans la Brume

 

Un temps était où, d’un pas puissant et assuré, nous entrions dans le monde.

Le doute cruel ne troublait point alors notre jeune esprit. Tels des enfants, nous avions foi en la science et le bonheur, en la vérité et les hommes.

Intrépides à toute tempête, nous exposions notre poitrine.

Fièrement, nos rêves nous appelaient à vivre pour autrui, à le servir, et tous ardemment nous souhaitions ne point vivre en vain.

Nous pensions : « Le temps est proche où nous répandrons partout la lumière, où, du poids de ses fers, nous délivrerons l’idée enchaînée, où, telle une aube miraculeuse, brilleront partout sur la terre la liberté, l’honneur, la vérité, la science et le travail noble et sacré.

Nous nous mettions en route avec le désir d’être utiles et, peu à peu, nous parvenions au terme de notre carrière. Nous marchions avec honneur, et du commencement jusqu’au crépuscule de nos jours, pour nous résonnait la voix de l’idéal : « En avant pour le monde et pour les hommes ! »

 

Mais depuis longtemps, ces années se sont envolées. La vie suivait son cours monotone.

Et avec le passé nous nous sommes à jamais séparés. Nous vécûmes d’une autre vie.

Nous oubliâmes nos aspirations... Tels des songes : elles passèrent pour nous et nos rêves d’antan nous semblent étranges et ridicules. Nous entrons dans le monde en négateurs universels, sans désir d’être utiles. Notre rire vulgaire est prêt à bafouer, sans comprendre tout ce qui est lumière. Nous traitons le sentiment de préjugé et notre sein renferme un enfer de doutes. À l’Art nous arrachâmes sa couronne d’or et nous en ceignîmes la débauche.

Et éclaboussant de la fange du dédain les âmes qui sont fortes encore, nous traversons la vie, à la sainteté attentant d’une main hardie !...

Réveille-toi donc, toi, au cœur de qui sont vivaces encore les aspirations des jours meilleurs et lumineux, toi qui n’as point étouffé en ta poitrine les généreux élans !

En avant, vers l’aube de science, luttant contre les ténèbres  épaisses de la nuit, afin que sur la terre brille de nouveau l’éblouissante lumière.

(1878).

 

En avant !

 

En avant, oublie tes douleurs, ne recule point devant l’orage, combats pour la lueur lointaine de l’aube qui a luit dans les ténèbres de la nuit !

Travaille, tant que tes bras sont forts, ne perds pas l’espérance sereine, au nom de la lumière et de la science élève ton juste flambeau !

Qu’importe, si on te stigmatise par le dédain, si avec haine le verdict hâtif de la foule te jette un reproche insensé : va, sans que ton âme s’abatte, le long de ta route frayée, exposant ta jeune poitrine à toutes les tempêtes de la vie laborieuse.

Éveille ceux qui sont endormis dans la brume profonde, tends la main à ceux qui sont tombés et, tel un rayon vivant, jette dans la foule le verbe de vérité.

(1878).

 

 

 

Il est des souffrances plus horribles que la torture elle-même : c’est l’angoisse des nuits sans sommeil, les affres des élans vigoureux, mais vains, de l’esprit hors des lourdes entraves.

Terribles sont ces instants d’orage intellectuel : la pensée s’engourdit après un long combat... Et dans la poitrine, aucune larme réconciliée, aucune bienfaisante prière !...

Le mystère, le mystère menaçant et éternel torture l’esprit fatigué par la lutte... et toute la vanité des hypothèses et des rêves, en une torture angoissante, meurtrit l’âme... Tu serais heureux de les fuir, mais où courir ? Oh, ils ne laisseront point de repos et, insidieusement, ils s’insinueront dans l’âme, tel un voleur... En un cauchemar, ils s’appesantiront sur ta poitrine. N’importe où tu seras, ils ne t’abandonneront point et, par une inféconde tristesse, ils dessécheront ton corps, si tu ne sais point te leurrer ou d’un seul coup en finir avec la vie...

(1880).

 

 

 

Notre génération ne connut point l’adolescence... La jeunesse est devenue un conte des années envolées. En notre temps, de bonne heure, la pensée empoisonne l’essor des énergies premières et la floraison des premiers sentiments.

Qui d’entre nous aima, oublieux de l’univers entier ? Qui ne renia point ses dieux ? Quelle âme ne fut point accablée en un découragement servile ? Qui ne jeta point son bouclier devant l’ennemi ? La sénilité envahit nos cœurs presque dès le berceau. L’incrédulité nous torture, le spleen nous ronge... Le désir passionné lui-même nous est inconnu et même nous haïssons dans l’ombre !...

Oh ! malédiction au sommeil qui tua en nous les forces ! De l’air, de l’espace, des discours enflammés, afin de vivre pour la vie, et non pour le sépulcre, de tout le battement des nerfs, de tout le feu de la passion ! Oh ! malédiction aux râles de l’impuissance servile ! Nous ne réparerons plus l’abattement des jours morts ! Enflammez-vous, regards ; éployez-vous, ailes ; poitrine palpitante, soulève-toi en un essor ! Au travail, solidairement, en guerre contre le vice, le cœur avec le cœur fraternel, la main dans la main, afin que nul ne puisse proférer en un reproche :

« Que n’ai-je vécu aux siècles écoulés ! »...

(1884).

 

 

 

Il est un sombre abîme, — celui de la négation. Devant lui, ne baisse point tes yeux effrayés, et, avec fermeté, le flambeau de science à la main, descends dans les froides et mornes ténèbres qui errent en lui.

Devant toi, tu rencontreras bien des horreurs, et tu briseras à jamais bien des illusions lumineuses... et, peut-être bien des fois courbant la tête, tu maudiras, sombre, l’instant de ta naissance ! Mais ne crains point, descends jusqu’au fond, sans lassitude, oublieux du luxuriant et clair printemps qui règne en fleurs au-dessus de toi, de la vie qui bruisse, se jouant de la foule qui se meut et du flot qui murmure...

Et voici, déjà tu es au fond... Comme elles sont tristes, comme elles sont désolées, les parois de roche noire qui s’élèvent alentour ; comme les ténèbres sont profondes, — les ténèbres de plomb du tombeau... (1884).

De jour en jour, il devient plus difficile de respirer et de combattre. Les lâches amis sont si prudents en amitiés, les adversaires déshonnêtes ne se lassent point de torturer... les belles paroles sont si semblables à des fantômes, si mensongères...

 

 


Traductions de Lucien Ponsinet

 

Mon ami, mon frère, mon frère souffrant et abattu,

Qui que tu sois, ne perds pas courage.

Que l’injustice et la méchanceté règnent souverainement

Sur la terre arrosée de larmes,

Que le saint idéal soit outragé et foulé aux pieds,

Et que le sang innocent soit répandu goutte à goutte,

Sois assuré que le temps approche où Baal périra,

Et où l’amour reviendra sur la terre.

Ce n’est ni couronné d’épines, ni chargé de chaînes,

Ni les épaules courbées sous la croix,

Qu’il viendra dans ce monde, mais avec toute sa force, avec toute sa gloire,

Tenant le flambeau éclatant du bonheur.

Il n’y aura plus sur terre ni larmes ni haines,

Plus de tombeaux sans croix[1], plus d’esclaves.

Plus de besoins, plus de misère noire et meurtrière,

Plus de glaives, ni de gibets.

 

O mon ami ! Cet avenir brillant n’est pas une illusion,

Ce n’est point une vaine espérance.

Regarde derrière toi : le mal est devenu trop lourd,

La nuit s’est étendue trop sombre.

Les hommes se lasseront de souffrir, ils étoufferont dans le sang,

Ils se fatigueront de la lutte :

Vers l’amour, vers l’amour pur, ils lèveront

Leurs yeux pleins d’une prière désespérée.

 

 

Je ne prie pas Celui dont mon âme ose à peine

Prononcer le nom ; étonné, déconcerté,

Devant Lui mon esprit se tait

Lorsqu’il veut l’atteindre dans son orgueil insensé.

Je ne prie pas Celui devant les autels de qui

La foule humblement s’agenouille,

L’encens fume et répand des flots de parfum,

Les feux vacillent et les chants résonnent.

Je ne prie pas Celui qu’environne la multitude

Des anges, saisis d’un frissonnement sacré,

Et dont le trône invisible derrière les astres éclatants

Règne sur les mondes épars dans l’espace,

Non, je suis muet devant Lui ! La conscience profonde

De mon néant ferme ma bouche.

Puis je reste confondu, non devant sa puissance de Roi,

Mais devant sa passion et sa croix.

Mon Dieu est le Dieu de ceux qui souffrent, un Dieu baigné de sang,

Un Dieu homme, un frère avec une âme céleste :

Devant la souffrance et l’amour pur

Je m’incline dans une prière ardente.

 

 

 

La Jeune Chrétienne

 

Les ténèbres couvrent l’orgueilleuse Rome, endormie dans l’ombre de ses jardins aux arbres séculaires ; rien ne trouble la paix de ses palais qui s’étendent en rangées silencieuses. Le calme d’un minuit de printemps règne sur ses places désertes. L’éclat capricieux de la lune tremblote sur les flots du fleuve ; le Tibre coule lumineux entre ses rivages sombres ; ses eaux, mugissantes et pensives, se hâtent vers le lointain.

 

Pressant dans ses mains le crucifix, et la tête inclinée sur sa poitrine, une jeune chrétienne sommeille entre les murs grisâtres de son cachot humide. Inutiles ont été les efforts de ses bourreaux sans pitié : ni promesses, ni tortures n’ont ébranlé sa foi. Condamnée à mort par un juge inhumain, elle va comparaître dans les cieux devant un autre Juge. Le désir de tout sacrifier au ciel l’enflamme, elle approche du terme de son supplice, du but de son chemin épineux. Elle voit en songe les champs natals, les sinuosités bleues de la rivière, les chaumières entourées d’orangers et de chênes, asiles de sa jeunesse. Elle revit les jours de ses joies paisibles ; mais ils ne réveillent en elle ni regrets ni émotions ; elle s’est habituée à regarder sans intérêt les choses de la terre. Elle ne regrette pas la vie. L’âme remplie d’espérances célestes, elle a tué en elle, sans pitié et sans larmes, l’essaim des désirs terrestres et la foule jeune des rêves splendides. Elle est prête à immoler sur l’autel du Christ et de Dieu tout ce qui ornait sa route, tout ce qui éclairait son chemin.

 

Il dort en paix, le palais de Néron, qui fièrement s’élève au-dessus du fleuve ; et tout autour, réunis comme par familles, se dressent les bosquets de peupliers à la taille svelte et droite. Obscur et embaumé de parfums, le parc repose tranquillement ; dans l’ombre murmurent les sources fraîches aux eaux limpides. À l’horizon, les montagnes échancrent le ciel de leurs dentelures élevées, et, comme un manteau, la nuit s’étend sur les forêts sacrées.

 

Tout est endormi. Seul, le triste Albin est assis pensif auprès de sa fenêtre, l’âme agitée d’une pensée pénible et désolante. Lui, l’ennemi des chrétiens, le patricien superbe, le héros éprouvé dans les combats, tient la tête penchée comme un esclave, sous le joug d’une passion qui l’étonné. Il fuit la foule, les festins et le bruit, et, sous la protection de la nuit silencieuse, une rêverie brûlante, toujours la même, dévore son cœur plein d’angoisse. Une illusion audacieuse fait luire à ses yeux le bonheur céleste. Son imagination évoque des tableaux passionnés. Dans la demi-obscurité de cette nuit printanière, il revoit une image chérie, des traits qu’il aime, des yeux pleins d’une sainte espérance. Dès que la jeune fille avait été amenée devant lui pour être jugée, son cœur insensible s’était réveillé d’un long assoupissement. La débauche du palais avait momentanément tué dans son âme les nobles aspirations. Mais la flamme de l’amour a, comme un glaive, tranché la chaîne du vice. En prononçant la peine de mort contre Marie, le fils du palais, l’enfant orgueilleux de Rome, était déjà sans le savoir un chrétien dans l’âme. Il écoutait avec une attention avide les paroles de la belle prisonnière, et la foi lumineuse jetait déjà dans son cœur des racines profondes. L’amour et la foi ont vaincu en lui les erreurs des premiers jours ; leurs charmes irrésistibles ont troublé son âme dédaigneuse.

 

Les rayons brillants de l’aube s’allumaient sur le ciel bleu, et tout autour la lumière se répandait capricieusement en flots de feu. Par derrière, le soleil resplendissait au milieu de son auréole de flammes ; voilà que son disque apparaît orgueilleusement pour éclairer l’univers. Rome se réveille ; le peuple en foule accourt avec bruit vers l’amphithéâtre. Dans le cirque, rempli jusqu’au faîte, bouillonnent les flots nuancés de la plèbe. Néron occupe une loge somptueusement décorée ; couvert d’un manteau de pourpre, étincelant d’argent et d’or, il est assis au milieu de ses courtisans. Parmi tous se distingue Albin, le jeune patricien, le cœur serré d’une pensée douloureuse, beau et morne comme la nuit.

 

La foule s’agite et murmure, impatiente, sur les places qui lui ont été assignées. Enfin, le signal est donné : la porte crie sur ses gonds rouillés, et dans l’arène s’élance une jeune tigresse... Derrière elle, d’un pas ferme, s’avance la victime, un crucifix à la main, vêtue d’une robe blanche ; dans ses yeux brille une fermeté calme. L’agitation générale s’est changée en un silence de tombeau. Saisi et charmé de cette beauté céleste, Albin pencha la tête, devenu pâle comme un mort[2] ; ........... puis, tout à coup, devant la foule apaisée retentit une voix enchanteresse.

 

« Pour la dernière fois, j’ouvre ma bouche tremblante. Pardon : ô Rome ! je meurs pour la foi en mon Christ ! Dans ce moment suprême, je pardonne à mes bourreaux ; pour eux, j’emporte au ciel ma dernière prière. Que le Sauveur ne les condamne pas pour avoir versé mon sang, mais que le divin Maître les admette dans sa grande famille ! Qu’il fasse briller dans leurs cœurs glacés la lumière de sa pure doctrine, et qu’il répande sur leur vie orageuse son paradis d’amour et de paix ! »

 

Elle se tut. Le silence régna sur toutes les lèvres ; il semblait que la pitié allait éclater dans leurs cœurs endurcis Soudain, dans l’arène, en face de la foule, parut Albin, les yeux étincelants ; il s’écria : « Je mourrai avec toi... Rome ! je suis chrétien ! »

 

Le cirque trembla, s’ébranla, se souleva comme une forêt que secoue un orage d’automne. Le fauve effrayé recula, s’adossant contre la porte fatale. Puis voilà qu’il s’avance en rampant, il se traîne sans bruit, comme un serpent... il bondit... ; un jet de sang chaud rougit la terre. À cette mort sainte, à ce martyre, Rome répond par un rire bestial ; un tonnerre sauvage d’applaudissements couvre leurs dernières paroles.

 

Ce récit nous est venu d’une antiquité lointaine ; la tradition impartiale nous a transmis les noms de ces saints. Le peuple a retenu pieusement dans sa mémoire comment les hommes de l’ancien temps savaient croire et aimer.

 

 


Traductions d’Angelica Balabanova

 

 

« Crois » disent-ils, « les doutes sont des tourments,

On ne peut dévoiler les mystères éternels

On ne peut éclairer du rayon de l’aurore désirée

Les problèmes éternels qui hantent notre esprit. »

— « Non, croyez, vous, aveugles lâches

Tremblant devant la vérité, je ne me mentirai pas à moi-même.

Je ne suivrai pas votre méprisable troupeau.

Et là où je dois savoir — je ne peux croire

Je veux savoir pourquoi de l’azur du firmament

Le soleil verse la lumière et la vie dans le flot de ses rayons,

Par qui elle est créée cette nature puissante,

La citadelle de ses monts, la profondeur de ses mers.

Je veux savoir pourquoi moi-même je suis créé dans la nature

Avec une âme qui s’ennuie de cette existence sans but,

Une âme palpitant d’amour, aspirant à la liberté

Avec la conviction de mes forces, avec un esprit pensant...

Et tant que je vis — je ne veux pas végéter dans la misérable ivresse

Ayant peur de me demander « pourquoi ? »

Mais je veux vivre de telle sorte que dans chaque jour, chaque heure et chaque moment,

Se trouve l’éternel sens qui donne le droit de vivre.

Et si ma question reste sans réponse

Et si avec amertume je me convaincs

Que je ne pourrai jamais par un rayon de l’aurore désirée

Éclairer les ténèbres environnantes,

À quoi bon alors votre vie sans but et sans signification ?!

J’étoufferai dans cette vie — j’en aurai honte.

Et plein d’orgueil et de mépris viril

Je couperai d’un seul coup comme un fil emmêlé,

Sans larmes et sans regrets la chaîne de mes jours inutiles.

 

 

 

 

Le voile est déchiré : plus d’élans nouveaux

Ni mystères attrayants, ni joie dans l’avenir,

Le calme des doutes confirmés

Les ténèbres du désespoir dans l’urne tourmentée.

Oh ! qu’on a peu vécu et beaucoup enduré !

Les espoirs radieux, et la jeunesse et l’amour

Tout cela est pleuré, raillé, oublié

Enterré et ne ressuscitera jamais.

 

J’ai cru à la fraternité mais au jour sinistre du malheur,

Je n’ai pu distinguer les frères des ennemis

Je rêvais pour les hommes le savoir et la liberté

Et le monde est toujours le monde des esclaves insensés ;

Je rêvais d’engager une lutte violente avec le mal

Par la toute-puissance de la Bonne Parole

Et dans le temple du vrai, dans le temple sacré de l’éloquence

 

Je perçois l’orgie criarde des trafiquants

L’amour, pour un instant, l’amour passe-temps de l’ennui

L’amour, cauchemar morbide, fumée lourde de l’orgie

Non ! je ne le regrette pas cet amour passé

Ce n’est pas à cet amour que j’ai rêvé en mes nuits d’insomnie.

Ce n’est pas lui qui m’apparaissait alors

Resplendissant d’une beauté idéale, paré de fleurs,

L’âme vierge et le sourire innocent ! »

 

Pauvre comme une mendiante, comme une esclave menteuse

Vêtue de haillons bigarrés,

La vie n’est belle que de loin

Et ce n’est que de loin qu’elle séduit et charme,

Mais à peine l’approches-tu, à peine la vois-tu

Face à face — que tu saisis la duperie

De sa grandeur — sous son clinquant,

Et la duperie de sa beauté sous le masque du fard.

 

 

 

L’Idéal

 

Ne dis pas que la vie est un jouet

Dans la main du sort insensé

Le festin de la bêtise insouciante

Le poison des doutes et de la lutte.

Non, la vie est une aspiration raisonnable

Vers où brûle la flamme éternelle

Où l’homme, le couronnement de la création,

Règne sur l’univers.

 

En bas sont érigés par la foule

Des dieux momentanés

Par leur clinquant doré

Ils attirent les hommes.

Pour ce fantôme d’idéal

Ont succombé assez de lutteurs

Et le sang coule au piédestal

Des dieux qui ne valent pas la lutte.

 

Le temps passe... et les hommes eux-mêmes

Les précipitent de leur hauteur

Se divertissent par de nouveaux rêves

Adorent d’autres dieux.

Mais il n’y a qu’un seul qui subsiste

En dehors du siècle et de la foule.

La grande idole de l’homme

Dans les rayons de la beauté morale.

 

Et celui qui, par sa pensée

A pu s’élever au-dessus de la foule

Saura apprécier la lumière puissante de l’amour

Et l’idéal sacré du cœur.

Il abandonnera toutes les idoles du siècle

Avec leur clinquant passager

Et marchera d’un pas assuré

Vers l’idéal de l’homme.

 

 

 

Le Mi-Chemin

 

Le chemin est rude. Le soleil ardent darde

Sur les pierres brûlantes de la route.

Tu as blessé tes pieds fatigués

Sur le sable chaud et le granit rugueux.

Ton âme courageuse est terrassée de fatigue,

Épuisée par la soif et la chaleur

Mais ne pense pas à t’écarter du chemin pénible

Et chercher l’oubli dans le repos honteux.

 

Pousse plus loin, voyageur, en avant ! en avant !

Le repos est ailleurs, il est là devant toi.

Laisse le bosquet t’appeler sous son ombre tranquille

S’inclinant sur la rivière calme,

Laisse le printemps en reine aimante et caressante y étendre son tapis vert,

Et sertir de branches un berceau d’émeraudes,

En avant ! toujours en avant ! sous l’ardeur des rayons

De ton chemin inconnu et ardent

Dédaignant la tentation passagère.

 

Le sommeil dans ce bosquet est redoutable, le repos y est profond

Il est si doux, si caressant

Que l’âme lassée de l’angoisse morbide

Une fois assoupie — s’endort.

Dans cette frondaison parfumée, habite une dryade ;

À peine poseras-tu la tête sur la mousse,

Que l’enchanteresse de la forêt

Dans la demi-obscurité, s’accolera à ton chevet,

 

Et tu entendras une voix : « Dors, repose-toi,

Fuyez fantômes troublants de la douleur !

Oublie-toi dans mon ombre parfumée

Dans le lit calme de la mer verte...

Ton chemin est long... Il est aride et triste

Oh ! pourquoi vouer ta jeune âme

À la lutte, à l’angoisse et aux tourments ?

Mon ami ! fie-toi au velours parfumé de la mousse

Ce bosquet est si frais, si tranquille,

Les moments d’oubli y sont si doux ! »

 

— Tu es fort, je le sais. Intrépide, tu as supporté

La lutte, l’angoisse et les tourments.

Mais plus forte que ces puissances déchaînées, mais apparentes

Est la tentation déguisée du mi-chemin.

En avant, voyageur ! Crois-moi

À peine auras-tu cédé

À un moment de béatitude, de rêve et de calme

Que tu abandonneras tout ce que tu as fait par amour

Pour le triste bonheur d’un repos honteux !

 

 

 

 

 


Traductions d’Emmanuel de Saint-Albin

 

 

Je ne prie pas Celui qu’à peine ose — nommer mon âme inquiète, effarée, — devant qui mon esprit se tait, impuissant — à l’atteindre, en dépit des efforts de son fol orgueil ; — je ne prie pas Celui dont les autels voient — s’humilier la foule prosternée, le front dans la poussière, — tandis que l’encens roule ses flots odorants, — que les flammes vacillent, que les hymnes retentissent ; — je ne prie pas Celui qu’environnent par légions — les esprits célestes saisis d’un religieux tremblement, — et dont le trône invisible par delà l’illumination des étoiles — règne sur la multitude des mondes épars dans l’espace ; — non, devant Lui, je reste muet... L’intime conscience — de mon néant me clôt les lèvres... — Mais une autre fascination m’attire... — Ce n’est pas celle de la souveraine toute-puissance... — c’est, au contraire, celle des tourments et de la croix. — Mon Dieu est le Dieu de ceux qui souffrent, un Dieu couvert de sang, — un Dieu fait homme, un frère de mon âme immortelle... — Et devant sa passion et son pur amour — je m’incline balbutiant ma plus ardente prière !...

(1881)

 

 

 

Couverte d’un blanc linceul de neige, — tu dors ton sommeil glacé sous le grès sépulcral, — et les pins de ton pays, par les nuits pluvieuses, — se chuchotent quelque chose en soupirant au-dessus de toi, — et moi... ah ! autour de moi, toute trouble et tapageuse, — la vie de nouveau sourd à gros bouillons, elle m’invite et voudrait me reprendre ; — mais je ne puis plus vivre : une pensée torturante — me poursuit sans relâche...

Quel pénible rêve m’oppresse !... — Depuis cette heure où, sanglotant, — pressant ta main, je t’appelai dans mon angoisse, — et qu’immobile, muette irrévocablement, — tu ne répondis pas à mon appel désespéré, — depuis cette heure où le mot mort, qui jusque-là n’était qu’un mot pour moi, — frappa, comme la foudre, mon cœur accablé, — je ne crois plus à la vie... Morne et lugubre, — la mort, la mort toute seule, m’entoure de ses visions !... — Affolée par la souffrance endurée, mon imagination — met son sceau sur le visage de tous, — et je ne vois plus en eux, comme autrefois, le reflet — de leurs rêves et de leurs joies, de leurs maux et de leurs passions ; — voilà qu’ils réapparaissent avec des yeux clos, — dans le cercueil, à la fumée des encensoirs, sous le crêpe et les fleurs, — avec un front sans vie, des lèvres décolorées — et le froid de l’éternité sur leurs traits immobiles... — Et une voix secrète me redit sans jamais se taire : — Insensé ! laisse-là les souffrances et les affections humaines ! — Quelle pitié, quel ridicule, de donner naïvement — ton amour et tes pleurs... aux fantômes de tes rêves !... — Bronze-toi, pétrifie-toi !... Ne gaspille pas en vain les puissances de ton âme !... — Que le sang coule à flots et que le vice triomphe ! — que le bien et le mal t’environnent !... l’oubli et la tombe... — voilà la fin dernière et la conclusion des choses !...

(1882)

  

  

Tout cela fut sans doute... mais comme en rêve. — Nous eûmes et nos chères caresses et nos secrètes rencontres... — Le doux visage de la jeune fille timidement s’inclinait vers moi, — et ses mains fines et pâles se posaient sur mon épaule... — Dans le crépuscule du soir le piano exhalait une plainte étouffée, — et la lampe éclairait les pages du poète favori... — Comme la tristesse même était suave ! — comme alors nous croyions au clair horizon, — à la proximité du bonheur, au triomphe du jour désiré !... — Ah ! je ne me plains pas que la vie m’ait menti : elle — a menti à tous ceux qui se sont fiés à ses promesses ! — Qu’elle soit, comme autrefois, accablante et sombre... — pourvu qu’au loin ne s’éteigne pas le phare de l’idéal ! — S’il brille, qu’importent les brouillards glacés, — le vent et le tumulte des flots ?... Le rameur lassé, — guidé par ses feux, — ne jettera pas l’aviron de désespoir !... — Mais ce dont je souffre cruellement, ce qui me fait honte jusqu’à l’angoisse, l’angoisse cuisante, — c’est que mon cœur m’ait menti... Pardonne-moi, bien chère, — les larmes trompeuses que sur le marbre de ta tombe — je versais amèrement... j’outrageais ta mémoire... — Ce n’était pas de l’amour, si les années ont pu effacer — de mon cœur ta pure image... Tout sentiment qui n’est pas immortel — n’est qu’une absurde inanité !... — Et si l’amour n’existe pas, il n’y a plus d’art, — ni de vérité, ni de vertu, ni de beauté... l’âme n’est plus de cette terre !...

(1882)

 

 

À peine suis-je seul, qu’en moi s’élève — un rude combat entre la vie et la mort. — Mon cœur las est déchiré — par leur vieille lutte toujours renouvelée ; — mon cœur ne sait à quelles invites se rendre, — ni quelle solution honnête donner au problème : — tantôt il lui serait cruellement douloureux de quitter la vie, — tantôt il lui semble encore plus pénible de vivre !...

La vie me répète : « N’as-tu pas honte, homme pusillanime ! Tu es jeune, — ton cœur n’est pas plus chétif que celui de tout autre ; — affronte sans défaillance la méchanceté, la misère, la faim, — si tu aimes tes frères !... — Ou bien les larmes que tu versais sur eux, n’étaient-elles que larmes de théâtre ? — tes discours passionnés, — qui semblaient inspirées par l’ardeur de tes sentiments, n’étaient-ils que pathos de rhéteur ? — ton amour n’était-il qu’un mirage de l’amour ? »

Mais à peine la vie commence-t-elle à me convaincre, — que lui répondant d’une voix plus haute, plus impérieuse, — la mort entonne sa chanson morose, — et je l’écoute malgré moi : — « Non, tu as peiné honnêtement et avec courage, — d’un cœur plein d’un brûlant amour, — tu t’es mis en chemin pour soutenir la cause de tous, — mais tes efforts ont été déjoués !...

« Vains ont été tes appels à la charité, à la sainteté : — tu as parlé à des aveugles et à des sourds, — et tu es épuisé maintenant... Des cris de ses honteux marchandages — la halle de la vie a couvert ta voix... — Oh ! jette-toi sans hésiter dans mes embrassements : — eux seuls peuvent te donner la paix. — Et laisse les pharisiens, dans leur égoïsme, — t’appeler lâche !... »

(1882)

 

 

 

 

 

Conte de printemps

 

Un monde de lumière, de merveilles !... où sont inconnus rafales et nuages... où règne dans la joie un éternel printemps... — Des roses... des statues de marbre... des fontaines d’argent... — un château en dalles de cristal, tout diaphane...

En bas du piédestal des falaises, la mer étincelante... — Aux rochers doucement s’attache la vague somnolente, — qui se noie, au jusant, dans l’espace bleuissant, — dans l’abîme transparent de la mer.

Derrière le château et ses jardins, — de la terre s’élançant, sourcilleuse, jusqu’au ciel, — une chaîne neigeuse de monts géants, — dont les sombres escarpements sont revêtus de forêts...

La profondeur des halliers et l’azur de la mer — tiennent embrassée la splendide contrée, — et, de leur paix, ils protègent, en gardiens jaloux, — sa propre paix, d’une frontière à l’autre.

Un monde de lumière, de merveilles !... Mais les maléfices d’un enchanteur — l’ont plongé depuis des siècles dans un profond sommeil, — et sur lui s’étend, comme un blanc linceul, — un ciel mort, calciné par une chaleur torride.

Dans ce ciel ne passe pas la mouette en sa blancheur de neige, — offrant sa poitrine au soleil doré ; — les nuées n’y volent pas pour aller en couches grisâtres — se suspendre avec grâce aux roches lointaines.

Tout est engourdi, tout est inanimé et sourd, — tout dort du sommeil torpide de la tombe : — pas un souffle ne frappe l’oreille, — pas un cor ne résonne du fond des bois.

Dans l’air s’est figé le scintillant jet d’eau de la fontaine, — le papillon est resté sans mouvement dans le calice de la fleur, — le perroquet bigarré, sur les rameaux touffus du châtaignier, — dans les fourrés du bois, le daim craintif et sauvage.

Il semble que ce château, ces bosquets, ces collines, — la pourpre de ces roses, la blancheur de ces colonnes, — ne soient que la toile d’une éblouissante peinture, — quelque rêve inspiré fixé par les couleurs.

Comme si celui qui créa ce beau paradis — y avait arrêté la vie et la dissolution des êtres — pour que sa sereine et virginale splendeur — se conservât inviolée et telle qu’au jour de sa création...

Regardez : un escalier tournant comme un serpent — monte dans une salle : paisiblement, auprès d’une fenêtre — de cette salle, dort une jeune tsarèvne, — belle comme la nuit, blanche comme le jour.

Ses nattes dorées se sont déroulées jusqu’à terre, — ses joues sont rosées d’incarnat ; parfois, à peine — frémissantes, s’agitent ses lèvres de vierge, — et un soupir inquiet soulève faiblement son sein.

Le velours foncé de la robe met une ombre chaude — à la blancheur de l’épaule, à la teinte délicate des joues, — le jour ardent baise les lèvres de la belle, — un oblique rayon de lumière flambe sur les boucles de ses cheveux...

Son sommeil est troublé par de pénibles rêves... — Voyez se peindre sur ses traits l’angoisse et l’effroi, — voyez perler et couler lentement ces larmes, — qui semblent vouloir éteindre l’incarnat des joues ?

Elle rêve que là-bas, derrière la crête des montagnes, — épuisé par la longueur et les obstacles du chemin, — un beau jeune homme aux boucles noires, — s’efforce de pénétrer à travers l’épaisseur des bois...

Son manteau est en lambeaux et rougi de son sang, — car, dans la forêt, à chaque pas la mort le menace, — mais c’est l’amour qui le pousse à sa périlleuse entreprise, — et son pied ne bronche pas sur les pentes abruptes...

Oh ! qu’il est fatigué !... Quel long chemin il a franchi ! — quelle voie pénible, âpre, infiniment !... Aura-t-il assez d’audace pour la lutte cruelle ? — son jeune cœur résistera-t-il à l’épreuve ?

Mais... victoire !... Dans les ténèbres du doute douloureux — a pénétré un rayon de lumière, le long combat est fini... — et déjà retentit sur les marches de marbre, — de plus en plus distinct, de plus en plus rapproché, le bruit des pas et des éperons !...

Quelque tourbillon a-t-il effleuré de son aile la salle endormie ? — une pluie printanière a-t-elle couru dans les feuillages ?... — C’est lui ! Plus beau, plus resplendissant qu’un jeune dieu, — l’hôte si longtemps attendu paraît devant elle.

Il paraît, il l’embrasse, il presse ses lèvres, — ses lèvres qui brûlent, aux lèvres tremblantes, — et ses accents passionnés implorent une réponse, — et il dépose son lourd glaive aux pieds de la belle.

« Ô chère ! murmure-t-il, j’ai rompu le charme, — j’ai dissipé d’un souffle le pouvoir de ces forces occultes. — Chagrin et terrible, je me suis battu à outrance, — parce que j’avais beaucoup de foi et beaucoup d’amour !

« Ah ! ne prolonge pas inutilement les tourments de l’attente. — Éveille-toi, ma bien-aimée, les mauvais temps sont passés ! » — Un long baiser, plein d’amour... — et voilà que s’ouvrent ses yeux clairs !...

 

Le conte est vieux... mais quel conte merveilleux !...

— Il dit l’espérance du monde... du monde qui, lassé, attend. — Le jour allumera-t-il bientôt ses clartés dans nos ténèbres, — l’amour descendra-t-il bientôt vers ceux qui souffrent ?

Oui, il descendra enfin, et peureusement se dissiperont — les nuages de notre ciel... À ses rayons, — les chaînes rouillées du sommeil se rompront comme des fils, — et les larmes s’apaiseront, et la crainte s’évanouira !...

Brillante sera la fête... — la fête de la régénération, — les esclaves meurtris respireront dans l’allégresse, — et l’hymne de l’amour et de la réconciliation remplacera — le bruit des sanglots, les cris de la douleur, les clameurs de la haine et de la lutte.

(1882)

 

 

 

« Crois, disent-ils, le doute fait mal ! — Nul ne peut arracher aux mystères éternels, le voile qui les défend, — et quelle que soit l’ardeur de nos désirs, nulle solution n’éclairera de sa lumière — les énigmes qui accablent ici-bas notre raison ! » — Non, c’est affaire à vous de croire, âmes aveugles et timorées !... — Par crainte de la vérité, je ne me mentirai pas à moi-même, — je ne me mettrai pas à la remorque de votre tourbe qui me fait pitié... — Quand il s’agit de savoir... je ne puis me contenter de croire !... — Je veux savoir pourquoi du haut de la voûte azurée du ciel — le soleil verse la lumière et la vie dans l’ondoiement de ses rayons, — par qui a été créée la puissante nature, — et ses monts altiers, et ses mers sans fond ; — je veux savoir pourquoi j’ai été placé moi-même au milieu de la création, — avec une âme qu’ennuie une existence sans but, — avec d’ardentes amours au cœur, avec la passion de la liberté, — avec la conscience de ma force, avec une intelligence capable de pensée ! — Si je dois vivre, je ne veux pas d’une vie passée dans un honteux étourdissement, — dans la crainte de demander de trop curieux pourquoi, — mais je veux que chaque jour, à toute heure, à tout instant, — se révèle l’éternelle raison qui me donne le droit de vivre. — Et si ma question doit demeurer sans réponse, — si mon esprit doit s’avouer amèrement — que jamais un rayon de l’aurore désirée — ne luira dans les brumes qui m’enveloppent de leurs ténèbres... — qu’ai-je à faire de votre vie sans but et sans portée ? — J’étouffe dans cette vie, j’ai honte de cette vie ! — Et plein d’orgueil et de mâle mépris, — je briserai sans larmes ni pitié la chaîne de mes lugubres jours, — je la briserai d’un seul coup, comme un fil embrouillé !

(1883)

 

 

 

Voici le printemps, voici le printemps !... Comme tu as repris vie à sa venue, — comme tu t’es épanouie, comme te voilà brunie !... — Tu es toute la journée au jardin, au jardin où, belles craintives, — luisent les plus pressées des fleurs printanières... — Hier tu m’as apporté du muguet. Tu resplendissais — d’une telle allégresse, que j’ai senti, moi aussi, — vibrer dans mon cœur une corde oubliée, — conviant ma lassitude aux séductions de l’avenir... — Mais j’ai vécu, enfant, je connais la vie, — et je vois bien des choses qui échappent à ton regard. — Quand revient à moi le lumineux temps de mai, ce qui revient avec lui, — ce ne sont pas seulement les rossignols et les chants et les fleurs... — au printemps aussi, je le sais, les serpents se raniment, — et, sortant de leurs cachettes souterraines, — ils rampent jusque dans le jardin inondé de soleil pour se réchauffer— au grand air attiédi, — et si ton muguet s’est splendidement épanoui, — baigné par l’humidité des chaudes rosées, — sache-le... en revanche, le ver aussi s’est réveillé parmi ses racines, — sous les bruyantes ondées des orages printaniers. — Crois à la vie et au printemps ! Que celui qui le peut y croie ! — Pour moi je ne puis plus avoir foi en eux : — un ver toujours remuant vit dans la moelle de mes os, — un serpent insatiable me ronge la poitrine.

(1886)

 


Traductions d’André Lirondelle

 

Je ne prie pas Celui qu’à peine ose nommer

Mon âme, dans le trouble et dans l’étonnement,

Et devant qui se tait, sans force, mon esprit,

Essayant dans son fol orgueil, de le comprendre.

Je ne prie pas Celui qui, devant ses autels

Voit, dans l’humilité, le peuple prosterné.

Pour qui l’encens répand ses vagues odorantes,

Vers qui montent les chants et palpitent les flammes.

Je ne prie pas Celui qu’entourent les cohortes

D’esprits tout pénétrés d’émotion sacrée,

Dont le trône invisible règne sur les abîmes

Des mondes, dispersés par-delà les étoiles

Éclatantes de feux. Non, devant Celui-là

Je demeure muet !... La claire conscience

Du néant que je suis me tient les lèvres closes.

Le charme qui m’attire est autre ! Ce n’est pas

Le pouvoir souverain, c’est la croix, la torture.

Mon Dieu, c’est le Dieu de ceux qui souffrent, le Dieu

Empourpré de son sang, le Dieu devenu homme,

Frère à l’âme céleste, et devant sa souffrance,

Son pur amour, je prie ardemment et m’incline !

(1881.)

 

 

 

Qui que tu sois, ô toi, mon ami et mon frère,

Frère las et souffrant, ne perds jamais courage.

L’injustice et le mal peuvent régner en maîtres

Sur la terre, arrosée de larmes ; l’on peut voir

Détruire et profaner notre saint idéal,

Et le sang innocent couler à flots partout,

Crois que le temps viendra où périra Baal,

Et où reparaîtra sur la terre l’Amour !

Dans le monde il viendra, non couronné d’épines,

Non point portant la croix sur l’épaule courbée,

Chargé de chaînes, mais dans sa force et sa gloire,

Tenant le clair flambeau du bonheur dans ses mains.

Et il n’y aura plus dans l’univers ni larmes,

Ni haine, ni tombeaux sans croix, ni esclavage,

Ni misère, misère sans lueurs, mortelle,

Et plus de glaive, ni de pilori honteux.

O mon ami, cette radieuse venue,

Cela n’est point un rêve, une espérance vaine.

Regarde autour de toi, le mal oppresse trop,

Et la nuit alentour est par trop ténébreuse.

Le monde sera las de souffrir, accablé

Par la lutte insensée, le sang l’étouffera.

Et vers l’amour enfin, vers l’amour infini,

Il lèvera ses yeux pleins de triste prière !...

(1881.)

 

 

 

Hier, j’eusse avec joie renoncé au bonheur...

Je vouais au mépris les repus qui échangent

Les brouillards et le froid de nos jours pluvieux

Pour la molle douceur des rayons printaniers...

Je répétais que tant que le monde a des larmes,

Tant que règne sur lui la brume impénétrable,

Ils sont infiniment honteux tous les soucis.

Les rêves d’un foyer plein de tiède bien-être.

Mais aujourd’hui, aujourd’hui c’est le printemps d’or

Qui, tout en fleurs, jette un regard à ma fenêtre ;

Mon cœur las a battu ; derrière sa fenêtre

Il souffre que tout soit si pauvre et si obscur...

Un cher regard, plein de sympathie passagère,

Un jeune et beau visage aux traits mélancoliques —

Et voici que je suis saisi d’un désir fou,

D’un désir douloureux de tendresse de femme,

De larmes, de bonheur, et d’amour infini !

(1882.)

 

 

 

Je ne sais pas pourquoi, au sein de la nature,

Soit que j’aie devant moi les vastes champs muets,

Soit qu’à mes yeux les eaux d’argent du golfe ondulent,

Ou que la forêt déploie ses voûtes pensives,

En mon âme surgit une vague tristesse.

Pour le sentiment et la conscience, il est

Une amertume dans l’éclat, la beauté froide

De la création ; comme si je voulais

Que l’obscure forêt pût véritablement

Me chuchoter des propos consolants ; j’implore

Comme s’ils étaient hommes, la compassion

De ces astres brillants sur le velours du ciel.

Tandis que mon âme est déchirée de souffrances,

Que des doutes sans nombre accablent ma poitrine,

Ce m’est une douleur que la nature soit

Comme toujours aussi pleine d’enchantement,

Comme toujours parée, sereine, éblouissante,

Sans voir, sans écouter, sans aimer et sans plaindre.

Plongée en elle-même, en son sommeil sans âme,

Elle, la Galatée muette dans son marbre,

Et moi, Pygmalion que son amour torture.

(1884.)

 

 

 

De même qu’un forçat traîne après lui ses fers,

Ainsi partout je traîne en mes courses errantes

Les ténèbres passées, tout l’enfer de mon âme,

La peur de l’avenir, le mal des souvenirs.

Il est des jours où je me fais pitié moi-même.

Tant je me sens craintif et faible en ma souffrance,

Tant je suis impuissant à regarder sans peur

Ma destinée en face et sans baisser les yeux.

Si je m’afflige des orages de la vie,

Ce n’est pas pour moi-même, et je ne suis pas seul

À être ainsi perdu, sans découvrir d’issue.

Je souffre de n’avoir pu, de toute ma flamme

Et de toute mon âme être ton serviteur,

Tristesse de mon peuple. Et je suis affligé

De ne pas avoir su garder mes faibles forces,

Plein de la sainteté de mon fervent désir,

D’avoir non réfléchi, ni vécu, mais brûlé,

Gaspillant sans regret les trésors de mon âme ;

Et de ce qu’en ces jours où mon pays natal

Est dans l’abattement, et le trouble, et l’effroi,

Mon âme est obligée, pour se répandre en chants,

De voler à l’avide mal de rares heures.

Je souffre de ce que ma vie s’éteint sans but,

D’être, entre les lutteurs, non un lutteur farouche,

Mais rien qu’un invalide, gémissant et las,

Qui contemple, envieux, leur couronne d’épines.

(1884.)

 

 

 

Tourmenté d’une soif inquiète de l’âme,

Je n’ai pas su garder mes forces. J’abhorrais

La vie quotidienne et son pauvre destin.

Pareil à un flambeau que le vent de la nuit

Fait vaciller, je n’ai pas vécu, j’ai brûlé.

J’aspirais à étreindre en pensée l’univers,

J’aspirais à aimer cet univers entier,

Je craignais de livrer la nuit même à l’oubli

Afin de ne la point dérober à la vie,

Afin de renfermer deux vies en une seule,

Et les jours insensés, embrasés, s’envolaient,

Que je fusse courbé sur des piles de livres

Ou plongé dans le feu même des passions...

Parmi les cris d’amis et les coups d’ennemis,

Ils paraissaient et s’enfuyaient en un éclair.

Je suspendais mon chant pour courir aux baisers,

Quittais pour le travail ma coupe non vidée,

Et pour les enceintes étouffantes des villes

J’abandonnais la paix des champs où je naquis.

Je me précipitais dans la mer bouillonnante

Des douleurs, des alarmes, des doutes humains !

La vieillesse débile est encore éloignée,

Et la tombe ne me menace pas encore...

Pourquoi donc ai-je cette angoisse sourde au cœur ?

Pourquoi dans mes pensées cette torpeur mortelle,

Aux yeux un mal brûlant, au cœur le désespoir ?

Ai-je donc épuisé jusques au fond la vie,

Ne dois-je rien attendre d’elle à l’avenir ?

Où donc es-tu, guide et prophète ? O viens, secoue

Ce fardeau du sommeil et de l’oppression !

Fais-moi supporter les tortures dévorantes,

Livre-moi à la honte, à la mort, aux souffrances,

Pourvu qu’à pleins poumons seulement je respire,

Pourvu que mon regard brûle de hardiesse,

Que seulement je croie, que de toute mon âme

Je croie à quelque chose et qu’ici-bas encore

S’ouvrent grands les verrous de la sombre prison

Sur l’espace et l’éclat du jour resplendissant !

(1884.)

 

 

 

Non, ne m’appelle pas, ô Muse... Ne viens pas

Me séduire de rêves, ne me promets pas

Une couronne dans le lointain avenir !...

Ton chantre est condamné, et de ses yeux avides

Partout, la mort est là qui épie sa victime...

La route était trop dure, et le cœur déchiré

De doutes et d’alarmes... Le pèlerin las

N’a pu supporter jusqu’au bout tous les obstacles

Du chemin douloureux ; frappé d’un mal fatal,

Il est perdu, lui qui a tant envie de vivre !...

O mon pays natal, si pour toi seulement

Je pouvais vivre encor !.. Combien je t’aimerais,

Et comme je voudrais donner toute mon âme

Pour enseigner aussi aux autres à t’aimer !...

Comme je chanterais pour toi ; comme, indigné,

Je tonnerais alors contre tes ennemis !...

Ton chien de garde, je ne vivrais que par toi.

Respirant de ton souffle et brûlant de ta honte,

Souffrant de ton angoisse ! Hélas, il est trop tard !...

Car la mort n’attend pas... Comme une nue d’orage,

Pareille à l’ouragan, la mort se précipite...

Mon sang est consumé d’une fièvre brûlante,

Et ma pensée dans le délire s’affaiblit.

Elle s’éteint, à bout de forces... Frappe donc,

Frappe donc promptement, coup qui dois m’achever !...

(1884.)

 

 

 

C’est une nuit de lune encor ; mais nuit de lune

À l’étranger. Noyé dans le brouillard, le golfe

Est inondé d’argent et les montagnes bleues

Penchent vers la vallée fleurie leur hémicycle.

À peine si l’on voit respirer le feuillage

Des oliviers et des cyprès et des palmiers.

Je m’en serais allé errer, errer là-bas,

Respirer les parfums ; je m’en serais allé

Sur la plage où bruit la poursuite des vagues,

Où s’abaisse en pente rocheuse, étincelante,

Le rivage, là-bas où l’écume de perle

Fait les pierres d’argent ; mais malgré sa beauté

Cette riche nature ne m’attire pas,

Cet horizon n’est pas une voix qui m’appelle,

L’air marin ne m’enivre pas ; comme un captif

Dans sa geôle a soif de liberté, de lumière,

J’ai soif de ma patrie, de ma chère patrie.

(Nice, le 9/21 janvier 1885.)

 

 

 

 

 

Mon amour n’offrira ni la paix, ni l’oubli

À ton âme qui vient de s’éveiller, enfant.

Dur labeur et besoin, privations amères,

Voilà ce qui tout au long des jours nous attend.

Mon souffle chassera ton monde d’ignorance

Et de rêves ainsi qu’une douce vapeur,

Un beau songe trompeur, et puis, j’enflammerai

Ta pensée au feu de mon ardente douleur,

Emportant ta vie aux tempêtes, aux orages !

Du jardin où hier, sous l’odorant tilleul,

Notre premier baiser sonna dans le silence,

Tandis qu’irradié et doux, le jour vermeil

S’éteignait dans le ciel aux lambeaux des nuages,

Loin du nid tiède et de tes amis et tes proches,

Loin du soleil, des fleurs, de l’oisiveté calme,

Je t’appelle pour partager les sacrifices,

Les souffrances les plus dures à supporter

Dans les rangs des lutteurs déchirés et aigris,

Je t’appelle au voyage où t’attendent l’angoisse

Et les intempéries, où ne se comptent plus

Les ennemis, où le labeur est sans mesure ?...

Je n’apporte point, pour le jeter à tes pieds,

Le don d’un sot bonheur, repu et insensé.

Mais si le bonheur est de savoir que jamais

Ton ami ne sera traître aux ordres sacrés

De sa conscience et de sa terre natale,

Que, plus que ta beauté, il estime en toi l’âme,

Si prompte à faire écho aux souffrances des hommes,

Alors mon cœur pour toi cesse de s’alarmer ;

Oh, donne-moi ta main, enfant, chasse bien loin

Tes craintes d’un instant ! Car nous serons heureux,

Heureux comme les dieux aux cieux inaccessibles !...

(1885.)

 


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Texte établi par la Bibliothèque russe et slave ; déposé sur le site de la Bibliothèque le 16 septembre 2015.

 

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Les textes ont été relus et corrigés avec la plus grande attention, en tenant compte de l’orthographe de l’époque. Il est toutefois possible que des erreurs ou coquilles nous aient échappé. N’hésitez pas à nous les signaler.



[1] On ne met point en Russie de croix sur la tombe des suicidés.

[2] Ici, des vers supprimés par la censure.