LA BIBLIOTHÈQUE RUSSE ET SLAVE

 LITTÉRATURE RUSSE

 

 

Dmitri Mamine-Sibiriak

(Мамин-Сибиряк Дмитрий Наркисович)

1852 – 1912

 

 

 

 

LES DÉCLASSÉS

(Башка)

 

 

 

1884

 

 

 

 

 


Traduction de Marie Stromberg parue dans l’Humanité nouvelle, année 1, t. 1, vol. 1, 1897.

 

 

 


TABLE

I

II

III

IV

V

VI

 


 

 

 

 

 

 

Mamine, qui signe aussi du pseudonyme de Sibiriak, est un des plus sympathiques écrivains de la nouvelle école, encore inconnu à l’étranger, mais qui jouit d’une très grande popularité en Russie où il occupe, tant par son talent de premier ordre que par sa prodigieuse fécondité, une place marquée dans la littérature contemporaine.

Dès le début de sa carrière littéraire, sa renommée fut solidement établie par la publication de son grand roman La Clique de la Mine , qui lui acquit les sympathies du public lettré. Et, chaque fois, à toutes ses œuvres qui paraissent dans les meilleures revues et les journaux libéraux, toujours heureux de lui ouvrir leurs colonnes, Mamine sait imprimer un intérêt nouveau, car tous les illogismes, toutes les misères de la vie russe, toutes les souffrances de ce peuple qu’il a si bien étudié, trouvent dans son âme un écho puissant. Ce sont ces jeunes gens entrés dans la carrière du travail, naturellement bons et loyaux, ne manquant pas d’esprit, comme le déclassé Bachka, mais qui ne portaient pas en eux la force morale nécessaire pour résister au milieu pernicieux dans lequel le hasard les avait jetés et qui tombent ; c’est une jeune fille, une enfant que sa mère profitant de la saison de la foire de Nijni-Novgorod, ce rendez-vous du monde commercial de toutes les Russies et de la Sibérie, s’empresse de vendre au premier acheteur venu de chair féminine, sans se douter le moins du monde du cynisme de son acte, qui lui apparaît comme tout à fait logique et dans l’ordre des choses ; c’est le condamné transporté en Sibérie que les différentes péripéties de sa vie ont amené au crime ; c’est sous le titre général d’Ombres enfantines toute une série de silhouettes d’enfants, sur lesquelles l’auteur se penche douloureusement, de ces petits êtres chétifs qui, au moment même où ils ont vu le jour, étaient déjà condamnés à disparaître grâce aux conditions anormales du milieu dans lequel ils sont venus au monde, de par l’anémie, la tuberculose, la nervosité même dans les classes aisées, que leurs parents leur ont transmises.

Voilà quels sont les héros de Mamine.

Quelques-unes de ses esquisses sont consacrées à la jeunesse des écoles, à peine sortie de l’enfance et dont l’esprit est déjà agité par les différents problèmes que pose la vie. Mais, où l’auteur apparaît en maître, c’est lorsqu’il dépeint la classe parasite de la petite bourgeoisie encore naissante en Russie, avec les instincts rapaces et accapareurs, la cupidité et la dépravation morale de ses représentants, type prédominant dans les carrières et les mines d’or de l’Oural et de la Sibérie.

La critique russe a depuis longtemps déjà reconnu en Mamine Sibiriak un écrivain de grand talent. Voici par exemple en quels termes M. Skabitchevski, l’éminent critique, a apprécié cet écrivain dans un article qu’il lui a consacré l’année dernière.

« D. N. Mamine a toutes les chances de prendre place parmi les romanciers européens de premier ordre ou du moins de dominer l’esprit et le cœur de ses compatriotes. C’est un écrivain doué d’un très sympathique talent ».

Et plus loin, mettant en parallèle le talent du romancier russe avec celui de M. Émile Zola, il ajoute :

« Par la force de son talent, Mamine ne le cède en rien au célèbre romancier français : il le dépasse plutôt. Quant à l’abondance, dont ces deux romanciers font preuve dans leurs écrits, il serait même ridicule de comparer Zola à Mamine. »

 

MARIE STROMBERG

 

 

 

 

I

Il fait un temps affreux depuis le lever du jour.

On dirait qu’une force surnaturelle remue la terre, en extrait toute la boue emmagasinée dans ses entrailles et la vomit sur le sol gluant. Le ciel, couvert, est d’une couleur terne et les nuages bas rampent au ras des toits.

Les piétons s’embourbent profondément. De la boue, partout de la boue, toujours de la boue, encore de la boue ! Toute la ville de Propadinsk[1] semble vouloir se dissoudre en ce marais boueux. C’est comme si le ciel eût absorbé toutes les eaux sales de la ville pour les répandre à flots dans les rues.

— C’est dégoûtant ! fit Bachka[2] de sa voix cuivrée en regardant la rue à travers les carreaux embués du cabaret.

Dehors tout se noie dans un brouillard épais. Des flocons de neige fondent dans l’air et tombent doucement sur le sol en le détrempant de plus en plus. En un instant la neige collée aux vitres intercepte le jour et plonge le cabaret dans une pénombre.

— Voilà ce que le bon Dieu nous envoie, dit sur un ton tranquille le patron de « Plevna », un gros moujik, le visage troué de petite vérole, vêtu d’un veston de velours.

Il se nommait Ivan Vassilievitch, mais souvent, par colère, ses clients l’appelaient plus brièvement Vanka[3] Caïn.

— Hein, Bachka ! qu’en dis-tu ? En voilà-t-il une affaire !

Bachka ne répondit pas au cabaretier. Il tendit ses longues jambes en avant, découvrant ainsi ses chaussures éculées, débris de vieilles bottes veuves de leurs tiges. S’accoudant sur son bras velu, il laissa retomber sa tête sur sa poitrine. Et l’on put apercevoir quelques cheveux blancs parmi les boucles châtaines de sa lourde chevelure embroussaillée.

Ses vêtements râpés ne pouvaient plus supporter les réparations. Sa redingote graisseuse, taillée à l’ancienne mode, avec manches étroites et large collet, était déchirée sur toutes les coutures. Et son pantalon de drap gris, montrant la trame, menaçait de se séparer de lui en dépit des larges pièces cousues aux genoux.

Ce costume lamentable préoccupe fort peu, d’ailleurs, notre héros. Depuis son lever une autre pensée l’obsède : se procurer le petit verre dont il éprouve si grand besoin par ce lendemain d’ivresse. Son cœur se contracte comme sous la morsure d’une sangsue lui tirant le sang goutte à goutte. Un insupportable malaise envahit ce corps d’athlète, pénètre ses os et ses muscles. Cette idée fixe ne quitte plus son cerveau. Un brouillard d’ennui voile sa large figure carrée, barbe massive, sourcils épais, nez aplati. Seuls ses petits yeux gris pétillent de convoitise.

— Le diable ne m’enverra personne ! marmonne-t-il en regardant la porte qui s’ouvre et se referme sans cesse ! Quel sale temps !

Pour éviter la neige beaucoup de gens entrent au cabaret de « Plevna ». Mais ce ne sont qu’inconnus : cochers, vieux soldats, paysans du marché, ouvriers. Tous, en entrant, font sur le parquet de larges flaques de neige fondue. Secouant leurs bonnets couverts de flocons, ils s’avancent en jurant vers le comptoir.

Le cabaretier suffit à peine à ces nombreux clients. Il remplit minutieusement les petits verres et ne pose plus l’énorme bonbonne qu’il tient à deux mains. Le nectar délicieux diminue à vue d’œil par suite de ces nombreuses tournées. Des « heins » de satisfaction sortent des robustes poitrines et emplissent la salle ; les gros sous pleuvent sur le comptoir.

Et Vanka Caïn trône à son poste tel un chef d’orchestre à son pupitre.

— Quel froid ! s’exclame un cocher, gaillard solide, tandis qu’il s’approche du comptoir et cherche sa bourse sous le pan de sa houppelande. Puis, les yeux fermés, il engloutit son petit verre, d’un trait.

Plein d’envie, Bachka fait des efforts sur lui-même et se détourne avec dépit de cette scène émouvante. Ce qui ne l’empêche pas de deviner le baume de l’alcool en la poitrine de ces heureux.

— Dire qu’il ne pensera pas à m’offrir un petit verre, continue-t-il à songer amèrement, — rien qu’un petit verre pour me remettre !

Et le cœur de Bachka se gonfle de haine contre l’hôte, oubliant l’ivresse de la veille.

— Ah ! quelle face d’écumoire !... ce ladre de Caïn !.. Il sait pourtant que je le lui payerai plus tard... Pouah ! Satan, va !... Et pour comble d’ennui, pas un ami ce matin !... que font-ils donc ?... Ni Ckocklik, ni Kornilytch, ni Trouba... personne !...

Placé au centre de la ville, en une impasse donnant sur le marché au blé, « Plevna » est le cabaret privilégié de Propadinsk. Il se compose, outre le vestibule, d’une grande salle mal éclairée avec, au fond, le comptoir du patron. Derrière, une petite porte accède à deux autres pièces plus petites et réservées aux habitués. Ceux-ci s’arrêtent rarement au comptoir et ne font que traverser la grande salle pour se rendre là où ils sont chez eux. Dans le cabaret proprement dit se pressent les clients de passage qui, après avoir bu, vont prendre place sur le large banc malpropre, le long du mur, où ils mangent à leur aise le morceau de pain qu’ils apportent.

En ce moment, seule la grande salle est occupée. Parmi le brouhaha et le continuel va et vient, l’oreille de Bachka perçoit dans le vestibule un léger bruit... Ces pas pressés lui sont bien connus... C’est Kornilytch qui arrive enfin.

En effet, la porte donne passage à son ami vêtu d’un veston et coiffé d’une légère casquette. De tournure alerte, le nouveau venu salue le cabaretier, puis disparaît dans la pièce voisine, suivi de Bachka.

— À peine en ai-je réchappé, raconte Kornilytch clignant ses yeux de côté. Et je n’ai fait que deux parties. À la deuxième, j’ai légèrement poussé la bille avec ma manche... j’ai été pris et proprement arrangé... Ah ! ces coups de poing dans le dos !... je ne te dis que ça... Et toi ?... Bon, bon... je devine... Fichtre ! ça ne va pas !...

Kornilytch enfonça ses deux mains dans les poches de son pantalon et se mit à marcher à petits pas comme les garçons de café. Son veston était tacheté de neige fondue. Et une épaisse vapeur montait de ses épaules.

— Est-il lâche ce Vanka ! cria Bachka en une pose tragique au milieu de la pièce. Ce coquin cornu sait bien ce que l’on souffre. Et il ne lui viendrait pas à l’idée de nous offrir une gorgée, le contenu d’un dé de femme !

— Pour ça, mon cher, tu n’as pas raison, affirma Kornilytch. Comment veux-tu qu’il nous offre à boire à tous ? Et que deviendrions-nous sans Vanka ?... Nous péririons, tout simplement, comme de misérables larves...

Bachka se soulagea d’un gros juron mais donna raison à Kornilytch. Celui-ci, en toutes circonstances, cherchait à excuser les gens, même si sa propre personne était en jeu. Il avait la mine chiffonnée, très éveillée, l’air bon enfant. Ses cheveux en brosse l’avait fait surnommer « le Hérissé. » Pas fier, il savait l’art de faire connaissance et d’entamer conversation. C’était le boute-en-train indispensable en toute bonne compagnie.

— Et la neige ? demanda Bachka absorbé en de nouvelles combinaisons.

— La neige !... Avec ce sacré temps !... Mais elle nous aveugle. J’en ai plein mon collet... Brr !... À propos, tu n’as pas de tabac ?... Eh bien, c’est pas la peine. On s’en passera...

Malgré l’air vicié de la salle, ses murs affaissés, humides, malpropres, son plancher maculé et sale comme dans une écurie, malgré l’atmosphère saturée des miasmes et odeurs spéciales aux cabarets, le Hérissé, content d’être tiré d’affaire, goûtait le bien-être relatif de la douce chaleur. À pleins poumons il absorbait cet air vicié, imprégné de l’acre senteur du goudron, de l’alcool, de l’ail et du tabac... Quelques chaises disjointes, une table de bois blanc meublaient seuls ce salon réservé.

— Tiens ! les amis sont déjà là ! s’exclame, en entrant, un homme vêtu en paysan, trapu, les épaules larges, la barbe rousse, l’œil louche et clignotant, ce qui lui donnait l’air suspect.

— Quel temps de chien ! Et dire qu’il faut battre cette marmelade gluante sans rencontrer âme vivante !... Avec ça une faim de loup, les enfants !...

— Pas de quoi fumer et le drôle vient nous parler mangeaille, riposta Bachka sur un ton de mépris, sans cesser d’arpenter la pièce à pas furieux... Dis donc, tu n’as pas rencontré Ckocklik ? ajouta-t-il.

— Si. Mais pour lui aussi c’est un mauvais moment.

— Allons-nous, par hasard, nous laisser mourir comme ça ?.. Voyons, Trouba ! Essayons de trouver un joint, dit le Hérissé de sa voix doucereuse. Va chez Caïn, mon vieux ; peut-être se laissera-t-il faire... Qu’en dis-tu ?... Tu lui expliqueras la chose, n’est-ce pas ?...

Cette proposition rendit Trouba rageur. Il enfonça les doigts dans ses cheveux, se frotta la nuque comme pour en tirer un expédient, cligna plus fort son œil louche, puis secoua la tête négativement.

Un pénible silence accueillit cette mimique. Et l’apparition de Ckocklik lui-même ne put tirer ses amis de leur accablement.

Le nouvel arrivé était très jeune encore, de teint verdâtre, avec des yeux caves et luisant de fièvre comme tous les phtisiques. Sans mot dire il s’affaissa en un coin, encore essoufflé de sa course. On n’y prit pas garde. Et, pendant un moment, la tristesse et l’abattement poignèrent le petit groupe, comme il arrive aux gens qui, tout d’un coup, se voient égarés dans une forêt noire.

Aux moments critiques, c’était d’ordinaire l’ingénieux Bachka qui sortait ses amis de peine et trouvait l’issue. Mais lui-même, aujourd’hui, se laissait gagner au marasme.

À côté, dans la grande salle, le choc des verres se mêlait aux soupirs d’aise exhalés par les buveurs chaque fois qu’une nouvelle goutte du délicieux breuvage mouillait leur gorge. Et cette émouvante mélodie, ce bourdonnement spécial d’une foule devant un comptoir de cabaret, envahissait bruyamment le salon réservé.

— Y mettent-ils assez d’entrain, les canailles ! fit Bachka, les dents serrées en ramenant sur ses yeux sa casquette crasseuse, déformée et aplatie sur ses cheveux comme une crêpe du Mardi-Gras.

— Eh bien, camarades, restez-là ; je vais essayer... Peut-être aurais-je la chance...

À peine Bachka eut-il disparu que tous les amis se ranimèrent et chacun de crier : Allez, notre Bachka !... c’est entendu !... Ah ! celui-là n’est pas entrepris !... Il ferait jaillir des ressources d’un roc ! Vrai, c’est une tête d’or !...

En son âme de Caïn, l’aubergiste lui-même fut pris d’un remords quand Bachka, l’air tragique, passa devant lui :

« Par cet affreux temps, tout de même, je ferais bien de lui offrir un verre, » pensa-t-il tout en servant la pratique. — Puis, un souvenir pénible remonte du fond de son cœur. Bachka avait offensé sa maîtresse et notre homme revint sur son premier mouvement : « Non, c’est bien fait... Il peut prendre des airs... Laissons-le languir... Après tout c’était une bagatelle... Akoulina le priait d’allumer le samovar... Ah ! il n’y pas de danger !... Toujours l’orgueil qui ronge les hommes !... Ces messieurs sont des lettrés, des savants s’il vous plaît... Ah ! là, là... Avec toute votre science, pataugez bien dans la boue... Ça fait du bien aux gens qui ne veulent pas voir le monde comme il est et qui ont la mémoire trop courte pour se souvenir des bons offices !... »

 

II

L’état désespéré dans lequel se trouvait Bachka lui avait suggéré une idée ingénieuse. Pour la réaliser il lui fallait se rendre à l’autre extrémité de la ville et c’était un moyen auquel il n’avait recours que dans des moments absolument critiques.

— Au diable ! — criait-il dans la rue, tandis que ses pieds enfonçaient profondément dans une boue glaciale.

Le temps était de plus en plus mauvais. Les bouffées pénétrantes de la brise lui brûlaient la peau. La poussière de neige qui tourbillonnait affectait en tombant différentes formes géométriques, aiguilles ou petites étoiles de glace, qui remplaçaient les gros flocons. Les rues de Propadinsk, si boueuses il n’y a qu’un instant, présentaient maintenant une surface blanche et trompeuse, où les pas enfonçaient dans des flaques comme dans des pièges.

Bachka, cherchant où poser le pied, s’y embourba tout à coup, et alors il eut du mal à se tirer du margouillis où ses chaussures restaient envasées. Subitement il s’arrêta et, tout perplexe, se demanda ce qu’il allait faire ; puis, prenant une résolution héroïque, il réenfonça de nouveau ses pieds dans ses chaussures remplies de ce mélange glacial de boue et de neige et parvint à les dégager. Il continua son chemin en faisant claquer ses semelles sur les planches qui formaient le trottoir.

Pour arriver à son but, il avait encore une longue distance à franchir. Après une demi-heure de cette marche pénible, à bout de force, il se sentit défaillir.

Son énergie l’abandonnait et un instant il eut l’idée de retourner se réfugier sous le toit hospitalier de « Plevna » ; il regrettait amèrement d’avoir agi trop à la légère en le quittant. Mais il triompha de cet instant d’abattement et résolument se ramassa sur lui-même pour concentrer sa propre chaleur et garantir sa nuque de la neige qui lui tombait dans le collet. Comme un vrai loup il se mit à courir. Le voilà devant une auberge tenue par un certain Zoboune, qu’il fréquentait parfois ; il ne jugea pas opportun d’y faire une halte. Préoccupé d’un tout autre objet, il se hâtait d’arriver à son but et il avait encore à peu près une demi-verste à parcourir.

Les belles maisons en pierre qui appartiennent aux riches commerçants de Propadinsk, se groupent au centre de la ville ; autour, de tous les côtés, s’éparpillent les constructions on bois ; enfin vers le périmètre de la ville, sur les confins de ses faubourgs, s’étalent les hameaux composés des plus misérables huttes qui rappellent par leur assemblage bizarre des nids d’hirondelles collés les uns sur les autres.

La maison de Lomotine, marchand de bétail en gros, est la seule construction en briques du quartier et forme un contraste singulier avec son entourage ; c’est vers cette maison que se dirige notre Bachka. Lomotine, autrefois simple paysan, enrichi dans le commerce, est mort tout récemment ; ses héritiers célèbrent ce matin une cérémonie commémorative, la veuve du défunt va généreusement distribuer l’aumône et on peut espérer une bonne aubaine.

Bachka avait donc une raison bien fondée de s’y rendre pour attraper les quelques sous dont il n’avait grand besoin que pour boire.

Tendre la main... fallait-il qu’il soit réduit à toute extrémité pour en arriver là comme aujourd’hui !

Une foule considérable se pressait déjà devant la maison de la veuve lorsque Bachka y parvint. Devant le portail, le concierge, un vrai bouledogue, mettait une grosse barre de bois en travers de la porte.

Et un à un les visiteurs entraient, obligés de baisser la tête pour franchir le seuil. Cette masse humaine ne représentait qu’un tas de haillons, se remuant, se pressant pour gagner d’assaut chaque pouce de terrain, devant la porte. Au milieu de ces assaillants, on entendait des injures lancées par des voix enrouées, des gémissements de vieillards, des cris de femmes, des piaillements d’enfants qui étaient autant de soupirs douloureux.

Bachka, qui faisait queue au dernier rang, prit la résolution d’attendre patiemment son tour de passer sous la barre.

Perdu dans ce milieu de gueux dont les traits n’ont plus rien de l’image de Dieu, il ressent pour eux un profond dégoût. Même dans sa chute, il se voit énormément au-dessus du niveau de ces débris humains. Cependant il aperçoit parmi ces malheureux quelques personnes qui ne lui sont pas inconnues.

Un vieillard à la tête toute blanche, courbé par l’âge, joue des coudes d’un air arrogant pour essayer de gagner du terrain.

Ce fut un magistrat : il occupa une situation qui le mettait en vue. Dans ses beaux jours, à l’apogée de sa grandeur il allumait son cigare avec un billet de banque ; la boisson le perdit et maintenant il vit d’aumônes. Vient ensuite un homme au teint brun, à la barbe fraîchement rasée, qui a la réputation d’avoir été riche jadis. En effet, il avait hérité d’environ 50,000 roubles[4] qu’il se hâta de dissiper dans le plus bref délai. Puis c’est toute une armée de figures étranges qui sortent d’on ne sait quels bouges ; des femmes à l’aspect effrayant, à la face flétrie, ratatinée, à l’œil méchant, inspirant avant tout la méfiance.

Ces créatures avinées ne vivent que de mendicité... Et tous, mendiants de profession, vont quémander à domicile, sur les parvis des églises, au marché, chez les bourgeois lorsque la mort les visite. Les loques et les haillons sont leur décorum et comme l’enseigne qui attire le client chez l’artiste ou le marchand.

Sait-on dans cette foule où finit le haillon, où l’homme commence ? Non, ce sont là des ruines vivantes ; ces hommes se sont eux-mêmes transformés en guenilles.

Attendant que son tour vînt, Bachka dut stationner une heure entière au milieu de cette foule. Les membres engourdis, grelottant, il avançait lentement. En vain il essayait de se réchauffer en battant de la semelle.

Il était à bout du calorique animal mesuré à tout organisme humain. Ses dents claquaient, et comme il regardait le concierge, cet homme bien nourri, à la face ronde, qui semblait prendre un malin plaisir à laisser passer lentement ceux qui étaient, enfin, arrivés, il se sentit envahir par une haine féroce contre lui. Ce portier, d’une voix criarde et sifflante, insultait ces malheureux en les repoussant d’un air méprisant.

— Arrière ! leur commandait ce serviteur trop zélé en étalant son gros ventre qui masquait la porte. Arrière, sans quoi je vais prévenir Anphusa Parthénovna, qui elle-même vous fera déguerpir d’ici... Allons, arrière donc, ou je vous balaie !

— Eh ! Va donc ! Ne fais pas ton personnage ! Tu n’es pas un si gros légume, lui répondit une petite vieille bonne femme à la figure d’oiseau, très vive dans tous ses mouvements. Nous ne venons pas chez toi.

— Vas-tu continuer longtemps sur ce ton ? reprend le concierge en pesant ses paroles d’un air indolent, voici Anphusa Parthénovna qui est sur le perron...

Enfin, c’est le tour de Bachka. D’une main il se tient déjà à la barre, tout en affectant de ne pas voir ce détestable concierge dont l’aspect seul l’énerve, comme le loup affamé s’irrite en voyant un chien de garde bien nourri. Le sentiment pénible d’humiliation que Bachka éprouve en ce moment, l’excite davantage contre ce portier qui n’est absolument pour rien dans toute son histoire ; il voudrait l’avoir sous la dent pour le mettre en pièces. Il porta ses regards dans le fond de la cour et son attention se concentra sur la confortable installation du riche. La cour fraîchement sablée est d’un ton chaud, jaunâtre, qui égaye l’œil. Les annexes de la maison sont solidement bâties : un chien de garde est enchaîné dans sa niche près des magasins ; un fringant cheval est attelé à une voiture toute brillante de vernis ; à gauche un perron vitré et sur ce perron, à l’abri du vent et de la neige, se tient Anphusa Parthénovna elle même, vêtue d’une riche pelisse de renard, et d’un geste grave, elle tend la part de chaque pauvre à mesure qu’il avance vers elle en lui répétant chaque fois sa phrase stéréotypée : « Va, mon cher ami, prie pour l’âme de Siméon et de ses parents. » À ses côtés deux vieilles femmes coiffées de mouchoirs en coton brun broché de semis d’œillets, encombrent le plancher de leur personne.

— Passeras-tu enfin ? cria le portier à Bachka qui baillait aux corneilles.

Celui-ci se courbait déjà pour passer sous la barre lorsqu’une femme à l’œil poché, la tête en avant, se rua vers l’entrée et peu s’en fallut qu’elle ne devança Bachka, mais celui-ci, la saisissant au collet, la rejeta vivement en arrière comme un paquet de chiffons.

— Voilà une fichue figure[5] qui veut passer avant son tour : où vas-tu si vite ? grommela-t-il en courant vers le perron.

Après avoir reçu son aumône, il se dirigea vers la porte opposée en serrant fortement dans son poing l’argent qu’Anphusa Parthénovna lui avait remis. À cette porte se trouvait le cocher, un grand gaillard vêtu d’un caftan en cuir, chargé de reconduire les solliciteurs.

Dans la rue, Bachka compta la somme dont il était possesseur. Il avait reçu 50 kopecks ; ce résultat le récompensa largement de toutes les souffrances qu’il s’était imposées.

Dix minutes après, il entre dans le cabaret de Zoboune ; une foule de mendiants l’y avaient devancé et déjà les sommes distribuées passaient dans le comptoir du débitant.

Ce gros cabaretier a un énorme goitre ; malgré son embonpoint, il est aussi alerte à son travail que Vanka Caïn à « Plevna ». Et chaque fois qu’il emplit le petit verre d’un nouveau client il répète la formule.

— Va, prie pour l’âme de Siméon et de ses parents... Anphusa Parthénovna a beaucoup trop de générosité pour vous et ça fait bien votre affaire 50 kopecks par tête !... Bah ! s’exclame Zoboune en apercevant son vieil ami Bachka. Tu en es aussi, toi !..

— Oui, tu le vois !... Bon, bon... Tu n’as pas besoin de faire une dissertation à ce sujet. Je suis tout engourdi... Sers-moi !

Bachka prit deux petits verres coup sur coup afin de se réchauffer, mais l’alcool ne produisit pas sur lui son effet bienfaisant habituel et il dût prendre un troisième verre. Au moment même où, d’une main tremblante, il portait ce verre à ses lèvres, la petite femme à l’œil poché surgit à ses côtés, en le poussant du coude avec insolence.

— Ah, te voilà encore, espèce de figure ! cria Bachka d’un ton furieux et déjà il levait le bras sur cette assommante créature. Tu veux donc que je t’écrase comme une mouche !...

— Oh, ouf ! quel homme terrible ! minauda La-Figure d’un air coquet et elle lui rit au nez avec une effronterie sans pareille. — Voyez donc ce fier-à-bras qui veut batailler avec les femmes... Eh bien, approche ! Essaye donc !...

Et, pour conclure, elle lâcha quelques paroles ultra-choisies du jargon de cabaret.

Elle savoura le petit verre de balsame vert qu’elle se fit servir et s’essuya les lèvres avec le bas de sa robe crottée en riant d’un air cynique :

— Ah, mon pauvre Bachka ! Tu t’en prends à une grenouille ? lui dit Zoboune en grimaçant un sourire. Cette femme saura te répondre ; sa langue est tranchante comme un rasoir.

Bachka jeta sur La-Figure un regard dédaigneux, plein de mépris et s’en détourna avec dépit, En général, il détestait les femmes comme certains individus appréhendent les souris, les cancrelas ou les punaises. Il subissait en ce moment un sentiment d’humiliation de s’être compromis au point de se disputer avec une femme.

Précisément, ce geste involontaire de répugnance excita La-Figure ; même dans sa chute quelque profonde qu’elle fût, elle ne pouvait renoncer à la logique d’une jolie personne habituée à se voir l’objet de l’attention générale des gens dont elle reçoit les hommages. En effet, en arrêtant le regard sur ce visage gonflé, ces paupières enflammées, ces yeux troublés de larmes d’ivresse, ce nez enflé, ces lèvres luisantes d’un coloris bleuâtre, on aurait eu grand’peine à croire que ce fut là dans le temps une très jolie femme. Le costume qu’elle portait était d’une apparence lamentable. Son corsage défraîchi n’avait plus de couleur ; sa jupe d’indienne était tournée d’un côté ; un débri de vieux châle lui servait de coiffure ; elle avait aux pieds des bottines éculées.

Après avoir absorbé deux verres de son balsame, La-Figure alla s’asseoir sur le banc à côté de Bachka ; elle étendit en avant ses pieds en montrant la cheville nue et une partie du mollet rond et blanc.

— Malédiction ! anathème ! jura Bachka en bondissant du banc, que me veux-tu donc ?

— Ah ! Finiras-tu une fois tes grossièretés, manant que tu es ! lui répondit La-Figure sur un ton différent, en prononçant ces paroles avec calme et fermeté.

Et prenant Bachka par le bras, elle le réassit de force près d’elle.

— Dis-moi, qu’est-ce qui te rend si rageur ? Fumons plutôt une cigarette, cela vaudra bien mieux ; j’ai du tabac...

Bachka se détourna et cracha en signe de dégoût. Cependant il accepta la cigarette. Il se sentit envahi par un singulier sentiment de curiosité ; il lui semblait qu’il connaissait cette femme éhontée depuis longtemps déjà, et il éprouva même un certain plaisir d’avoir été retenu par elle, tout en continuant de l’injurier violemment dans sa pensée. Il voulut partir de suite pour se rendre en toute hâte auprès de ses amis qui l’attendaient au cabaret de « Plevna ». Et, malgré lui, sa langue balbutia :

— Figura Ivanovna, voudrais tu prendre encore une goutte de balsame ?

— Oui, si tu veux me tenir compagnie ; sans cela, je n’accepte pas.

Alors, pour Bachka, tout se passa comme dans un brouillard. Les petits verres se suivaient et Bachka sentit une douce chaleur se répandre dans ses veines. L’engouement s’empara de lui ; il riait comme un fou... il chantait avec sa nouvelle connaissance.

Ils quittèrent ensemble le cabaret de Zoboune. En cheminant dans les rues, Bachka devint galant, empressé auprès de sa dame, lui prêtant le bras pour passer les endroits boueux ou difficiles.

— Allons plutôt chez Vanka Caïn, proposa Bachka. Là nous sommes chez nous, dit-il à sa compagne en zigzaguant de tous côtés, mes amis de là-bas sont de braves garçons... Les connais-tu ? Le Hérissé ?... Le Ckocklik ?... Le Trouba ?... Non, tu ne les connais pas ?... Eh bien, si tu ne les connais pas, je dois avouer que tu ne connais personne...

En marchant bras-dessus et bras-dessous, Bachka haussait les épaules sans se douter du froid glacial qui lui pénétrait dans tout le corps.

— Il faut nous procurer encore de l’argent, dit La-Figure. Je sais bien où il y en a. Veux-tu venir ?... Il y a encore deux maisons où l’on célèbre aujourd’hui l’office des morts.

 

III

Les hôtes habituels de la salle réservée de « Plevna » ont passé une très mauvaise journée, attendant avec une grande anxiété le retour de Bachka. Ennuyés, ils ont tué le temps à se rappeler différentes anecdotes qui démontrent l’ingéniosité de leur ami ; puis, ils ont commencé à grogner et à jurer contre lui parce qu’il les faisait languir trop longtemps pour les tirer d’embarras. Enfin, tous sont restés silencieux comme des gens qui sentent que leur dernier espoir va leur échapper. À la tombée de la nuit, Vanka Caïn lui-même en eut pitié et leur envoya un panier de pain noir et d’oignons.

— Notre Bachka aura été conduit au poste de police dit à plusieurs reprises Kornilytch. Il sera entré chez un marchand de vin pour se réchauffer, il aura pris un petit verre et quoi d’étonnant que l’ivresse l’ait gagné par ce froid. Cela est arrivé souvent.

Et, comme pour confirmer en partie la supposition de Kornilytch, Bachka, dans un complet état d’ivresse, apparut sur le seuil du cabaret. Nos amis furieux s’apprêtaient déjà à lui adresser d’amers reproches pour les avoir fait poser si longtemps, quand, ahuris, ils restèrent comme paralysés en apercevant derrière Bachka la silhouette de sa nouvelle connaissance.

— Messieurs !... je vous présente... voilà une femme... Figura Ivanovna...

Un morne silence accueillit cette présentation et les amis feignirent de ne pas la voir parmi eux. La face de Vanka Caïn ricanant surgit devant la porte ; derrière son épaule, sa maîtresse Akoulina, d’une haute taille, au corps osseux, à large face carrée dépourvue de toute expression, présentant l’aspect d’une pelle emmanchée, fixait la nouvelle venue d’un œil sombre.

— A-t-il de la veine, ce Bachka ! dit Vanka Caïn de sa voix rauque. Vous a-t-il joué un tour ?... C’est bien fait ! Bravo ! continua-t-il en se réjouissant de la scène qui se passait sous ses yeux.

— Que faites-vous donc là, tous muets comme des catéchumènes ? fit La-Figure en s’adressant à l’assistance. Êtes-vous engoués ? Faites-vous la chasse aux mouches ?

Déconcertés, honteux d’eux-mêmes et surtout de Bachka, nos amis firent la sourde oreille à cette provocation.

Bachka, épris de sa folie, se livrait à des bravades : c’est encore un refuge quand on se sent fautif. Prenant un air dégagé et, comme pour leur jeter un défi, il s’attabla à l’écart avec sa dame et se fit servir une bouteille d’eau-de-vie.

Ces malheureux se distinguaient par une subtilité excessive de sentiment, avec un tel raffinement de leur état psychologique que, pour s’entendre, ils n’avaient nullement besoin de la parole ; un signe, un geste leur suffisait. Leur protestation muette était donc pour Bachka plus sensible que ne seraient les injures et les voies de faits. La-Figure, dont le cynisme était sans bornes, ne s’attendait pas, évidemment, à une pareille réception ; le sourire impudent de l’ivresse errait toujours sur ses lèvres.

— Permettez-moi de vous servir, Figura Ivanovna, dit Bachka en affectant de prendre un air aimable pour narguer ses amis.

— Et toi-même, comment t’appelles-tu ? Je ne le sais pas encore, questionna La-Figure, faisant mine de ne rien comprendre à ce qui se passait autour d’elle.

— Je m’appelle Bachka...

— Un très joli nom, Bachka, oui ! Un élève de séminaire[6], n’est-ce pas ? Oui, oui... dans le temps j’ai connu beaucoup de séminaristes... C’étaient de charmants garçons et qui ne lâchaient pas prise lorsqu’il s’agissait de boire.

Avec un geste de pudeur, elle redressa sa robe tournée de côté, cacha ses pieds crottés et, gardant le silence, elle s’efforça de prendre l’air sérieux d’une personne comme il faut. Malgré cela, son visage enflé se dilatait en un détestable sourire qui choquait Bachka lui-même et lui produisait l’effet d’une brûlure causée par un fer rouge appliqué sur son corps. Mais, dans son stoïcisme, il voulut aller jusqu’au bout et montrer du caractère.

Trouba, Kornilytch et Ckocklik se pressèrent dans un coin comme pour imiter les derniers Romains. Ils conservaient l’air de gens de bonne société, connaissant les règles de l’étiquette. Ils s’entretenaient à demi-voix de sujets différents comme s’ils se trouvaient chez un ami décédé ou auquel un grand malheur serait arrivé.

Un événement inattendu mit fin à cette pénible situation. Une scène émouvante se passait au comptoir entre le cabaretier et sa maîtresse. Frémissante d’abord, elle éclata en sifflements de rage à l’instar d’un serpent, se répandit en injures et finit par sanglotter.

— Bien que je ne sois pas ta femme légitime, piailla-t-elle, en agitant ses longs bras dans l’air, je te dirai cependant que tu n’as pas un brin d’esprit. Est-ce que nous allons laisser longtemps entrer des femmes comme ça dans l’établissement ? Mais cette salope va voler tout ce qui lui tombera sous la main. Est-il possible de la surveiller continuellement ? Il faudrait que je sois vraiment damnée pour supporter dans cette maison toutes les traînées de la rue.

— Veux-tu fermer ta gueule, espèce de corneille ? reprit grossièrement le cabaretier, bien qu’il ne le fît que par convenance, pour montrer à ses clients sa fermeté de patron. Attends, je vais joliment t’arranger. Que je commence... tu verras si je te mets en miettes !...

— Eh ! frappe-moi, frappe donc ! Mais, jamais je ne souffrirai qu’une coureuse de rues vienne ici donner des ordres, criait Akoulina d’une voix à tout rompre, comme si l’on eût voulu l’assassiner. Quoique nous ne soyons pas en règle comme la loi l’exige, il faut cependant qu’il y ait de l’ordre dans la maison... Mais je vais lui arracher les yeux à cette sale créature, tu sais, voilà !... À ton Bachka lui-même je mettrai le visage en sang...

Cet orageux épanchement d’Akoulina créa des complications nouvelles dans la situation déjà très tendue de Bachka. La maîtresse de Vanka Caïn, tout affolée qu’elle était, eut cependant l’approbation des assistants qui se rangèrent de son côté sans hésiter. La pensée d’une lutte imminente à coups de poings s’agita dans la tête grisée de Bachka et déjà ses mains crispées s’allongeaient sous la table ; il jeta des regards de défi du côté de ceux qui, il n’y a que quelques instants, étaient ses meilleurs amis.

— Écoutez-moi, Bachka, allons-nous en, lui proposa sa compagne en se levant. J’ai encore à faire ce soir... Médaillon m’attend.

— Qui est-ce Médaillon ?

— Tu vas le voir de suite toi-même.

La boisson étant payée d’avance, notre couple se dirigea solennellement vers la sortie. Comme il arrivait à la porte, Akoulina s’élança sur La-Figure ; et, de sa main de fer, la saisissant par l’épaule, elle la poussa brutalement dehors.

— Akoulina ! peste de femme ! Veux-tu lui ficher la paix ! intervint le patron.

Bachka jeta le hurlement de l’ours atteint d’une balle de fusil mais sa compagne, le prenant par le bras, l’entraîna vivement dans la rue.

— Est-ce la peine de s’en prendre à une imbécile pareille, dit-elle en cherchant à l’apaiser. Ce n’est pas loin d’ici, nous arriverons de suite. Donne-moi ton bras. C’est ça... C’est ainsi que vont dans les rues les dames du monde.

La-Figure riait dans l’obscurité de son rire enroué, tandis que Bachka marchait silencieux à côté d’elle.

Les rues sont plongées dans une nuit profonde : on ne peut distinguer aucun objet. Quelques misérables réverbères, placés au coin des carrefours, brillent à peine dans cette obscurité. La neige a cessé de tomber, le froid est plus vif, plus pénétrant ; dans le lointain on entend les glapissements d’un chien sans gîte. Un morceau de tôle arraché par le vent tombe avec bruit sur le trottoir. L’ivrogne attardé traverse la grande place en essayant de chanter, mais sa voix ne fait entendre qu’une sorte de mugissement sourd. Là un cocher sommeillant sur son siège retourne lentement chez lui après avoir fini sa journée et le veilleur des rues fait sa tournée en frappant des coups de baguette sur sa planche.

Notre couple marche à tâtons ; au bout de vingt minutes, il arrive dans une impasse étroite et déserte.

— C’est ici, dit La-Figure en s’arrêtant devant une maison de bois qui tombait en ruines.

Ils entrent dans la cour et descendent ensuite dans un sous-sol humide et glacial comme un tombeau, où ils pénètrent difficilement. La-Figure fait flamber une allumette pour allumer un bout de chandelle enfoncée dans le goulot d’une bouteille.

Cette lumière vague permit néanmoins à Bachka d’examiner le lieu où il se trouvait. Ce fut jadis la cuisine de la maison. De petites fenêtres protégées par des grilles de fer, pareilles à celle d’une prison, donnent sur la rue ; la porte toute déchiquetée ne tient que par un gond. Dans le fond, sur des chiffons entassés, se dessine la silhouette d’un homme endormi, à la face blême et décharnée.

— Médaillon, lève-toi, mon ami... Nous avons une visite, dit La-Figure en se penchant sur l’oreille du dormeur et en le poussant de côté et d’autre. Vas-tu donc te lever enfin ? C’est manquer de politesse que de recevoir ainsi son monde. Regarde-moi un peu cette bête curieuse que je t’amène.

— Ah ! c’est toi, Milotchka[7], balbutia Médaillon en se levant lentement de son grabat. Quel est donc cet animal si curieux à voir ?... Milotchka ! J’ai un horrible mal de tête... Pourrais-tu me procurer une petite goutte d’eau-de-vie... Hein, qu’en dis-tu ?

— Es-tu gourmand, Médaillon ! « Une petite goutte ! » Mais où veux-tu que je la prenne ?... Bon, bon... Ne pleurniche pas, tu vas l’avoir. Je t’apporte aussi de quoi manger. En attendant, permets-moi de te présenter notre hôte, monsieur Bachka.

Médaillon était un jeune homme de vingt-trois ans, blond et svelte, avec un long cou, des yeux bleus au regard d’enfant. Ses épaules osseuses et sa poitrine enfoncée lui donnaient l’air d’un ascète.

— En voilà un crevé, pensa Bachka avec mépris en regardant cet étrange individu ; c’est un véritable ténia...

Pendant ce temps-là, La-Figure s’empressait de servir un morceau de foie de bœuf avec une bouteille d’eau-de-vie. C’était un excellent dîner. Il y avait de quoi manger pour les trois convives.

— C’est vraiment curieux, dit La-Figure, en découpant le foie en tranches avec un tronçon de canif, d’avoir été expulsé d’un cabaret ! On ne me trouvait pas assez convenable... Je ne suis donc pas assez bien élevée, même pour un cabaret ! Fi, que c’est dégoûtant ! Ô Dieu, de Dieu, jusqu’où sommes-nous tombés !... Maintenant seulement je ressens l’outrage... ce n’est même pas un outrage, c’est du dégoût pour moi-même...

Après avoir avalé deux petit verres, Médaillon reprit ses sens ; il mangea de bon appétit sa tranche de foie et dit sur un ton d’emphrase comique :

— Sic transit gloria mundi !

— Domine, tu connais le latin ! s’exclama joyeusement Bachka en lui tendant la main.

— Un peu...

— C’est que Médaillon a reçu une médaille d’or en sortant du lycée — ajouta fièrement La-Figure. Dans ce monde-là on donne le surnom de Médaillon à tous les médaillés.

— Ah ! fit Bachka, c’est comme chez nous au séminaire, on donne aux lauréats le surnom de Bachka[8] et j’ai la malechance d’être de ce nombre. Nous sommes donc collègues...

Et, en souriant, ils se pressèrent la main, gardant un sérieux silence.

La connaissance est faite ; plus intimement liés, ils choquèrent leurs verres, ils se racontèrent mutuellement leur vie. L’odyssée de Médaillon ne fut pas longue : fils de parents riches ruinés, il avait brillamment fini ses études au lycée ; mais, lorsqu’il s’agit de se servir de son instruction pour se créer une carrière, il échoua partout. Et de chute en chute il dévia du droit chemin. Cependant il est sur le point de pouvoir espérer obtenir une place, étant recommandé par un personnage influent.

— Pour moi, il ne s’agit que de l’avoir, cette place ; alors, je ne songerai plus à la boisson. Avec Milotchka, nous reprendrons une existence régulière et charmante. N’est-ce pas, chérie ? conclut Médaillon.

— Cela va de soi... Oui, une vie charmante, répéta machinalement La-Figure en baissant la tête.

— Savez-vous ce qui nous a tous perdu ? reprit Bachka avec un air profond : c’est notre amour-propre... rien que notre amour-propre. Tout le système de notre éducation repose sur ce mot ; c’est le sentiment qu’on nourrit en nous dès notre enfance. Je le sais par moi-même, et c’est là le sort fatal qui attend tous les lauréats. Déjà corrompus dès notre sortie de l’école, nous nous croyons des hommes supérieurs et, hommes supérieurs nous voulons rester dans la vie qui doit se dérouler devant nous dans des conditions spécialement favorables ; parce que nous, nous ne saurions végéter comme les masses populaires, aux prises avec la misère ; la destinée de ces masses ne saurait pourtant nous épargner. Manquant de force et d’énergie, nous descendons graduellement sans un appui pour nous arrêter... c’est notre chute... Qu’est ce que nous faisons pour nous protéger nous-mêmes ?... L’orgueil nous étreint, l’ambition nous dévore... Nous nous heurtons à chaque pas, vexés dans notre amour-propre... Et c’est alors, que nous demandons à l’ivresse, à la débauche, des instants d’oubli... Triste consolation..... N’est-ce point juste tout cela ?

— Ce n’est que trop juste, appuya Médaillon.

— Et nous sommes trop nombreux, hélas ! continua Bachka. À qui donc pouvons-nous imputer notre chute dont la société entière est responsable. Quand tout le monde est en cause, personne n’est en cause... On ne saurait accuser la transmission d’une machine qui brise le bras de tel individu ou qui broie tel autre. Tout ce qui existe a sa raison d’être, ergo, a droit à l’existence. Le fait s’impose et il est au-dessus de toutes les lois... Oui... Et si je dis que nous sommes perdus à cause du système défectueux de notre organisation sociale, ce n’est qu’une façon de parler. C’est une forme que j’ai choisie pour me rendre compréhensible. On peut commenter les faits, mais il serait puéril de s’en fâcher ou de s’en réjouir. Il n’y a qu’un seul point de vue où l’on puisse embrasser le résultat des faits et des causes, ce n’est que lorsqu’on les envisage du point de vue philosophique.

— Ouf... que tout cela est scientifique ! soupira La-Figure, les yeux lourds de sommeil.

Et, en effet, cinq minutes après, elle dormait déjà, bercée par les paroles savantes de ces lettrés.

Elle rêve au théâtre de province, maigrement éclairé, avec son médiocre orchestre et son public composé de petites gens ; elle se voit apparaître sur la scène en jupon court, en maillot de coton ; et, courant à la rampe, elle s’entend chanter d’une voix vibrante l’air qui produit une grande sensation. Le public l’applaudit, en admirant aussi ses jambes qui, vraiment, sont d’une beauté rare. On lui offre un gros bouquet ; heureuse et souriante, elle respire les pétales embaumés des fleurs, envoie son plus gracieux baiser au public et s’envole de la scène, disparaissant derrière les coulisses.

 

IV

Les cabarets de Propadinsk sont nombreux. On en voit de toute sorte : chacun d’eux a une physionomie particulière. Le cabaret de Zoboune est réputé pour un repaire de voleurs de chevaux et de bois. Le cabaret Iamka est le rendez-vous des mendiants. Il en est encore de plus mal famés, sans compter les bouges fréquentés par les escrocs et les voleurs à la tire.

« Plevna » se distingue par sa clientèle de gens du monde appartenant aux professions libérales. C’est là que l’on rédige les pétitions des paysans ; le notaire y vient chercher ses témoins munis de passeport. Dans ce cabaret de privilégiés, on joue les jeux de cartes distingués, tels que la stoukolka, la trinka, les trois feuillets ; on entend de la musique ; on chante et on est sûr de trouver une bonne société lorsqu’on veut s’amuser. Avec un soin méticuleux, le cabaretier évite le scandale, éloigne les escrocs. Aussi la police, rassurée à cet égard, ne descend-elle chez lui que très rarement.

Ce caractère particulier de « Plevna » est dû à son heureuse situation, presque au centre de la ville, et surtout aux grands talents d’administration et à la perspicacité de Vanka Caïn lui-même. Jadis, ce cabaret avait connu de beaux jours ; mais ensuite, il était tombé en décadence et Vanka Caïn le prit au moment le plus critique de son existence. Par ses talents d’administrateur, son flair de cabaretier, il sut le relever, ce dont il était très fier. Ses prédécesseurs avaient échoué parce qu’ils n’avaient pas son astuce. Car, il ne faut pas s’y tromper, le métier de marchand de vin, si simple en apparence, n’est nullement facile et demande un certain tact diplomatique. Bien entendu la comptabilité embrouillée de ce commerce est au premier plan et exige une habileté toute spéciale à cause de ses côtoiements délicats avec la police et la régie, mais le plus important est de conserver une parfaite cordialité dans les rapports avec la clientèle multiforme.

Lorsque Vanka Caïn prit la direction de l’établissement, Bachka lui fit cette sorte de conférence.

— C’est ça... oui... fais-toi bien à l’idée que nous ne sommes perdus qu’à vos yeux de cabaretiers ; que dans notre conscience, nous ne le sommes que provisoirement. Le dernier des ivrognes garde au fond de son cœur une profonde conviction qu’il ne s’abandonne à ce vice que momentanément, mais qu’il se relèvera et reprendra une vie plus honorable que ne la mènent ceux qui n’ont jamais bu.

— Comme de juste. Chacun de vous en buvant son petit verre espère en finir et se dit à lui même que ce sera le dernier, ajouta Vanka sur un ton de philosophie. Tout cabaretiers que nous sommes, nous savons aussi voir les choses.

— Très bien... Il faut donc que tu comprennes ceci : remarque-le bien, on ne peut s’enrichir et retirer de gros bénéfices qu’en exploitant les malheureux : ce ne sont pas les richards qui viendront grossir ta caisse, ce ne seront que de pauvres diables comme nous. Je te dis tout de suite pourquoi... Primo, les richards sont peu nombreux ; secondo, le riche fait toutes ses provisions en gros, en temps opportun, par conséquent à bon marché, tandis que le pauvre vit au jour le jour, dépensant au fur et à mesure ce qu’il gagne, achetant en détail ce qu’il vous paie le double. Et dans vos mains habiles, les petits sous amassés ne tardent pas à former un capital... Trouves-tu tout cela juste ?... Donc, note-le bien... Si tu étais versé dans les mathématiques, je pourrais t’expliquer encore ce que c’est qu’une quantité infinitésimale qui ne peut plus être mesurée. Eh ! bien, ces quantités infinitésimales accumulées forment des montagnes... Oui, mon ami, c’est ainsi et c’est précisément ce qui se produit tous les jours dans votre commerce.

— Parbleu ! et chacun son métier... Il y a cependant une chose que je ne peux comprendre : quand vous vous mettez à raisonner, vos paroles coulent de source et vous apportez beaucoup de logique dans votre jugement. Mais, dans la vie pratique, c’est autre chose ; vous êtes embarrassés de vous-mêmes ; avec tout votre savoir, vous ne savez rien faire de vous... Il y a des moments où ça fait pitié !... Avec tant d’instruction et tant d’esprit quelle belle carrière ne pourrait-on embrasser ? Mais... Grand Dieu !...

— Ceci, mon cher Ivan Vassilievitch, est une question qui n’est nullement à ta portée et tu ne devrais pas y toucher.

Bachka devint bientôt la main droite de Vanka Caïn dans toutes les affaires importantes de son établissement et, en même temps, une sorte de vache à lait dont il tirait régulièrement revenu. En effet, c’était Bachka qui donnait le ton à « Plevna » ; il y était un personnage influent. Il se fit une spécialité de la profession d’avocat, qui lui rapportait parfois des sommes assez rondelettes. Il s’empressait alors de s’habiller correctement, mais il ne tardait guère à se défaire de ses effets. Il comptait de nombreux clients parmi les commerçants et les ecclésiastiques qu’il exploitait avec une adresse peu commune. Et c’est de « Plevna » que sortait la masse des pétitions qui encombraient les différentes instances des tribunaux. Il figurait encore comme témoin dans tous les actes des deux notaires de la ville.

Bachka gagnait ainsi au minimum un rouble par jour, mais, dans cette vie agitée, il y eut des périodes stériles où il demeurait des semaines entières sans toucher un kopeck. Alors toutes sortes d’aventures lui arrivaient. Et c’était précisément quand il pouvait disposer d’une somme d’argent assez forte qu’il allait la dépenser de suite et qu’il s’adonnait à l’alcool, jusqu’à se dépouiller de ses vêtements et à ne plus être en état de se présenter chez le notaire.

Alors Vanka Caïn le tirait d’embarras sans laisser échapper cette belle occasion de lui faire, chaque fois, de vives remontrances. Et, tout en gardant au fond du cœur une grande admiration pour ses talents, il ne se faisait pourtant pas scrupule de faire peser sur lui sa main de Caïn.

Les autres habitués de « Plevna » se groupaient autour de Bachka.

Kornilytch, ancien commerçant ruiné, était un fort joueur de billard. Vivant de sa réputation, il passait nuits et jours dans les cafés, épiant l’instant favorable où il pourrait exploiter quelque joueur. Et, retournant à « Plevna », il y dépensait tout son gain à faire bombance. Grand viveur, prodigue, dépensier incorrigible, il éprouvait le besoin de faire du chic en dépensant l’argent. Pas très buveur, il aimait à passer ses loisirs à « Plevna » uniquement pour se trouver en compagnie d’une personne aussi distinguée que Bachka.

Trouba était un paysan déchu. À Propadinsk, il avait inventé une industrie toute spéciale ; très affable, il sut attirer les moujiks qui venaient au marché, et ils formèrent sa clientèle. Toujours porteur d’un jeu de cartes, il le gardait soigneusement dans l’une de ses poches ; dans une autre, il avait un gros sou ingénieusement fabriqué. C’était son secret ; il ne s’en servait que dans des moments opportuns et jamais il ne l’exhiba à « Plevna ». Voici comment il s’y prit pour le truquer. Il le lima à la moitié de son épaisseur en laissant intact le côté qui portait l’inscription, fit des trous sur la surface travaillée et y versa du mercure. Puis il le souda avec la moitié d’un autre sou auquel il laissa l’effigie de l’aigle. Dès qu’il voyait dans un cabaret un individu légèrement éméché, il l’entraînait pour l’engager à jouer aux cartes ou au jeu de pile ou face. Et c’est alors qu’il avait recours à son fameux sou, ne courant plus les risques de perdre, car immanquablement cette pièce devait retomber du côté du plus lourd. Et alors il portait son gain illicite chez Vanka Caïn où il se mettait à boire en paysan jusqu’à ce qu’il eût complètement mis à sec sa bourse.

Qui était Ckocklik ?... Il ne le savait pas lui-même. Très timide, inoffensif, il se laissait tout dire et tout faire sans jamais tenter de protester. Son existence était énigmatique pour ses amis eux-mêmes. Ils savaient seulement qu’il jouait de la guitare et qu’après de grands efforts il était parvenu à jouer même des airs d’opérettes avec deux bouchons qu’il se mettait entre les dents. Kornilytch et Trouba exerçaient sa patience et Bachka lui-même ne se faisait pas faute de s’en servir comme d’un commissionnaire, lorsqu’il avait des demandes de secours à porter et dans bien d’autres cas. Bref, ce Ckocklik n’avait pas d’initiative propre, il était heureux de rendre service et ne pouvait agir que sous l’impulsion d’autrui.

Akoulina parfois s’attendrissait sur lui et lui reprochait sa timidité en disant :

— Que tu es bête, mon pauvre Ckocklik !... Tu te laisses mener par le bout du nez... Fais donc comme les autres...

— Nous sommes de petites gens, Akoulina Mirevna, nous allons à petit pas, lui répondait Ckocklik tout troublé en tirant timidement les manches de son patelot.

Nos amis ne se privaient pas d’exploiter à leur tour la clientèle du cabaret et c’étaient jour de fête lorsque le grand monde de Propadinsk venait se griser à « Plevna » jusqu’à pouvoir y retourner ses poches, bien garnies à l’entrée. Lorsque les parents inquiets venaient chercher les absents pour les emmener, ils éclataient en injures qu’ils adressaient à Vanka Caïn en le menaçant de la police.

Le cabaretier, en secouant avec un certain chic ses longs cheveux pommadés, prenait un air doucereux et poli en leur disant :

— Que voulez-vous ? Je ne les force pas à boire !... Et quant à vos menaces, permettez-moi de ne pas en tenir compte parce que j’ai ma patente... Vous pouvez porter votre plainte si cela vous plaît.

Vanka Caïn était homme de tact : il avait surtout le sentiment des mesures, le génie de la pénétration : il traitait les gens suivant leur valeur et à cette subtilité de sens se rattachait encore une bonhomie tout à fait russe. Certes, Vanka était une parfaite canaille dans son commerce. Mais, dans son intérieur, c’était un tout autre homme : il avait plutôt l’air d’un père de famille. Il passait pour être humain aux yeux des vagabonds qu’il hébergeait et qui le servaient dans son ménage et soignaient son cheval. Bachka lui-même ne se sentait pas froissé de sarcler son jardin potager.

— Crois-tu donc, Ivan Vassilievitch, lui disait Kornilytch, attendri par l’alcool, que j’irais passer mon temps dans un autre cabaret que le tien ?... Ah, non !... non, mon vieux !... J’ai quand même le sentiment de ma dignité... Crois-moi, si je viens chez toi, c’est parce que je t’estime... Oui... Je viens ici comme chez un père, voilà... !

Il faut cependant faire remarquer une particularité de « Plevna ». C’est que dans ce milieu on était tenu de garder un sévère décorum, qu’on eut en vain cherché autre part. Ici on devait observer rigoureusement tout un rituel de bon ton : il était absolument défendu à une femme de passer le seuil de l’établissement. De nombreuses raisons amenèrent l’établissement de cette loi draconienne que Bachka venait d’enfreindre pour la première fois, car lui-même, ne supportant pas les femmes, avait contribué à les exclure du cabaret.

Akoulina Mitrevna, qui en sa qualité de femme détestait toutes les femmes, se chargeait de faire observer cette Constitution de bonnes mœurs. Vanka Caïn gardait la neutralité. Soumis à sa maîtresse, il la laissait faire, surtout dans les périodes critiques où il levait un peu trop haut le coude en absorbant sa propre marchandise.

On comprend donc aisément l’indignation provoquée dans l’assistance par l’apparition de La-Figure. Et lorsque la porte du cabaret se referma sur elle, il y eut un concert d’approbations adressées de toute part à la cabaretière qui avait eu une attitude belliqueuse dans cette affaire.

— Bravo, Akoulina Mitrevna, lui criait-on de tous côtés, comme s’il s’agissait d’une grande victoire.

— Désormais, Bachka doit être parmi nous plus méprisé que Mazeppa lui-même.

— C’est un véritable Grischka Otrepieff[9].

L’opinion, surexcitée au dernier point, prononça sans appel le verdict contre Bachka, sans circonstances atténuantes. Seul Vanka Caïn éprouva un remords de ne pas lui avoir offert à temps un petit verre, cause de tout le mal. Mais il ne voulut faire part à personne des remords secrets de cette faute qui ne retombait qu’indirectement sur lui.

« Cet homme a-t-il donc perdu la tête ? pensait Vanka Caïn pendant qu’il servait sa clientèle. A-t-il imaginé un tour ! Qu’avait-il donc besoin d’amener ici cette peste de fille !... Fallait-il qu’il fût bête d’aller choisir une traînée pareille !... Bon Dieu, est-il donc possible qu’il y ait de telles créatures en ce monde.. !

Dès le lendemain, Kornilytch donnait sur La-Figure les renseignements les plus détaillés, recueillis dans tous les cabarets où cette femme n’était que trop connue.

En fumant son cigare bon marché, il commença son récit avec un air fin :

— C’est une fille noble, soigneusement élevée par ses parents. Elle a mal tourné. On la vit sur les planches d’un théâtre, dans les cafés-chantants et enfin courant de cabaret en cabaret. Et de bravade en bravade elle contracta l’habitude de se griser : vous avez pu voir jusqu’où elle est arrivée. Zoboune m’a conté comment elle s’était emparée de Bachka. C’est horrible ce qui s’est passé là. Si vous saviez quelle est l’astuce de cette femme... C’est simplement une pierreuse, Dieu nous en garde !...

— Cette sacrée coureuse mérite d’être pendue, dit un autre.

Les conversations de ce genre ne pouvaient cependant apporter aucune consolation à nos amis qui se ressentaient tous de l’absence de Bachka, comme si la roue principale de l’engrenage eut été enlevée. Et, pour comble de malechance, le cabaret était assiégé de clients qui venaient demander la rédaction de pétitions et d’actes de procédure : Mais Bachka ne brillait que par son absence.

— Le bruit court qu’il s’est noyé, répondait Vanka Caïn avec un sinistre sourire, quand il était pressé de questions par ces pétitionnaires illettrés.

 

V

Huit jours après, accompagné de Médaillon, Bachka se présenta inopinément à « Plevna » où il reprit sa place habituelle, comme si de rien n’était. Ses anciens amis le regardèrent de travers, mais Bachka, d’un air dégagé, avec l’astuce qui lui était propre, affecta de ne pas s’en apercevoir.

— A-t-il de l’audace, cet homme ! se dit Akoulina Mitrevna. Il a sûrement une secrète pensée... Ce n’est pas pour rien qu’il retourne par ici ! Et il a su trouver moyen de se vêtir tout battant neuf... Espèce de chien !... Où as-tu donc ramassé tout cet argent ?...

Bachka, en effet était dans une tenue tout-à-fait correcte : chaussé de bottes neuves avec un pantalon neuf et un pardessus ouaté très propre, quoique acheté d’occasion. Sous un léger veston, Médaillon grelottait de froid à côté de lui.

— Tu sais que nous avons porté ton nom sur la liste des noyés, lui dit Vanka Caïn, en déposant sur la table une grande bouteille d’eau-de-vie. Beaucoup de gens sont venus te demander... Je leur ai exprimé toute ma profonde douleur, car il est cruel de s’en aller à la fleur de son âge et pour comble sans faire pénitence...

— Laisse-moi tes blagues de côté, dit Bachka en lui coupant la parole. Tu vois, je t’amène un bon client.

— Eh bien ! Nous sommes toujours honorés de recevoir d’honnêtes gens. L’argent ne suffit pas pour faire son chemin, il nous faut encore des hommes de mérite comme toi.

Médaillon fut soumis à un examen critique d’où il sortit triomphant et il ne tarda guère à s’attirer la sympathie de tous.

Akoulina Mitrevna elle-même se prononça en sa faveur, disant qu’il ferait bien la paire avec Ckocklik.

Vers le soir, étant pris d’alcool, Bachka entama une longue dissertation avec Médaillon sur des matières philosophiques, et Vanka Caïn fit remarquer à sa maîtresse que Médaillon était bien au-dessus de Ckocklik.

— Il faut l’entendre discuter ; que de science chez cet homme ! Notre Kornilytch est un beau parleur, ceci est incontestable, mais tu aurais vu comme lui-même restait là, bouche bée.

Ce soir là, en effet, Bachka était en veine d’esprit ; tout préoccupé de son nouvel ami, il cherchait avec une grande affectation à saisir toute occasion de lui être agréable, ce qui était encore un sujet de vexation pour ses anciens amis.

— Il y a toute une série de faits qui sont en dehors de la logique, mais que l’on admet par habitude, disait Bachka... Par exemple, la société ne veut pas nous faire une place parmi ses membres, elle a honte de nous, et cependant nous sommes un phénomène qui, nécessairement, doit se produire dans cette organisation sociale. Et j’affirme, que nous autres, nous envisageons les choses avec plus de justesse car, d’après la doctrine de l’utilitarisme, nous avons échangé les biens matériels contre quelque chose de plus essentiel, et nous sommes à même de nous désaltérer, si je puis m’exprimer ainsi, à la source de la vie, tandis que les autres ne peuvent que s’approcher de cet idéal. Arrivés à cette hauteur de contemplation philosophique, toutes les misères de la vie humaine nous paraissent simplement ridicules...

— C’est très juste, approuva Médaillon en enfonçant les doigts dans sa blonde chevelure. Les hommes ont beaucoup de peine à se défaire de leurs préjugés, surtout lorsque ceux-ci se rattachent à leur train de vie... Seulement, mon éducation philosophique a été négligée au lycée et je ne saisis pas très bien les nuances de ta philosophie...

— Le mal n’est pas si grand ! Je vais corriger ce défaut de ton instruction, dit Bachka, en secouant ses longs cheveux bouclés. Je te dis carrément que je me sens peu de goût pour cette sèche instruction que vous recevez dans vos lycées... Ma foi... Vous avez beaucoup de connaissances et des connaissances solides, mais elles pèchent par la base, vous n’avez pas le pli philosophique. Chez nous, séminaristes, la cervelle a dû subir le tannage, pour ainsi dire. Ha, ha, ha !... C’est que la vie, mon ami, est une chose qui n’est pas facile à comprendre et surtout lorsqu’il s’agit de faire voir non seulement le bon bout de la pièce, mais encore, son extrémité défectueuse. Il ne suffit pas de contempler la vie dans son appareil de parade.

Et ici Bachka cita un verset de la Bible à propos de l’or et de l’agneau.

— Et ceci se produit certainement dans le monde, conclut-il. « L’or, » c’est ce que nous étions avant d’avoir reçu l’instruction et « l’agneau » en est le résultat... Sais-tu que récemment encore lorsque, sous un froid intense, je battais la boue dans la nuit, pieds nus, n’ayant pour tout vêtement qu’une chemise, que tous mes membres étaient raidis et glacés, dans mon imagination passaient et repassaient les citations grecques et latines d’Ovide, de Cicéron, d’Homère. C’était là une ironie cruelle mais singulièrement instructive... Je riais, je me moquais de moi-même. À quoi bon ! me disais-je. Pourquoi tout cela ?... La vie veut l’intégralité de l’homme, elle le veut fort d’esprit et de volonté ; et nous, nous cherchons à prendre part au grand festin en y apportant nos deux ou trois phrases latines que nous répétons comme des perroquets. C’est seulement ici, dans ce « Plevna », que j’ai la conscience d’être un homme et encore je sens un ver rongeur qui me dévore les entrailles. Il y a des moments où je suis terrifié par cette dissonance qui donne le ton général et à laquelle je contribue. Ce Vanka Caïn est un homme équilibré parce que sa bêtise est sans limite. Il appartient à l’espèce des marsupiaux ou des pachydermes et ses cheveux, pour sûr, viennent directement de sa cervelle.

Médaillon s’étendit en théories sur le même thème inépuisable ; seulement il ne pouvait pas admettre que la cruelle logique de Bachka fut appliquée à tous les cas.

Se repliant sur lui-même, avec son air malade, il frissonnait nerveusement sur sa chaise au moindre sifflement du vent hurlant dans la cheminée.

On était au mois d’octobre.

La gelée, ayant pénétré les couches supérieures de la terre, en formait une sorte de croûte et partout s’étalait une légère couche de neige que l’on aime tant à contempler de sa fenêtre, lorsqu’on est dans une chambre bien chauffée et que, dans sa garde-robe, on possède une pelisse bien fourrée pour braver les intempéries.

— Dis donc, quel déplorable et chétif organisme que le tien, s’indignait Bachka chaque fois qu’ils étaient dans la rue et que Médaillon, transi de froid, claquait des dents. Regarde-moi, on dirait que je suis taillé d’une seule pièce dans un roc...

Dans le temps, Bachka, de même que les autres habitués de « Plevna », couchait dans une petite pièce qui se trouvait au fond de la maison ou bien il allait chercher un gîte de nuit dans un bouge quelconque. Maintenant il disparaissait chaque soir en compagnie de Médaillon.

— Il va coucher avec sa belle, qui n’a pas l’aplomb de se présenter ici pour nous montrer ses beaux yeux effrontés, disaient les amis de « Plevna » en haussant dédaigneusement les épaules.

La-Figure était malade et alitée dans son sous-sol. Bachka et Médaillon lui apportaient de quoi se chauffer et se nourrir et pour trouver les quelques kopecks qu’ils dépensaient pour elle, il leur fallait battre la ville.

Pour cette femme, Bachka changea du tout au tout. Maintenant il la soignait comme un enfant, à sa guise, d’une façon brusque, à la séminariste, bien entendu. En le voyant faire, on aurait pensé qu’il allait la battre. Mais cela ne l’empêchait pas de passer au chevet de la malade les longues nuits d’automne s’éternisant dans le silence profond de la ville endormie. Il s’était chargé d’amener le médecin et c’était lui qui avait trouvé le moyen de fournir les médicaments ; il procura un matelas et une couverture à sa protégée. Et comme il avait encore à s’occuper de Médaillon pour lequel il s’était senti une très grande affection dès le premier jour, il devait travailler sans relâche.

La-Figure, les yeux fermés, gisait sur son lit et semblait ne reconnaître personne. Consumée par une fièvre intense, toute la nuit, elle s’agitait, en râlant en poussant de sourds gémissements.

Heureux de la soigner, Bachka lui mettait des compresses froides, prenait sa température, lui faisait prendre les médicaments.

Les deux amis aimaient à passer ces longues veillées dans la chambre de la malade près du foyer clair, lorsque le bois pétillait gaiement dans le poêle et qu’une douce et bienfaisante chaleur se répandait dans le sous-sol. Assis l’un près de l’autre ils s’abandonnaient, alors, en véritables philosophes, à une contemplation muette.

— Quelle chose curieuse que le feu, disait Bachka d’un ton méditatif, en contemplant le jeu des flammes. C’est un élément de la nature, un symbole de la purification, le prototype du foyer domestique, la plus grande découverte de l’homme préhistorique, le plus actif agent que possède le travailleur moderne.

Médaillon citait des auteurs grecs et latins qui donnent des notions sur l’origine du feu et Bachka se plongeait dans une rêverie et repassait dans sa mémoire les souvenirs de sa jeunesse. Il ne conservait qu’une vague image de son père et de sa mère, tous deux enlevés par l’épidémie cholérique qui sévissait en 1848. Son oncle le mit au séminaire et depuis lors, Bachka se vit abandonné à lui-même. Ce qu’il eut à souffrir pendant les douze années qu’il passa au séminaire !... La faim, le froid, toutes les privations, toutes les misères possibles formèrent son caractère et en firent un véritable Bachka. Sous quels différents aspects n’a-t-il pas apparu pendant son séjour dans cette sorte de purgatoire ! Ses différents services au presbytère et jusqu’à sa fonction de basse chantante dans les chœurs de la cathédrale de l’archevêché !... Plus tard il se voit employé au consistoire, dans la régie des alcools, dans la police, dans les mines d’or, à la municipalité... Il entend encore son professeur lui dire : « — Tu perdras la tête, mon ami, tu es trop précoce et un jour tu seras entraîné par la propre force de ton orgueil qui ne connaît pas de bornes. »

En effet, il y avait quelque chose d’anormal dans l’esprit de Bachka. Doué de multiples talents, avec ce pli philosophique qui lui était propre, très ingénieux, il a essayé de toutes les carrières, il a fait tous les métiers. De prime abord, il est sympathique à tout le monde, mais il ne tarde guère à s’aliéner les gens et successivement il abandonne emplois et métiers pour courir dans la rue qui le fait vivre.

Dans ses moments de méditation Bachka voyait bien qu’il glissait sur une pente rapide où fatalement il tomberait un jour, l’énergie de réagir sur lui-même lui ayant constamment manqué. L’orgueil lui rongeait lentement le cœur comme un mal contagieux qui détruit l’organisme sous une pression latente. Il s’adonnait à la boisson, c’est vrai ; il buvait déjà à l’âge de douze ans. Mais qu’était l’alcool pour cette nature de fer ? Étreint par une tristesse continuelle, il y cherchait l’oubli. Le succès même, loin de le réjouir, le plongeait dans le marasme. Dans son génie il se sentait la force de déplacer une montagne, et en réalité il ne faisait qu’attraper des souris, comme il le disait lui-même. Et c’est la conscience de sa force et de sa supériorité qui le perdit comme tant d’autres hommes de talent qui fatalement furent réduits au « même dénominateur », comme il appelait l’alcoolisme.

Bachka, dans ses dissertations, aimait à citer ce mot du bogatyr Sviatogor[10] : « La force de l’homme écrase l’homme comme un lourd fardeau. » Il faut savoir comprendre cela, ajoutait-il.

Dans la vie de Bachka, il y avait une lacune que l’on ne saurait s’expliquer. La femme, à ses yeux, n’était qu’une triste nécessité imposée par les lois physiologiques ; l’auréole dont les poètes de tous temps l’ont entourée, qu’une drôlerie, une absurdité, un non sens. Cet être vulgaire, cette race querelleuse ne présente dans la nature qu’une forme transitoire et, comme telle, accuse toutes les imperfections d’une existence intérimaire.

Au point de vue physique, il ressentait pour elle la répugnance, le mépris nourri chez lui depuis sa première jeunesse et qui l’avait suivi pas à pas dans toute sa vie pénible.

En sa qualité de philosophe, Bachka haïssait la femme, comme le forçat hait la chaîne même qu’il voit porter aux autres. L’idée de l’amour ne l’avait jamais hanté, il n’éprouvait pas la moindre aspiration pour ce sentiment naturel et vivait en véritable ascète.

En effet, ayant à peine connu sa mère, il ne se rappelait pas les tendres soins, les douces caresses qu’il reçut dans son enfance ; il grandit en sauvage et ne rêvait qu’à la vie monastique.

Le hasard jetant La-Figure et Médaillon sur son passage, cette rencontre fit naître en lui un sentiment dualiste. Son mépris pour La-Figure grandissait à mesure qu’il l’appréciait et son affection s’élevait en sens inverse pour Médaillon, cet embryon de Bachka, ce rapprochement de son propre prototype, de son idéal, comme s’il retrouvait en son jeune ami une partie de lui-même et précisément ce qui lui faisait défaut. Si singulier que cela puisse paraître, Bachka nourrissait pour Médaillon un sentiment paternel comme s’il eût voulu se voir perpétué dans cet organisme chétif.

Le sentimentalisme des deux amants, leur tendresse réciproque le révoltaient jusqu’au fond du cœur dans les premiers jours. Cependant une existence nouvelle se dévoilait devant lui et pas à pas il marchait vers un monde qu’il avait ignoré jusqu’ici. La-Figure aimait Médaillon et Bachka, sous une forme réfléchie, goûtait ce sentiment étranger pour lui. Il se sentait envahi par une tristesse nouvelle comme s’il eût perdu quelque chose de précieux. Se concentrant en lui-même, il luttait avec ce sentiment comme on lutte avec un ennemi mortel qui vous attaque par derrière dans l’obscurité.

— Absurde bête ! grommelait-il en prenant sa tête dans ses deux mains.

Pouvait-il donc aimer La-Figure, cette femme d’un aspect si sale, si ruinée de santé, qui ne ressemblait pas plus à une femme qu’une savate qui bâille ne ressemble à une chaussure neuve.

Bachka possédait un physique trop vigoureux, trop sain pour ne pas ressentir du dégoût pour cette femme ; cela ne l’empêchait pas néanmoins de voir en elle une autre femme éclatante de beauté et de fraîcheur, cette femme qui, autrefois, par son sourire seul, pouvait faire des heureux. En passant ses nuits au chevet de la malade, il se remémora son passé. Il la voyait sur la scène, du haut de l’amphithéâtre où il avait sa place, souriante et folâtre, communiquant sa gaîté au public... et à présent... L’homme le plus philosophe ne saurait concilier dans son esprit cette impitoyable déchéance ; la forme est là, mais la substance s’est volatilisée.

La pauvre créature gisait sur son lit, les yeux toujours fermés ; il y eut un moment où Bachka pensa qu’elle allait mourir. Et un sentiment de fureur s’empara de lui en présence de l’impuissance de l’homme devant le mal. Austère, inflexible, avec sa santé de fer, il se voyait plus faible qu’un enfant et, comme cet enfant il ne pouvait faire autre chose que d’attendre. Il eut surtout une nuit cruelle à passer ; enfin une crise amena un mieux sensible chez la malade et, pour la première fois, elle s’endormit du paisible sommeil de la convalescence. Le lendemain en s’éveillant, elle demanda à manger.

— Je me sens mieux, fit-elle en serrant la main de Bachka.

Ce mouvement involontaire de La-Figure gâta tout. Bachka eut alors le regret qu’elle ne fut pas morte et, furieux, il se fit d’amers reproches d’avoir perdu son temps dans ce sous-sol.

La vérité est qu’il se sentit troublé, très bête et honteux devant la convalescente.

Bachka entre dans une nouvelle période. Il disparaît toute la journée et ne revient chez Médaillon que le soir. La convalescence de La-Figure progresse rapidement ; son jeune organisme reprend le dessus. Elle ne songe qu’à manger... Sur son grabat, elle passe son temps à inventer de nouveaux plats.

— Savez-vous ce que j’éprouve ? dit-elle un soir que Médaillon et Bachka se trouvaient près du feu plongés dans leur méditation. Il me semble que je viens de renaître. L’autre jour je m’éveillais et, me trouvant seule ici, il m’a semblé que j’étais encore une toute petite fille vêtue d’une robe d’été en mousseline blanche mouchetée de rosé, très courte et d’un pantalon brodé. Je portais une chemise toute blanche en batiste très fine et j’avais les cheveux attachés par un ruban. Que c’était drôle ! Mais, hélas ! tout cela n’était qu’un rêve... Je me sentais si légère et si à l’aise que j’en riais...

Ce récit fit enrager Bachka. Il saisit son bonnet et se sauva sans rien dire.

— Qu’est-ce qui lui prend donc ? demanda La-Figure toute perplexe.

— Est-ce qu’on sait ? reprit Médaillon avec indifférence. Il est si original dans tout ce qu’il fait.

Bachka passa cette soirée à boire à « Plevna ». Il s’ouvrit à son ami intime Kornilytch et, soulagé par cette confession volontaire, il finit par faire le serment de ne plus retourner chez Médaillon.

— Au diable, ces gens-là ! approuva brièvement Kornilytch.

— Une robe blanche... Une petite chemise toute blanche, comprends-tu ? Et encore cette chemise en batiste très fine ?... Et dire qu’elle a rêvé tout cela... En voilà une âme vile !... Et puis un ruban aux cheveux... Sacré tonnerre !...

Dans cet état d’ivresse, Bachka maudissait toutes les femmes en général, mais le lendemain, à la nuit tombante, il entrait de nouveau chez Médaillon. D’un air austère et morne, il fumait une à une ses cigarettes de mauvais tabac qu’il roulait fiévreusement dans du grossier papier. Il passait dans cette rue et était entré pour se réchauffer. Pas une seule parole ne fut adressée à La-Figure ; il faisait semblant d’ignorer sa présence. En quittant ses hôtes, il ferma sur lui la porte avec tant de rage qu’elle se décrocha de l’unique gond qui la retenait. Dans ces circonstances, il dut rester et sa visite se prolongea alors plus longtemps qu’il n’avait compté, mais il fit preuve d’une grande fermeté de caractère en ne desserrant pas les dents de toute la soirée. Une fois dans la rue, il chemina à grands pas pendant de longues heures, mûrissant un projet, en ne cessant de pester contre lui-même.

— Ah ! quant à cela, je vous demande pardon ! dit il à haute voix en foulant la neige fraîchement tombée, dont la blancheur éclatante le fit penser de nouveau à cette maudite chemise fine en batiste. Flûte !... C’est trop fort... Au diable !...

Depuis quelque temps, très actif, Bachka travaillait fiévreusement et avait réussi à faire aboutir une masse de petites affaires. Des milliers de pétitions et d’actes de procédure s’envolaient de sa plume habile pour se diriger sur toutes les instances des administrations. Il gagna beaucoup d’argent et trouva l’occasion de placer Médaillon comme clerc chez un notaire. On travaillait ; en un mot, tout allait comme sur des roulettes.

Quelquefois, le soir, pour se réchauffer, Bachka entrait chez Médaillon, y fumait quelques cigarettes et disparaissait de nouveau. Il gardait toujours son air austère avec La-Figure qui était déjà en état de faire quelques pas dans la chambre et qui prenait plaisir à s’asseoir au coin du feu. La maladie l’avait changée complètement. Son visage ne gardait plus trace de sa bouffissure d’ivrognesse et présentait un ovale gracieux ; sa peau fine avait repris sa blancheur légèrement rosée ; ses yeux accusaient un regard pur et serein comme chez un enfant qui vient de s’éveiller.

— Et ni, ni..., c’est fini !... Je ne touche plus aux alcools, répéta La-Figure pour la centième fois. Pas une seule goutte... Tu as une place et de mon côté je vais trouver de l’occupation. Je me ferai souffleur au théâtre, je prendrai une place de demoiselle de magasin. Bref, nous nous arrangerons.

Bachka écoutait ces louables projets en souriant ironiquement. Il était exclusivement préoccupé d’une idée philosophique et à tout propos entamait des discussions avec Médaillon ou plutôt cherchait à le taquiner et le battait sur tous les points. Un soir, la discussion dégénéra en une véritable querelle.

— Vous, médaillons, vous n’y entendez rien... Voilà ! coupa court Bachka. Quelle race représentez-vous, pourrait-on se demander si l’on voulait se donner la peine de vous analyser ? Il n’y a rien à faire qu’à cracher dessus et encore ne resterait-il pas grand’chose à essuyer — c’est tout dit.

— Cependant, Bachka, lui répliqua Médaillon, atteint au vif, tu te permets un langage trop fort.

— Ah ! vous êtes habitué à ce qu’on vous caresse les cheveux, à ce qu’on vous approuve en tout !... Ah... hurla Bachka inopinément, un crevé de lycéen et la philosophie !... ha, ha, ha !...

— Écoutez, Monsieur, vous n’êtes pas poli, ajouta La-Figure.

— Pas... po...li ?... répéta Bachka blanc de fureur et en accentuant toutes les syllabes. Et toi, Figura Ivanovna, de quoi te mêles-tu ? Va t’en au diable !... Entends-tu ?... Je n’y mettrai pas tant de façons, moi. Tais-toi ou je te prends par le chignon et je te colle au mur !...

Comme toutes les personnes qui ont tort et qui veulent avoir raison, Bachka se mit à jurer à tout rompre, cherchant à se venger sur Médaillon qui n’y était pour rien et qui poussa seulement un sourd grommellement, ce qui exaspéra encore davantage Bachka.

 

VI

Les affaires à « Plevna » allaient de mal en pis et les habitués attribuaient cette décadence au séparatisme de Bachka. Bien que celui-ci n’eut pas cessé de fréquenter l’établissement, car il y venait encore assez souvent, ce n’était plus comme par le passé, il n’y était plus corps et âme.

— J’ai donc subi, l’autre jour, une véritable aberration d’esprit, se disait mélancoliquement Vanka Caïn en contrôlant sa recette de la journée. Ça ne m’eût pourtant pas coulé, continuait-il, de lui offrir un petit verre. En effet, qu’est-ce qu’un petit verre d’alcool ? Rien, on s’en fiche. Et maintenant, j’en paye les conséquences.

Mais aussitôt un démon s’agitait en lui, l’incitant à ne pas céder devant Bachka.

— Eh quoi ? Après tout, on saura bien se passer de lui. Les marais ont assez de diables pour remplacer cet homme !...

Toujours poli, affable en apparence, il gardait ses anciennes manières d’agir envers Bachka, mais il ne pouvait dissimuler le revers de la médaille et il n’attendait que le moment propice pour s’en venger. Malgré la recrudescence des affaires qui précède ordinairement les fêtes de Noël, Vanka Caïn se ressentit cruellement du vide fait autour de son comptoir, ce qui contribua à affermir dans son esprit cette idée de vengeance. Et pour comble de misères, un autre cabaret venait de surgir à côté de lui, ce qui ne pouvait être que l’œuvre de Bachka.

— N’est-ce pas ce qui arrive toujours ? disait Vanka Caïn en s’épanchant auprès de ses clients et en prenant l’air intéressant d’une victime. Nous avons un dicton populaire qui dit : « Ne donne asile à personne si tu ne veux pas avoir d’ennemis. » C’est parfaitement vrai. Il a été bien aise de me trouver pour manger chez moi quand il n’avait pas le sou et maintenant il me cherche chicane. Dans le temps tous les paysans se réunissaient ici comme dans une officine, c’était une véritable succursale des tribunaux : où sont-ils à présent ? C’est rasé, adieu mes amis !... La machine est arrêtée comme si son ressort principal était cassé ; et tout cela pour me récompenser de mes bienfaits, oui — ajoutait Caïn sur un ton sournois et rageur.

Il en était de même des habitués de la salle réservée qui ne se sentaient plus à leur aise. Leurs propres affaires ne marchaient pas sans Bachka, il leur manquait son esprit inspirateur. Et dans leur pensée, ils rejetaient tous leurs insuccès sur leur ex-ami qui n’y était pour rien. Kornilytch, après avoir perdu au billard parce que sa main commençait à le trahir et son œil à s’affaiblir, en accusait Bachka. Trouba, ayant reçu des coups de poing dans une auberge pour son fameux sou — c’était encore la faute à Bachka. Plus d’une fois l’inoffensif Ckocklik, lui-même, allant se coucher le ventre creux, s’en prenait à la conduite étrange de son ancien protecteur.

Quelques jours avant Noël, il y eut une triste journée. Par un temps épouvantable, sous des tourbillons de neige incessants, où le passant grelottait dans la pelisse la mieux fourrée, nos amis réfugiés dans leur salle du cabaret ne pouvaient sortir n’ayant même pas pour eux trois un bonnet de fourrure. Languissants, ils attendaient que le hasard leur envoyât un bon génie.

Leur situation était vraiment critique, et comme pour les exaspérer davantage, alors qu’ils étaient là à claquer des dents, ils voyaient passer dans la rue une foule de gens chargés de provisions, les uns portant des oies grasses, les autres des jambons appétissants et de superbes saucisses.

— Le diable devrait bien nous envoyer Bachka ! dit en grognant Kornilytch et en jetant un regard mélancolique du côté de la porte qui s’ouvrait. On dit qu’il se promène à présent en pelisse avec un col de castor.

— Ah, l’espèce de chien ! jura Trouba. Allez... ce qu’il y a des gens chanceux dans ce monde !...

Au moment où la désolation des amis était au comble, sur le seuil du cabaret apparut notre ancienne connaissance La-Figure, déjà grisée et tenant dans ses mains engourdies de froid un paquet enveloppé dans du papier.

— Bachka est-il là ? demanda-t-elle à Vanka Caïn, qui la regardait d’un œil hagard, comme s’il allait la dévorer vivante.

— Il y était, il n’y a pas longtemps, mais c’est fini, lui répondit-il sur un ton railleur et galant comme d’habitude.

— J’ai à vous parler.

— Je suis tout à vous, je vous écoute. Qu’y a-t-il donc ?

— Pas ici... C’est un secret.

Caïn, qui connaissait parfaitement la nature de ces « secrets », d’un mouvement de tête, désigna la porte de sa chambre. La-Figure s’y glissa avec la dextérité d’un lézard.

Akoulina Mitrevna, qui faisait un somme, douillettement couchée sur son lit de plumes, accueillit la visiteuse d’une façon fort malveillante et, sans lui adresser la parole, d’un geste brusque, lui arracha son paquet, qu’elle se mit à défaire brusquement en arrachant le papier par lambeaux. Elle déplia une magnifique chemise de femme en batiste fine richement garnie de dentelles, une robe en mousseline blanche, mouchetée de rose et un petit ruban bleu.

— Ce sont probablement des effets volés qui nous amèneront bientôt devant le tribunal, dit Akoulina en les regardant de près devant la fenêtre. Non, ma petite mère, il n’en faut pas... Notre établissement n’est pas de ceux où l’on spécule sur les objets volés.

— Je puis vous assurer qu’il n’y a rien de volé, articula La-Figure d’un ton convaincu. J’accepterai ce que vous voudrez m’en donner.

— Conte-moi tes fables, nous les connaissons...

En vérité Akoulina convoitait cette belle chemise et cette jolie robe de mousseline, à laquelle elle rêvait depuis longtemps, mais elle ne pouvait se priver du plaisir d’humilier cette femme qu’elle haïssait profondément et de le faire à la pose. Son bonheur eût été de la battre, les mains lui démangeaient à tel point qu’elle avait envie de la giffler. Mais cette robe de mousseline qu’elle convoitait faisait bien son affaire. Et de nouveau l’examinant de plus près :

— Comment de tels objets sont-ils entre tes mains ? dit-elle en traînant ses syllabes.

— En quoi cela peut-il vous intéresser ? Ces effets sont à moi.

— Ils sont à toi !... Et si on te les achète et qu’on les porte, on sera vite emmené au poste de police...

— Ah, mon Dieu !... Mais je vous les laisserai bon marché.

— On n’en a pas besoin, coupa court Akoulina en chiffonnant la robe pour la rouler. Avec vous autres, on ne peut s’attendre qu’à des ennuis. Fiche-moi le camp !

— Écoutez, je vais vous confier de qui je tiens ces effets, mais je vous prierai de n’en rien dire à personne...

— Eh bien ?

— C’est Bachka qui m’a donné tout cela... Oui. Il est si original... Hier au soir, Médaillon n’était pas encore rentré de son bureau, j’étais seule à la maison, quand j’entendis son pas bien connu. Je feignis de dormir pour voir ce qu’il allait faire. Sur Dieu je vous le jure... Il entre. Me croyant endormie, il s’approche furtivement de mon lit, dépose ce paquet sous mon oreiller et se sauve en toute hâte. Parole d’honneur, je n’ai pas ajouté un mot. Quelle est la fantaisie qui lui a pris, je n’y comprends rien...

— Combien veux-tu donc de cela ?

— Vous me donnerez cinq roubles du tout... Ces objets en valent plus de vingt.

— Tu vas bien te contenter de deux roubles.

— Mais ces effets sortent d’un magasin de nouveautés...

Enfin le marché fut conclu pour trois roubles. La-Figure froissa ces trois roubles-papier dans sa main et se dirigea vers la pièce réservée aux habitués où elle se fit servir trois bouteilles d’eau-de-vie et quelques hors-d’œuvres.

— Messieurs, dit-elle à nos amis, nous allons faire la noce. Sans façons, ne vous gênez pas, buvez, je vous en prie... ha, ha, ha !... Le premier verre descend lentement, comme un pieux qu’on enfonce, le deuxième passe sans peine, comme un faucon qui s’élance dans l’espace et les autres glissent rapidement comme de légers petits oiseaux qui voltigent dans les airs...

Et la fête commença. Kornilytch et Trouba oublièrent leurs misères, en avalant précipitamment un à un leurs petits verres ; l’inoffensif Ckocklik y prit également une large part. Mais la palme de cette orgie revenait de droit à l’auteur du festin. La-Figure compléta rapidement son état d’ivresse et souriant, d’une voix alcoolisée, raconta différentes anecdotes sur Bachka. Elle refit le récit de son dernier cadeau.

— C’est un très brave garçon, dit-elle, en traînant ses paroles et en gesticulant. Il n’a pas même oublié le petit ruban bleu du rêve ! ha, ha, ha !... Quand j’étais enfant... Oui !... Qu’est-ce qui vous fait donc rire ?

Échauffée par l’alcool et encouragée par l’attention que lui prêtaient ses auditeurs, elle recommença son récit, comme une actrice sur la scène, en déclamant le personnage de Bachka, ne cessant de grimacer et de gesticuler ; emportée par ses gestes comiques, elle faillit plusieurs fois s’étendre sur le parquet.

Cette représentation gratuite amusait beaucoup le public du cabaret. Vanka Caïn en riait jusqu’aux larmes.

— Quelle peste que cette créature ! murmura-t-il en se tordant d’un rire inextinguible. Aïe, Bachka !

Au point culminant de la gaîté, lorsque tous les buveurs de « Plevna » y prenaient largement leur part, Bachka venait d’entrer.

D’un geste rapide du doigt, Vanka Caïn l’appela à son comptoir et étala sous ses yeux la chemise et la robe dont il était devenu possesseur, sans oublier le petit ruban bleu. Et partant d’un éclat de rire :

— N’est-ce pas que c’est une jolie surprise ? Ha, ha, ha !... Et maintenant, va donc voir le beau spectacle que nous donne ta Figure.

Un moment Bachka demeura saisi et Vanka Caïn, d’un geste brusque, le fit avancer jusqu’au seuil de la petite salle où La-Figure répétait pour la dixième fois la représentation de la légende de son cadeau qu’elle modifiait à sa manière.

Le public l’applaudissait à outrance et riait à pleine gorge.

Bachka pâle, plus blanc qu’un linceul, la contemplait d’un long regard.

— Tu la vois ? souffla Caïn à son oreille.

— Oui.

— Et c’est vrai ? insista-t-il.

— C’est vrai.

Les habitués, s’étant aperçu de la présence de Bachka, se turent tout à coup et un à un s’éloignèrent de cette femme qui resta seule au milieu de la pièce plongée dans un complet état d’ivresse.

Et Bachka, ahuri, immobile, restait là, comme devant un spectacle invraisemblable.

— Ah, assomme-moi donc ça ! l’excita Caïn, en le poussant légèrement vers La-Figure.

D’un œil sombre, Bachka fixa un instant le cabaretier en lui lançant un sourire plein d’ironie et de mépris ; puis, d’un pas chancelant, se dirigea vers la porte.

— Attends, où vas-tu ? Prends donc au moins ton bonnet, lui cria Vanka Caïn.

Mais Bachka, déjà loin, ne l’entendit pas.

Depuis, on ne le revit plus à « Plevna ».

Il disparut à tout jamais de Propadinsk.

 

 

 

 


_______

 

Texte établi par la Bibliothèque russe et slave ; déposé sur Wikisource en janvier 2010 et sur le site de la Bibliothèque le 7 juillet 2011.

 

* * *

 

Les livres que donne la Bibliothèque sont libres de droits d’auteur. Ils peuvent être repris et réutilisés, à des fins personnelles et non commerciales, en conservant la mention de la « Bibliothèque russe et slave » comme origine.

 

Les textes ont été relus et corrigés avec la plus grande attention, en tenant compte de l’orthographe de l’époque. Il est toutefois possible que des erreurs ou coquilles nous aient échappé. N’hésitez pas à nous les signaler.



[1] Nom de fantaisie formé du verbe : être perdu, périr. — Trad.

[2] Bachka : « La Caboche » — Titre original de la nouvelle. (Note BRS)

[3] Diminutif de Jean dans un sens méprisant. — Trad.

[4] 125,000 francs.

[5] Expression de raillerie méprisante.

[6] Les séminaires ecclésiastiques en Russie reçoivent les enfants du clergé dès leur jeune âge. Les dernières classes seulement sont consacrées aux études théologiques spéciales que suivent les élèves qui se destinent à la carrière sacerdotale. Dans les classes inférieures l’enseignement correspond à celui des lycées. Traduct.

[7] Chérie.

[8] Bachka, tête, s’emploie dans le sens d’un homme d’une grande intelligence. Trad.

[9] Ces noms historiques sont devenus chez le peuple russe synonymes de traîtres. Traduct.

[10] Personnage légendaire doué d’une force surhumaine. Traduct.