LA BIBLIOTHÈQUE RUSSE ET SLAVE

 LITTÉRATURE RUSSE

 

 

Vladimir Maïakovski

(Маяковский Владимир Владимирович)

1893 – 1930

 

 

 

 

Écoutez, canailles...

(Сволочи)

 

 

 

1922

 

 

 

 

 


Traduction anonyme parue dans Clarté, n°66, 1924.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cloués par ces lignes, Restez muets Écoutez ces hurlements de loup Qui ressemblent à peine à un poème !

Donnez ici Le plus gros Le plus chauve, Prenez au collet et poussez le Dans la boue et les comptes Des Comités de l’aide aux affamés ! Regarde, Tu vois Derrière ces chiffres nus...

Un coup de vent Fort et doux Enveloppe dans la neige Des milliers De millions de toits, La neige Cercueil des villages du Volga Les cheminées, Les cierges.

Même les corbeaux Disparaissent, Ils sentent que, fumante, Arrive Douce et nauséabonde, L’odeur Du fils, Du père, De la mère, De la fille Que l’on rôtit. De qui est-ce le tour ? Il n’y aura pas de secours, Séparés par la neige Non, Pas de secours, Il faut se rendre.

Pas de secours ! Sous les pieds, Même le mortier On le dévore ! Même les mauvaises herbes !

Pour dix provinces Mesurez les tombes. Vingt millions Vingt, Couchez-vous Mourez ! Mais seule, Avec une voix enrouée, Avec de folles malédictions, Les cheveux neigeux des chemins Tirés par le vent, Sanglote la terre.

Du pain, Un peu de pain. Encore du pain ! Elle-même, voyant la mort en face, Ayant à peine à manger, Pour ne pas crever La ville tend sa main ouvrière, Une poignée de miettes desséchées.

Du pain, Un peu de pain, Un peu de pain ! Les radios Hurlent à toutes les frontières Et comme réponse Bêtises sur bêtises Tombent dans les colonnes Des journaux.

« Londres, Banquet, Présence du roi et de la reine Qui bouffent Ce qui ne pourrait rentrer Dans une bauge tout en or ! »

Soyez maudits ! Que Pour votre tête couronnée Des colonies Accourent les sauvages Les anthropophages, Que brûle sur le royaume L’incendie des révoltes ! Que Vos capitales Soient brûlées Tout entières ! Que des princes héritiers, Des princesses, Le manger Se pré­pare Dans des couronnes marmites !

« Paris, Réunion du Parlement, Rapport sur la famine Par Fridjof Nansen ». On écoute en sou­riant Comme un air de rossignol Comme si on écoutait Un ténor Dans une romance à la mode.

Soyez maudits ! Que Pour l’éternité Vous n’entendiez plus La voix humaine ! Prolétariat français Hé ! Prends dans un nœud Au lieu de discours, Une foule de cous !

« Washington, Les fermiers ayant bouffé, Ayant bu, Tellement Qu’il leur faut Une grue Pour soulever leur panse ! Dans la mer Ils jettent le superflu De la fine farine, Chauffent les locomotives Avec du maïs ! »

Soyez maudits ! Que Vos rues Soient pleines de révoltes, Que, trouvant Les places les plus sensibles, Sur le Nord Et sur le Sud De l’Amérique, On joue de vos panses ! Comme des balles du football.

« Berlin, Les émigrés ressuscitent, Leurs bandes sont satisfaites, Avec les affamés Ils se battent. À Berlin, Frisant sa moustache, Marche, se vante Le patriote russe. »

Soyez maudits ! Dehors ! Éternellement ! Dégoûtez tout le monde Par votre air de Judas, Poursuivi par le son De l’or français, Soyez errants Pour l’éternité ! Forêts russes, Rassem­blez-vous, Choisissez vos plus grands arbres, Que leur image Toujours pendue, Se balance toute bleue Contre le ciel !

« Moscou, La rassembleuse se plaint : À l’Empire, On fait des grimaces, On y donne trente roubles Qui ne marchent plus Depuis 1918 ! »

Soyez maudits ! Que cela soit ainsi : Que chaque bouchée avalée Vous brûle l’estomac ! Qu’un bifteck saignant Se change en ciseaux Et vous coupe les intestins !

Seront morts Vingt millions d’hommes. Au nom de tous ceux qui sont morts Malédiction aujourd’hui Jusqu’à l’éternité À ceux qui ont détourné Leur gueule bouffie Du Volga !

Cette parole n’est pas Pour la panse remplie Ni pour le trône du Tsar ! Dans un tel cœur Les mots ne peuvent rien toucher. Les touchent Les lances des révolutions !

À vous Petits atomes D’une énorme armée, Avec la force de qui Avec la force Jetée dans les sous-sols, On fera sauter le monde Des milliardaires ! À vous ! À vous ! À vous ! Ces paroles-là !

Avec des chiffres kilométriques Faites le compte des bourgeois ! Le jour viendra De l’incendie universel Purifiant et fumant, Mettant sans dessus dessous Les palais des riches ! Soyez aussi, Soyez sans pitié, À cette heure Du châtiment !

 

 

 

 

 

 


_______

 

Texte établi par la Bibliothèque russe et slave ; déposé sur le site de la Bibliothèque le 23 mars 2013.

 

* * *

 

Les livres que donne la Bibliothèque sont libres de droits d'auteur. Ils peuvent être repris et réutilisés, à des fins personnelles et non commerciales, en conservant la mention de la « Bibliothèque russe et slave » comme origine.

 

Les textes ont été relus et corrigés avec la plus grande attention, en tenant compte de l’orthographe de l’époque. Il est toutefois possible que des erreurs ou coquilles nous aient échappé. N’hésitez pas à nous les signaler.