LA BIBLIOTHÈQUE RUSSE ET SLAVE

 LITTÉRATURE SERBE

 

 

Laza Lazarević

(Лаза К. Лазаревић)

1851 – 1891

 

 

 

 

LE PEUPLE T’EN RÉCOMPENSERA

(Све ће то народ позлатити)

 

 

 

1882

 

 

 

 

 


Traduction d’Ivan Koriak parue dans La Revue Slave, t. 2, n° 1, 1906.

 

 

 


Lazar Lazarévitch n’a pas produit des œuvres bien nombreuses. De son vivant le public n’a guère connu de lui qu’une demi-douzaine de nouvelles. En mourant il en laissa autant en manuscrits, et encore quelques-unes sont-elles inachevées. C’était un écrivain consciencieux qui aimait à soigner ses œuvres et à ramener sa phrase à la forme la plus concise et la plus simple.

Son procédé de styliste minutieux fait songer à Flaubert, auquel il ressemble, d’ailleurs, par son réalisme, encore cependant qu’il n’ait jamais subi son influence. La critique serbe le rapproche volontiers des grands écrivains russes, notamment de Dostoievsky de qui semblerait procéder sa tendance vers une psychologie un peu excessive, et aussi de Tourguéneff, dont la lecture n’a peut-être pas été étrangère à ce vif sentiment de la nature qui constitue, dans les œuvres du nouvelliste serbe, un trait caractéristique et un charme particulier.

Cependant la véritable origine de son réalisme littéraire semblerait tenir moins à ses maîtres en littérature qu’à l’influence qu’exerça sur lui l’étude approfondie des sciences naturelles — on sait que la seconde moitié du XIXe siècle vit le triomphe des sciences exactes — et sa profession de médecin qui le portait aux questions précises et définies.

Plus tard en effet, les obligations professionnelles le mirent en contact plus direct avec le peuple qu’il a pu alors étudier et connaître dans les manifestations de la vie les plus intimes.

Nature artistique par excellence, et toute serbe par ses inspirations nationales, Lazar Lazarévitch s’est ainsi tourné vers le peuple avec cet esprit slave analytique, épris de liberté, allégé souvent par un optimisme un peu démesuré, et qui s’est manifesté en tant de circonstances et même jusque dans la politique où les idées radicales et socialistes ont fait parfois si aisément la conquête des hommes d’État. C’est là le résultat du tassement moral qui se produit en Serbie depuis quelques années, travail déjà plus réfléchi et moins sujet à l’illusion que celui de la génération précédente emportée dans un élan national qui trouvait son aliment naturel dans une atmosphère où se sentait encore la poudre de l’affranchissement. La seconde génération a eu pour devoir de constituer la Serbie historique en un État moderne.

Du fait de leur passage à travers différentes universités européennes, l’entrain optimiste de ses devanciers a fait place à un criticisme plus sévère et à l’étude mieux définie de la vie nationale et de ses besoins.

Lazare Lazarévitch a poursuivi dans les lettres le but que ses camarades de l’époque de 1870 ont réalisé dans la vie politique et administrative du pays. Son action est courte (il est né en 1851 et mort en 1898) et brusquement interrompue, mais elle demeure toujours significative et accentuée.

Ivan Koriak.

 

 

 

 

 

 

Déjà la nuit tombait et le bateau n’arrivait toujours pas. Le monde qui avait attendu commença à se disperser. Le boulanger aux petits pains rassis et la femme du capitaine à figure fanée s’en allèrent. S’en allèrent aussi les deux clercs avec Marc, le menuisier, après s’être querellés avec le traiteur qui leur avait versé de la bière entamée déjà mercredi dernier. Les cochers détalèrent aussi en offrant de ramener les gens à huit sous par personne, mais le gros du public, pour se faire un « bon appétit » ou pour se « détendre les jambes », s’en alla à pied, en appuyant la canne sur l’épaule et le pouce de la main gauche à la poche du gilet. Même la femme du magasinier Mirko ne voulait pas prendre une voiture ; elle aussi se mit en route à pied avec sa petite compagnie, en tournant, à tout moment, le dos à ceux auxquels elle parlait ; elle ne faisait pas ça par manque de bienséance, mais simplement pour montrer son tépéluk[1] qui étincelait bravement comme si Zaïtchar[2] florissait et si le lait coulait à travers Kniagevatz[3].

Le soleil avait disparu dans la vaste plaine éloignée d’outre-Save et, au-dessus de la place où il s’était enfoncé, on voyait encore de longs rayons blanchâtres piqués dans le ciel comme si, du côté de l’ouest, quelqu’un avait montré un énorme poing aux doigts écartés et tournés en haut — juste comme ça se voit représenté par de bons et de mauvais peintres. La Save, qui était basse au point d’être guéable à presque tous les endroits, coulait nonchalamment en jetant de faibles reflets rougeâtres, images des nuages d’au-dessus.

Encore un peu, et le monde s’était dispersé complètement... À l’exception du service et des employés de la compagnie de la navigation, sur la rive ne se trouvaient plus que deux hommes — l’un, coiffé d’un fez et portant des tchakchiris[4], l’autre, en uniforme et avec des éperons. Le premier, c’était Blagoïé, le chaudronnier. — Toute la journée il se promenait impatiemment ; à tout moment, il demandait quelque chose à quelqu’un, se tournait toujours, comme si tout son corps lui démangeait et qu’il ne sût pas par où il devait commencer à se gratter ; il entrait dans le restaurant de la station et, comme s’il craignait de manquer son bateau, il ressortait en courant, ébahi, et fixait son regard au loin sur cette calme Save. Sa figure propre et bien rasée, légèrement sillonnée de rides semblables aux craquelures d’ambre jaune, sa moustache et ses favoris gris faisaient quelque peu contraste avec les petits yeux bleus et clairs qu’il portait vivement, et pourtant d’une manière assurée, d’un objet à l’autre. Son tchibouk[5], il le tenait constamment entre ses dents et rallumait sans cesse la pipe. À tout moment il demandait aux employés et au chef de la station : « Comment ça se fait il que le bateau n’arrive pas ? est-ce qu’il y a une dépêche ? l’eau est-elle si basse ? le bateau a-t-il à remorquer une lourde charge ? etc. » — À quoi les employés et le chef lui répondaient d’une manière brève et rude, avec la hauteur innée chez les sujets étrangers[6].

Le capitaine, du nom de Tanassié Ielitchitch, se tenait presque toute la journée debout à la même place, appuyé sur son épée. Son visage était tourné du côté d’où le bateau devait arriver, et ses yeux fatigués et inquiets erraient autour de cette place comme un moyeu trop creusé autour d’un essieu rongé. Sa figure n’avait pas cet air héroïque que l’on trouve parfois chez des lieutenants colonels en retraite ; pourtant il faisait penser à la lourde atmosphère qu’accompagne l’orage, qui fait voler les tuiles de dessus les maisons et les bonnets de dessus les têtes. Son épaisse moustache, coupée des deux côtés, le nez court mais un peu gros, les yeux ronds, de grandeur moyenne, de minces sourcils, le menton rond et rasé, et les joues propres, mais non pas maigres, d’un jaune gras, la bouche petite aux contours confiants, de grandes mains, l’uniforme négligé, la chemise blanche comme de la neige et l’épée comme du lait — tout cela trahissait un homme à la fois grand seigneur et paysan, un homme dont on est sûr qu’il saura arranger un quadrille et vider une huître, et que, toutefois, on ne serait pas étonné de voir tourner le dos à une dame, se moucher dans une serviette et, même, plonger sa fourchette dans des lokoumitchi[7].

Ainsi donc il se tenait debout, et le chaudronnier tournait toujours. Enfin, comme l’obscurité vint avant le bateau, et qu’on ne pouvait même plus distinguer le galon d’or autour de la casquette du chef de la station, maussades, ils rentrèrent dans le restaurant.

— Il ne vient pas, voilà tout ! — dit le chaudronnier rageusement, comme un homme auquel la carte ne va pas.

— En effet, il ne vient pas, dit aussi l’officier, mais tranquillement, comme un fonctionnaire périodique qui sait qu’au bout de cinq ans son avancement devra se faire.

— Pourquoi est-ce donc, mon Dieu ! — dit encore le chaudronnier. — Peut-être... mais oui... ici il n’y a même pas de Turcs... Et on ne peut probablement pas bombarder un bateau ?

Le capitaine se taisait.

— Et qui attendez-vous ? demanda encore Blagoïé.

— Ma femme.

— Et moi, j’attends mon fils. Il est blessé.

Il eut un frisson, se mit à vider sa pipe fraîchement bourrée, puis, la remplissant de nouveau et la rallumant, il continua par dessus le tuyau :

— Mais légèrement, tout à fait légèrement, a écrit son camarade Yolé[8]. Ici et là ! — D’une manière vague, il passa sa main d’abord sur l’épaule gauche, puis, tout le long de la jambe droite. Ça n’a fait que le frôler. On le renvoie de l’hôpital pour qu’il vienne reprendre ses forces à la maison ; après quoi, si Dieu veut, de nouveau !... Il faut bien... Il faut poursuivre le mécréant !.... Pourvu que Dieu nous aide !....

— Et que fait votre fils ? dit le capitaine, qui commençait à s’intéresser à l’histoire du chaudronnier.

— Mon fils ? Il est chaudronnier. Eh ! oui, si vous voyiez comme il travaille. Son bras, voyez-vous, est plus gros que ma jambe. À cause de ces temps nécessiteux j’ai vendu tout ce que j’avais ! — qu’en ai-je besoin ? — je n’ai gardé que les outils, nous aurons du pain à nous deux, et même si nous étions dix.

— Je sais, je sais, — dit le capitaine ; — mais qu’est-il dans l’armée ?

— Dans l’armée ? Il est fantassin. Oui, fantassin ! Je dis toujours : toi, mon garçon, tu devrais être un artilleur. Tu pourrais si bien faire changer de place à un canon. Puis, quand ça fait : Boum ! ça fait plaisir à entendre ! Mais, il veut être fantassin. Il dit : ça vaut quelque chose — si tu aimes mieux — à la portée du fusil, ou bien, à bras le corps ! Il est terrible à voir quand il est en colère. L’herbe ne pousse plus où il a frappé !

— Et où est-il blessé ?

— Ma foi, je ne sais pas. Je n’en sais rien. — C’est vrai que son camarade Yolé m’a écrit, mais j’ai oublié. Drôles de noms là-bas. Voici la lettre ! Dans deux batailles — dans deux....

De sa pelisse il tira une lettre très grasse et froissée, et la tendit au capitaine, qui la prit pour la lire auprès d’une bougie de l’auberge.

Ils entrèrent dans l’auberge aux longues tables crasseuses, aux murs enfumés et à la pendule tachetée par des mouches. À la porte qui donne sur la cour se trouve écrit ce souhait obligatoire : « Bonne année » etc, etc., et, au dessous « Ilia ! Sremtchevitch 14 gro de raki ». La lampe, suspendue au milieu du plafond, filtrait une faible lumière, jetant à peine ses rayons à travers le verre noirci. Au milieu de la salle se trouvait une chaise de bois au siège de paille avec un pied cassé, et étendue d’une manière pittoresque comme si elle voulait se faire photographier.

Le capitaine s’assit sur le long banc près de la fenêtre et se mit à lire la lettre très sale ; Blagoïé rangea d’abord la chaise en jurant : « Que fait cet épouvantail ici ? » après quoi il s’assit en face du capitaine, retroussa la manche de sa pelisse et, jetant un regard sur la table, il allait s’accouder, mais il recula vivement en y voyant une énorme tache grasse et rougeâtre.

— Eh ! mais, c’est trop fort, ça ! J’ai failli gâter mon coporan[9]. Écoute, garçon, viens ici, essuie cela !

De quelque part, d’un coin sombre, s’approche une sale créature.

— Dis donc ! pourquoi est-ce si gras, cela ? âne que tu es !

— Mais c’est une auberge, Gazda[10] Blagoïé, — dit la sale créature avec tant de suffisance que Blagoïé devint furieux.

— C’est juste ! Je vois bien que tu es un raisonneur, toi. Mais ce ne sont pas les pourceaux qui fréquentent les auberges, à ce que je crois !

Le lecteur aurait tort de penser que Blagoïé était un chicanier. Qu’à Dieu ne plaise ! À présent, il est dans un état fiévreux d’impatience et il cherche à se distraire. Il accepterait volontiers de se battre et même de se laisser battre, pourvu que le temps passe. Autrement, il n’est même pas un grand causeur, et à proprement parler ces attaques de ce soir, faites à quiconque vient à sa rencontre, n’étaient qu’un essai désespéré pour chasser l’ennui qui l’oppressait. C’est pourquoi il fit un nouvel assaut contre le capitaine.

— Avez vous vu cet homme à la jambe ?

— Quel homme à la jambe ?

— Mais celui sans la jambe.

— Qui ça, sans la jambe ?

— Mais cet homme à la béquille ?

— Qui donc à la béquille ?

— À la béquille ? mais celui à qui les docteurs ont coupé une jambe.

— Et pourquoi la lui ont-ils coupée ?

— Mais, on dit qu’il a failli mourir de la blessure reçue à Yavore, et alors on lui a coupé la jambe ; à présent il marche sans la jambe. Est ce que vous ne savez pas, cet homme à la jambe ?

— Non, je ne sais pas — dit le capitaine —, je ne l’ai pas vu.

— Et il mendie devant l’église !

— Hum !

— Ouf ! mon Dieu ! — Blagoïé tressaillit — Rien qu’un moignon ! Il vaudrait cent fois mieux pour lui qu’il soit mort ! Et lui rien — il vit ! Et il fume encore ! il dit que ça ne lui fait pas de mal du tout.

— Mais certainement.

— Seulement je n’aime pas qu’il mendie !

— Il faut bien qu’il mange.

— Je sais ! Mais puisque c’est à la guerre qu’il a perdu sa jambe, il faudrait qu’on la lui paye ! Qu’on lui dise gentiment : prends ceci, frère, et nous te remercions d’avoir versé ton sang pour nous, etc.. Il a, d’une façon, on le voit — comment le dirais-je ? — perdu une jambe, il marche en s’appuyant sur une béquille ! Maintenant il lui faut manger, boire ; il veut aussi fumer une pipe... c’est un homme...

Le capitaine se sentit appelé à expliquer l’état de l’invalide au chaudronnier Blagoïé.

— C’est bien, de sa part, de s’être laissé estropier pour sa patrie. Mais pour cela il ne peut pas demander qu’on le fasse conseiller d’État. Voyez-vous, celui qui a versé son sang pour sa patrie doit s’estimer heureux, parce qu’il a payé sa dette à sa mère, à sa patrie. Chacun doit tout à son pays, le pays ne doit rien à personne...

— Eh ! oui, moi aussi, je connais ces philosophies ! Je sais aussi, si tu veux : Tu es fait de poussière et tu rentreras sous la poussière[11]. Mais, mon frère, donne quelque chose à la bouche vivante ! Voyez-vous : c’est presque... comment dirais-je ? C’est affreux à voir ! Coupé jusque là, et cet homme veut du pain ! Et faut-il qu’il mendie à présent ? Il faut bien ! Il ne peut ni labourer ni bêcher. Et, il se peut bien que, parfois, il n’obtienne pas grand’chose en mendiant, non plus. Bré ![12] si j’étais puissant je sais ce que je ferais. J’irais d’une maison à l’autre. J’entre. Le gazda est assis et mange une pita[13] garnie de noix.

— « Ah ! voilà, tu manges de la pita, toi ?

— « Oui, j’en mange.

— « Et le sang coûte-t-il moins cher qu’une pita ? Où y en a-t-il pour cet homme à la jambe ?

— « Est-ce qu’il me regarde, lui ?

— « Ah ! il ne te regarde pas, n’est ce pas ? Faites venir les médecins ! un, deux, cinq, tant qu’il en faut ! Tenez, coupez ! Coupez-lui la jambe ici ! Non, non ; je ne demande pas s’il faut ou s’il ne faut pas ; coupez toujours ! C’est ça !

— « Et maintenant, tu verras comment est l’autre ! Ah ! mon fils ! »

Le capitaine vit qu’il n’y avait pas moyen de se maintenir avec Blagoïé dans de hautes régions. Il descendit plus bas :

— C’est bien ça. Mais ils auront aussi une pension convenable de la caisse d’État quand la guerre se terminera. N’ayez pas peur !

— C’est ce qu’il faut, monsieur. Pourvu que ce soit suffisant, pour qu’il ne se tienne pas, de nouveau, devant l’église, et qu’il ne mendie pas dans les foires. Si, pour l’amour de moi, par hasard, quelqu’un perdait seulement le petit doigt, est-ce que je !..... Et l’État donc ?.... Écoutez !... On entend siffler !

— Non, on n’entend pas, dit le capitaine.

— Mais si, voyons !

Blagoïé sort en courant. Un peu après il revient, la tête baissée.

— Sans doute que quelqu’un a rappelé les chiens. Et il y a aussi des voyous qui sifflent dans une clef. Dernièrement, lorsque Sréta a voulu partir pour Belgrade, ce pendard de Mitchine se cacha derrière un poteau et siffla dans une clef. Tout le monde bondit, le préfet bondit aussi. Et après il s’en retourna aussi. Ils jetaient des injures à l’adresse de celui qui a sifflé — le préfet injuriait, mais il ne savait pas qui c’était... Moi... Mais, vraiment, je ne sais pas pourquoi ce retard ? Est-ce jamais arrivé encore ? Eh ! garçon, viens ici ! La sale créature se montra de nouveau.

— Le bateau a-il jamais retardé autant ?

— Je ne sais, — dit la créature.

— Tu ne sais pas, drôle que tu es ? Que sais tu alors ? Qu’y a-t-il à boire ?

— Toutes sortes de choses, — dit la créature en souriant bêtement.

— Prenez-vous de l’eau-de-vie ? — demanda Blagoïé en se tournant vers le capitaine.

— Non.

— Moi, très rarement... Mais, que faire à présent ? Attendez donc !... Est-ce que ça siffle ?

Il se tut et prêta l’oreille.

— Non... Apporte de l’eau-de-vie ! Je ne peux pas fumer non plus. Mon cœur est déjà noirci par le tabac. Fi ! Mais c’est de l’eau chaude évaporée ! Fi ! fi !

Après avoir vidé le politch[14], ses yeux se ranimèrent, et tout son être eut un air calme et décidé.

— Voilà-t-il pas un bateau ! Soi-disant, il va plus vite que la voiture ! Mais, si l’on était sur n’importe quelle carne, où serait-on à cette heure ? Piha ! Qu’en dites vous, d’un bon cheval more ?

Tous les officiers de cavalerie aiment à parler des chevaux, fût-ce avec des religieuses. Les yeux de notre capitaine jetèrent des éclairs. Sa pensée était sans doute fixée sur un cheval arabe lorsqu’il dit :

— En huit heures.

— En huit ? par ma foi, dit Blagoïé dont la partialité du capitaine faisait le compte. — Et voyez l’heure à présent ! Si j’avais su seulement... Pourtant je n’aurais pas osé le mettre dans la voiture. C’est vrai que son camarade Yolé dit : Il est blessé légèrement, tout à fait légèrement ; mais vous savez, c’est une blessure tout de même ; autrement, je l’aurais mis dans une voiture ! Eh ! quelle jument mon patron avait !.... Toi, chauve-souris ! apporte encore de l’eau-de-vie.... Une jument comme un chevreuil ! Elle ne faisait que courber la tête comme ça.

Il s’étira le bras très fort, comme pour imiter un cheval au col recourbé.

— Mais n’as-tu donc pas de meilleure eau-de-vie ? Huppe que tu es, dis à Gazda David que c’est moi qui en demande, de « la bonne », dis, dis : pour Gazda Blagoïé... Elle courbe la tête comme ça ! Mais, il fallait des bras ! Ils manquaient se casser en tirant. Quand elle court, elle est toujours ainsi — il fourra la tête entre ses jambes — et moi, je tenais ! Enfin, lorsque rien n’y faisait, je tournais vers une meule de foin, ou une palissade, un mur, n’importe quoi. Rien sous les cieux elle ne voyait quand une fois elle avait pris le galop. Et moi, quand elle a cogné la tête contre la palissade, je pense : nous voilà à tous les diables, elle, et moi, et la voiture, et tout ! Et elle, rien. Après cela, elle va tranquillement comme une poule. Mais personne ne savait la conduire comme moi. Une fois, l’ouvrier Vidoc est allé chercher du cuivre rue de la Save, et elle fait comme ça — de nouveau, il fourra la tête entre ses jambes et tendit le menton comme s’il avait le mors aux dents — Vidoc lâcha les rênes et se coucha dans la voiture, et elle se met à courir par dessus la boue gelée, les fossés, elle court... Ça sonne ! N’est-ce pas, qu’il sonne ? Que je paie !

De nouveau, il sortit en courant, mais, à son retour, l’impatience avait disparu de son visage, et une hilarité stupide sortait de ses yeux, par lesquels, au dire de mes compatriotes, l’eau-de-vie commençait déjà à couler.

— Quel cheval que c’était, ou plutôt, quelle jument ! Une fois, le patron a mis une caisse dans la voiture — de cette grandeur — je ne sais pas ce qu’il voulait. Et elle : le mors sur le bout des dents, puis comme ça ! Et comme elle volait pour entrer dans la cour la voiture s’accroche, les roues de derrière restent devant la porte cochère, et le patron sous la porte, et la caisse tombée sur sa tête, les roues de devant près du noyer, la jument devant la maison, et nous autres nous avons failli mourir de... de... Mais pourquoi ont-ils enlevé les allumettes ?... Donnez m’en une !...

Le capitaine ne l’écoutait plus. Ses pensées allèrent loin, bien loin, dans la ville de Kniagevatz. Sa femme y était auprès de sa mère à attendre sa délivrance. Mais il y avait alors des Tcherkesses aussi ! De terribles idées passaient par la tête du capitaine. Toutes les barbaries commises par ces favoris de l’Europe se peignaient en vives couleurs dans sa pensée ; et le tout était dominé par une incertitude désespérante. Depuis qu’il est allé à la guerre, il n’a reçu que deux lettres de sa femme. Dans les deux elle lui écrivait qu’elle viendra aussitôt qu’elle sera relevée de couches, mais cinq semaines se sont écoulées depuis la dernière lettre, et les Turcs étaient déjà sur Tressibaba[15] et les Tcherkesses sont peut-être en train de démolir sa maison et d’incendier le lit sur lequel sa femme est couchée. Pourtant, il l’attendait. Il y a en nous une fibre, menteuse comme un hasard, qu’on appelle « pressentiment ». Quiconque joue à la loterie, à chaque tirage a le pressentiment de gagner, et, le tirage fini, l’on ne s’étonne jamais qu’on ait été trompé par ce pressentiment. Mais si, une seule fois, cette fortune aveugle tombe sur nous, nous assurons tout le monde que nous étions sûrs de gagner, parce qu’il nous a toujours semblé ainsi, et pas autrement. Aussi le capitaine Tanassié arrive-t-il pour la troisième fois de suite au bateau, en quittant son service et en obtenant à grand’peine le congé du commandant, car, il lui semblait toujours que le pressentiment ne le trompera pas aujourd’hui. Mais, cette fois-ci, il lui sembla que même le bateau n’arrivera plus. Il devint impatient, comme Blagoïé. Il tournait ses pensées comme sur un tamis, pour en faire sortir ce qui était si noir. Il va à Kniagevatz où il est né, il entre dans sa cour, s’assied sous le noyer planté à l’époque de sa naissance, lequel, maintenant, à sa périphérie, porte des branches sèches. Là, il a enterré son père et sa mère ; en face, il est devenu amoureux d’une jeune fille ; tout près de là, il a porté un citron au Koume[16] et l’a invité à ses fiançailles. Oh ! comme il chérissait tout cela : la vieille armoire en noyer, et les zarphes[17] pris à un pacha turc à l’époque de notre première insurrection, et, dans la cave, les pieds cassés d’un sopha derrière une cuve, et l’icone[18] de Saint Nicolas au nez courbé et aux narines tombantes ressemblant à deux escargots, et, dans la garde-robe, le fistan[19] dans lequel sa mère s’est mariée, et puis, et puis, et par-dessus tout, le gai et doux visage potelé de sa femme et le timide espoir qu’il deviendra père... et... non, ça ne se peut pas ! Même s’ils sont Turcs, il ne sont pas des bêtes féroces.

Il passa la main sur son front comme pour chasser ses pensées.

— Le patron aurait voulu, et Dieu sait comment, qu’elle pouline — continua Blagoïé, en regardant toujours la place à laquelle le capitaine était assis au commencement. — Parbleu ! car c’était un dragon et non pas un cheval ! Mais...

Le capitaine l’écoutait aussi tranquillement que le tic tac de la pendule. Ni l’un ni l’autre ne l’empêchaient de continuer ses réflexions.

De nouveau, il est à la vieille place ; de nouveau flambent les maisons ; et les rues sont jonchées de cadavres mutilés.

Vers minuit, il s’étendit sur le banc près de la fenêtre, après avoir jeté un regard sur la lampe, qui éclairait de plus en plus mal et sentait de plus en plus mauvais, et sur Blagoïé qui ronflait, la tête ployée entre les jambes et les bras tendus en avant comme s’il tenait les rênes.

C’est en vain que le capitaine s’efforçait de fermer les yeux — son sommeil était la proie des Tcherkesses. À la pointe du jour seulement, il s’assoupit, mais alors il entendit, dans la nuit inerte, le clapotement monotone des roues et les cris de ceux qui mesurent l’eau de dessus la proue, puis, le sifflet commença à éveiller le service endormi de la station. Le capitaine sauta à bas, son épée roula et tomba par terre en faisant un grand fracas. Blagoïé, aussi, se réveilla en sursaut.

— Mais non, mais non ! fit-il en faisant semblant de tirer les rênes à lui, et, il se rendormit.

Le capitaine sortit, en courant, dans la fraîche matinée. C’est à peine s’il respirait. Une peur indicible le dominait. En courant, il arrive au débarcadère, saisit le cable jeté du bateau qui arrivait, et se mit à le tirer à lui. Et juste au moment où il allait l’entortiller autour du cabestan, dans la foule il aperçut une femme qui soulevait jusqu’au-dessus de sa tête un enfant emmailloté. Le capitaine jeta la corde aux serviteurs, qui s’étonnaient en le regardant faire, chancela, et faillit tomber dans l’eau. Et lorsque, dans cette bagarre et cette bousculade, sa femme tomba sur sa poitrine et lui remit son fils, d’abord les larmes, puis les baisers commencèrent à tomber sur le poupon joufflu, qui ne se fâchait pas du tout contre son père qu’il n’avait pourtant jamais vu. Et la femme a pleuré — ça va sans dire ! Et une autre femme, un peu sur l’âge, qui se tenait derrière, a pleuré — bien entendu ! enfin le bébé se mit à hurler aussi.

D’un pas rapide ils traversèrent le pont et se mirent de côté, pour laisser le passage libre aux autres voyageurs qui se pressaient avec leurs bagages, parce qu’il n’y avait encore ni porteurs ni cochers de fiacre.

Le capitaine voulait demander à sa femme une foule de choses, mais il ne savait par où commencer. À la fin, sa langue se délia.

— Enfin, tu vis !

Il la saisit fortement par le bras comme voulant s’en assurer.

— Et ce petit ! Eh quoi ? soldat ! Et que n’ai-je pensé, moi ! Ô ! mon Dieu !

Avec sa manche il s’essuya le visage en tenant l’enfant ; il continua.

— Je le savais bien, j’étais sûr que tu viendrais. J’ai calculé ça comme sur un cheveu[20]. Et nâna[21] ?

Ce n’est qu’alors qu’il aperçut la vieille dame et il s’élança pour lui baiser la main.

— Dieu merci ! vous voilà tous vivants et bien portants, et tout va bien !

La vieille dame fondit en larmes :

— Nous sommes loin du bien, mon fils ! Nous sommes restés sans toit ni foyer.

Le capitaine sentit une main glacée lui serrer le cœur ; mais, cette main le lâcha aussi rapidement, car il venait de voir avancer sur le pont un homme vêtu en simple soldat, n’ayant plus de jambe droite ni de bras gauche.

— Silence ! dit le capitaine avec l’effroi sur le visage.

Vite, il remit l’enfant à sa femme et courut vers cet estropié. De la main il le soutint sous l’aisselle et l’aida à enjamber une poutre qui se trouvait sur son chemin.

— Soldat, n’es tu pas le fils de Gazda Blagoïé ?

— Oui, monsieur le capitaine, — dit le soldat en joignant la jambe à la béquille, et, de la main touchant son képi à la façon militaire. — Mais sa béquille le trahit, et, il s’accrocha à une dame qui portait un petit chien et un cabas et qui se mit à crier en faisant un saut de côté.

— Ton père est ici. Attends que je le lui dise !

Comme l’aube naissait à peine et que les voyageurs se trouvaient sur la rive, indécis, leur attention malgré eux fut attirée sur cette scène.

Le capitaine courut dans l’auberge éveiller Blagoïé. Les voyageurs se mirent sur deux rangs pour laisser passer l’invalide : un beau garçon, fort, au visage mâle et au triste sourire sur les lèvres. Il avait tout : et la force, et la santé, et la beauté ; et, pourtant, il n’avait rien. Il ressemblait à un vase de porcelaine précieux, mais brisé.

Il se mit à avancer lentement. Derrière lui marchaient la femme du capitaine avec sa mère et son enfant, puis les autres, tous silencieux et comme dans un convoi solennel.

À ce moment, Blagoïé, nu-tête, sortit en courant de l’auberge.

Le capitaine courut après lui et le saisit par le bras :

— Attends ! Il est grièvement blessé, très grièvement !

— Comment, grièvement ? Qui dit cela ?... Voici, voici la lettre... Son camarade Yolé...

Jetant de tous côtés le regard d’un homme hébété, en courant il dépassa l’invalide et s’arrêta au bout du public.

— Où est-il donc ?

— Papa ! — cria le soldat tendrement, se tournant sur une jambe, et s’appuyant sur la béquille. — Papa, me voici !

Blagoïé vire comme un éclair, s’arrête devant son fils. Il le regarde, regarde encore, puis tombe évanoui.

Personne ne songeait à poursuivre ses affaires. Tout le monde s’empressa autour de Blagoïé ! On l’aspergea avec de l’eau. La dame au petit chien et au cabas lui mit un flacon sous le nez. Il revint à lui, on le mit sur ses pieds. D’abord, il essuya l’eau qu’on avait versée sur lui, il embrassa son fils, mais violemment, comme s’il avait peur qu’il ne s’enfuit.

Il ne le lâcha pas de longtemps, et, lorsqu’il s’en détacha, il le regardait droit entre les yeux, n’osant pas baisser son regard sur la place où était la jambe autrefois.

— Dieu merci ! tu es vivant ! Tout s’arrangera encore ; ceci — de la main il tâta la béquille — ce sera doré par le peuple ! N’est-ce pas, mes frères ?

Tous accoururent en approuvant.

— Voici — dit le capitaine — moi, le premier, je donne... — il se mit à fouiller dans ses poches, mais, n’y trouvant que quelques sous — je donne ma montre et ma chaîne. Tiens !

— Merci, monsieur le capitaine, — dit le soldat en faisant le même salut au capitaine. — Tiens ceci, papa ! Je n’ai pas l’autre bras.

— Moi aussi, je te donne ma pipe en ambre jaune. Elle vaut deux ducats[22], dit Etienne le clerc.

— Merci, mes frères. Tiens ça, papa !

— Voici de quoi acheter du tabac ! dit Marinko le magasinier en lui tendant quelques ducats.

Le soldat, se tenant avec peine sur sa béquille, ôta sa casquette et la tendit au magasinier pour qu’il y mit l’argent.

— Merci, frère ! Tiens ceci, papa !

Blagoïé saisit la casquette des deux mains, y mit la montre, la pipe et les ducats.

On commença, chacun à son tour, à mettre dans la casquette. Parmi les voyageurs il y avait aussi de nos frères Russes. Avec leur, comme ils disent, « large nature », ils donnaient à qui mieux mieux.

Le soldat remerciait toujours avec des « merci, frères ! », « merci, frères » ! mais sa voix suffoquait de plus en plus. Ces deux mots commençaient à avoir le rythme décisif, celui des aveugles à la foire, et, pour la première fois, avec toute la force d’une conviction inébranlable, il sentit qu’il était estropié et mendiant. Enfin, il versa de chaudes larmes, des larmes douces comme la pluie de mai.

— Ne voilà-t-il pas qu’il pleure pour une bagatelle ; — dit Blagoïé. Mais qu’est-ce donc, une jambe ? Hé ! Hé ! Tout cela... il allait dire « repoussera », mais il s’arrêta : — Tout cela... Mais ne te dis-je pas que tout cela sera doré par le peuple ?

Et il éclata en sanglots, lui aussi.

— Mais, qu’ai-je besoin de tout cela ?

Devant lui il jeta par terre la casquette avec les dons et, fou, il regarda le ciel comme si, d’en haut, il attendait une réponse.

— Allons-nous en ! dit la femme du capitaine. — Ici, il y a un malheur, et nous... — elle regarda les deux jambes de son mari et le minois potelé de son enfant... — grâce à Dieu nous sommes heureux, trop heureux.

Alors, en voiture, on a conduit à la ville Blagoïé et son fils avec ses cadeaux. Des gens au cœur bon leur ont fait des dons encore, mais à tout on s’habitue en ce monde. Tout pâlit, et l’enthousiasme et l’amour, et le devoir, et la piété, et tu ne le reconnaîtrais pas plus que tu ne reconnaîtrais le cheval more, qui, autrefois, gagnait le prix à toutes les courses, et qui, aujourd’hui, tourne la roue d’un moulin à foulon.

 

* * *

 

Le capitaine a rebâti sa maison sur la même place à Kniagevatz. À parler franc, il l’a, comme on dit, couverte de papiers[23], mais sa femme est gaie et son fils, bien portant, le tiraille déjà par la moustache.

Blagoïé a encore continué à dire : « Tout cela sera doré par le peuple ! » Puis, il a changé en : « Dieu te payera tout cela ! » À la fin, il s’est adonné à la boisson, et, dernièrement, il est mort. Son fils reçoit la pension du Fonds des Invalides — et mendie.

Vous pouvez lui donner quelque chose, si vous voulez.

Ceci est mon obole.

 

 

 

 

 

 

 


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Texte établi par la Bibliothèque russe et slave ; déposé sur le site de la Bibliothèque le 20 mai 2012.

 

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Les textes ont été relus et corrigés avec la plus grande attention, en tenant compte de l’orthographe de l’époque. Il est toutefois possible que des erreurs ou coquilles nous aient échappé. N’hésitez pas à nous les signaler.



[1] Tépéluk, sorte de fez en perles fines, très coûteux, que les femmes serbes portent au sommet de la tête en nouant les cheveux autour.

[2] Ville en Serbie.

[3] Ville en Serbie.

[4] Tchakchiri, sorte de culotte en drap noir, très large par en haut et serrée au dessous du genou, portée généralement par des artisans aisés.

[5] Tchibouk, pipe à long tuyau.

[6] À cette époque-là, la navigation était exclusivement aux mains des Autrichiens, le long de la frontière.

[7] Lokoumitchi, sorte de pâtisserie.

[8] Yolé, diminutif de Yovan, Jean.

[9] Coporan, sorte de paletot à larges manches, généralement doublé de fourrure.

[10] Gazda, signifiant : propriétaire, homme riche, s’emploie comme titre à la place de « monsieur ». De ce dernier mot l’on se sert en s’adressant au clergé, aux officiers, aux fonctionnaires, tandis que les commerçants, les artisans, les propriétaires, rentrent tous dans la catégorie de « gazda ».

[11] Ici il y a un jeu de mots : le mot serbe zemlia signifiant pays et terre sert aussi à construire cette phrase biblique : tu es fait de Zemlia (terre) et sous la terre tu rentreras.

[12] Bré, interjection qui exprime la colère, la méfiance.

[13] Pita, sorte de pâtisserie.

[14] Politch, flacon contenant le 1/8 d’un litre.

[15] Tressibaba, montagne près de Kniagevatz.

[16] Koume, parrain, et premier témoin à la cérémonie du mariage, en grande vénération chez les Serbes et considéré comme le plus proche parent. — On se croit obligé de se rendre à l’invitation accompagnée d’un citron ou d’une pomme.

[17] Zarphe, sorte de coquetier en métal ouvragé dans lequel on met les tasses à café noir, et ayant la forme de la moitié d’un œuf.

[18] Icone, image d’un Saint.

[19] Fistan, sorte de jaquette brodée d’or.

[20] Locution courante qui veut dire qu’il n’y aura pas de différence même de la largeur d’un cheveu.

[21] Nâna, nom de caresse qui l’on donne aux belles-mères.

[22] Un ducat, en Serbie, vaut douze francs.

[23] On dit qu’une maison est couverte de papiers, lorsqu’on a emprunté de l’argent pour la bâtir ou l’acheter, c’est-à-dire, qu’elle est criblée de dettes.