LA BIBLIOTHÈQUE RUSSE ET SLAVE

 LITTÉRATURE RUSSE

 

 

Vladimir Korolenko

(Короленко Владимир Галактионович)

1853 — 1921

 

 

 

 

LE RÊVE DE MAKAR

(Сон Макара)

 

 

 

1885

 

 

 

 

 

 

Traduction de L. Golschmann, Paris, Ollendorff, 1894.

 

 

 

 

 

 

 

 


TABLE

 

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

 

 

 

I

Ce rêve a été fait par le pauvre Makar, par ce même Makar qui a dû aller là-bas, au diable vauvert, dans les contrées mornes et lointaines, pour y faire paître les bestiaux, — par Makar, le malchanceux, qui, au dire du proverbe, « reçoit toutes les pommes de pin sur sa tête[1]. »

Le pays où il est né se nomme Tchalgane. C’est un petit village perdu et entièrement caché dans la taïga, dans ces forêts vierges et hyperboréennes du gouvernement de Iakoutsk. Les aïeux de Makar ont soutenu une guerre longue et sans repos contre la taïga, avant de réussir enfin à lui arracher un morceau de sa terre gelée, maigre conquête que le triste hallier continuait d’envelopper comme d’un mur impénétrable et ennemi. Mais ils ne perdirent pas courage. Des haies, des meules de foin et de blé s’élevèrent dans l’étroite clairière ; de basses yourtas[2], tout enfumées parurent, espacées les unes des autres ; enfin, tel un drapeau se développe et annonce la victoire, un clocher se dressa au sommet de la petite colline, au milieu du village : Tchalgane devint une grande sloboda[3].

Mais en même temps que les aïeux de Makar faisaient la guerre à la taïga, qu’ils l’entamaient par le feu et à coups de hache, ils devenaient eux-mêmes insensiblement plus sauvages. Mariés aux femmes iakoutes, ils s’assimilèrent la langue et les mœurs de leurs parentés nouvelles. Les traits caractéristiques de la grande race russe s’effaçaient, disparaissaient.

Quoi qu’il en soit, Makar n’oubliait ni son origine, ni qu’il était fils de cette terre. C’est à Tchalgane qu’il était né, là qu’il vivait, là qu’il espérait mourir. Il était très fier de sa nationalité et traitait parfois les indigènes de « sales iakoutes », bien qu’à la vérité il ne se distinguât en rien, ni par les mœurs, ni par le genre de vie, de ces mêmes iakoutes. Il parlait peu le russe, et assez mal ; il s’habillait de peaux de bêtes, il se chaussait de torbass ; son menu de tous les jours était composé d’une galette, arrosée d’une infusion de thé « en briques » ; les jours de fêtes, ou dans les occasions extraordinaires, il se régalait de beurre fondu, dont il avalait la quantité juste égale à celle qui se trouvait sur la table... Il était très habile à monter les taureaux. En cas de maladie, il s’adressait au chamane[4], lequel, en guise de traitement, se précipitait sur lui avec des grincements de dents, des gesticulations de possédé ; et cela, dans le but d’enrayer l’élément morbide installé dans le corps, et de le forcer à s’enfuir.

Makar travaillait comme un forçat, vivait misérablement, souffrant de la faim et du froid. En dehors du souci de sa galette grossière et de son thé, avait-il d’autres pensées ? Oui, il en avait.

Quand il était ivre, il pleurait. « Quelle chienne de vie nous menons, Dieu de Dieu ! » s’écriait-il. Parfois encore il manifestait sa volonté de tout quitter et de s’en aller « dans la montagne ». Il resterait là sans labourer, sans semer, sans abattre des arbres, sans traîner des bois, il n’irait même pas moudre du grain à la meule à bras. Il s’occuperait seulement de sauver son âme. Quelle était cette montagne ? Où se trouvait-elle ? Il ne le savait pas précisément. Il savait seulement, d’abord que cette montagne existait en réalité, puis qu’elle se trouvait quelque part, très loin, si loin que le toyone-ispravnik[5] lui-même ne saurait l’y dénicher... Quant à payer les impôts, il était bien entendu également que là, il ne pouvait plus en être question.

Lorsqu’il n’était pas ivre, ces idées l’abandonnaient. Peut-être alors reconnaissait-il combien il avait peu de chance de découvrir une montagne aussi admirable. L’ivresse le rendait plus aventureux. Il admettait qu’il risquait de ne pas tomber sur la vraie montagne, mais sur une autre. « En ce cas, disait-il, je serais un homme perdu. » Cela ne l’empêchait pourtant pas de caresser ce rêve, et s’il s’en tenait là, s’il ne le réalisait pas, s’il ne se mettait pas en quête de la fameuse montagne, c’est probablement pour cette unique raison qu’il ne le pouvait physiquement pas ; les colons tartares lui vendaient en effet une eau-de-vie de mauvaise qualité, infusée de feuilles de tabac, afin d’en relever le goût et augmenter l’intensité, mais qui le faisait vite rouler à terre, malade et sans forces.

 

II

C’était la veille de Noël, et Makar savait que le lendemain était le jour d’une grande fête. Cette circonstance éveillait en lui un désir, celui de boire un bon coup. Cependant il était triste, abattu ; il n’avait pas le sou, sa provision de blé touchait à sa fin. Makar devait déjà beaucoup aux Tartares et aux marchands de la localité. Et pourtant c’était grande fête demain ! il ne serait pas possible de travailler ! Que deviendra-t-il donc s’il ne trouve pas le moyen de se griser ? Cette pensée le rendait malheureux. Mon Dieu, quelle vie que la sienne ! Quoi ! même en ce jour, à la grande fête d’hiver, il lui sera refusé de boire une seule bouteille de vodka[6] !

Il eut une idée lumineuse. Il se leva et endossa sa sona (pelisse) déchirée. Sa femme, personne vigoureuse et musculeuse, aussi remarquablement forte qu’elle était remarquablement laide, et qui savait par cœur toutes les pensées rudimentaires de son époux, devina son intention cette fois encore.

— Où vas-tu, espèce de diable ? Tu veux encore siffler de la vodka tout seul ?

— Tais-toi. Je n’achèterai qu’une bouteille et demain nous la boirons ensemble.

Il lui envoya sur l’épaule une tape si solide que la vieille chancela. Elle cligna malicieusement de l’œil. Ah ! le cœur féminin ! Elle savait bien que Makar la trompait, elle n’avait aucun doute à cet égard, mais elle ne put résister au charme de la caresse conjugale.

Une fois dans la cour, Makar saisit son vieux Lyssanka[7], le conduisit par la crinière au traîneau et se mit en mesure de l’atteler. Au bout de quelques instants, la bête et son maître furent hors de la cour. Là, Lyssanka s’arrêta et, tournant la tête en arrière, jeta un regard interrogateur sur Makar qu’absorbait une profonde rêverie. Makar, tirant alors la rêne gauche, lança le cheval vers l’extrémité de la sloboda.

En cet endroit, se dressait une petite yourta. De son toit, ainsi que des autres yourtas, s’élevait toute droite vers le ciel, une fumée de cheminée, blanche, floconneuse, qui cachait les froides étoiles et l’éclat étincelant de la lune. Les flammes à travers les glaçons mats prenaient mille formes joyeuses et fantastiques. Un silence profond régnait.

Les habitants de cette yourta étaient des « étrangers.» Ils venaient de très loin. Quel vent les avait amenés là ? Quel mauvais sort les avait jetés dans ce trou perdu ? Makar l’ignorait et ne s’en souciait pas. Mais il aimait à fréquenter ces hommes qui ne l’exploitaient pas, et qui n’avaient pas l’habitude de marchander beaucoup.

Il entra dans la yourta, et tout de suite se dirigea vers la cheminée. Il tendit ses mains gelées vers le feu.

— Tcha ! fit-il pour exprimer combien il avait froid.

Les « étrangers » étaient dans la yourta. Une bougie brûlait sur la table, mais ne servait à éclairer aucun travail. L’un des hommes, couché sur le lit, fumait. Des anneaux de fumée s’échappaient de sa bouche, et il suivait rêveusement les spirales où s’enroulaient sans nul doute, et étroitement liées, les longues suites de ses propres pensées. Un autre, assis devant la cheminée, contemplait d’un air également méditatif les mille lignes incandescentes qui sillonnaient le bois à demi consumé.

— Bonjour ! dit en forme de salut Makar, que le silence commençait à gêner.

Il ignorait, bien entendu, quels chagrins pesaient sur le cœur de ces étrangers, quels souvenirs se réveillaient ce soir sous leurs crânes, quelles images leur apparaissaient à travers la fumée du tabac ou dans les étincellements capricieux et changeants du feu. D’ailleurs, n’avait-il pas ses soucis à lui ?

Le jeune homme assis à la cheminée leva la tête, il dirigea sur Makar des yeux ternes qui semblaient ne pas le reconnaître, puis il secoua sa tête, comme pour en chasser les pensées qui l’obsédaient, et quittant sa chaise, se mit vivement debout.

— Ah ! bonjour, bonjour, Makar ! Tu arrives à propos. Veux-tu prendre le thé avec nous ?

Cette proposition plut à Makar.

— Du thé ? fit-il. Bien, très bien, ami, parfait ! Lestement, il enleva sa pelisse, retira son bonnet fourré, se sentant plus à l’aise ainsi dévêtu, et lorsqu’il vit monter dans le samovar la flamme des charbons ardents qu’on y avait jetés, il se tourna avec expansion vers le jeune homme.

— Je vous aime ! je vous l’assure... je vous aime, ah ! je vous aime tant que je n’en dors pas la nuit...

L’étranger le regarda ; un sourire amer passa sur ses lèvres.

— Ah ! tu nous aimes ! fit-il... De quoi as tu donc besoin ?

Makar, confondu, répondit :

— Oui, j’aurai une affaire à te proposer... Mais comment as-tu deviné... Mais pas encore, je prendrai le thé pour commencer, puis je parlerai.

Comme c’étaient les hôtes[8] eux-mêmes qui avaient offert le thé, et qu’ils s’en tenaient là, Makar crut convenable d’allonger le menu.

— Vous n’auriez pas un morceau de rôti ? demanda-t-il. J’aime bien...

— Nous n’avons rien.

— Eh bien ! dit Makar sur un ton conciliant, cela ne fait rien, ce sera pour une autre fois... N’est-ce pas, répéta-t-il, ce sera pour une autre fois ?

— Entendu.

Makar estimait que « les étrangers » lui devaient à présent un morceau de rôti. Les dettes de cette nature, Makar n’oubliait jamais de les réclamer.

Une heure après, Makar était de nouveau assis dans son traîneau rustique. Il se trouvait possesseur d’un rouble entier. Il s’était engagé à fournir cinq chariots de bois à des conditions relativement avantageuses. Il est vrai qu’il avait juré par tous les dieux de ne pas dépenser cet argent, ce jour-là du moins, en eau-de-vie. Sa ferme et unique intention était pourtant de l’employer à cet usage, immédiatement. Mais que lui importait ? L’appétit du plaisir étouffait les scrupules de sa conscience. Il oubliait même qu’une fois soûl, sa fidèle épouse trompée le rosserait impitoyablement.

— Où vas-tu donc, Makar ? cria l’étranger en riant, tandis que le cheval de Makar, au lieu de prendre tout droit devant lui, tournait à gauche, se dirigeant du côté des Tartares.

— Tprou... ou !... Tprrou... ou ! halte ! Ah ! le damné cheval !... voyez comme il tourne !... s’écriait Makar sur un ton qui disait qu’il n’y avait pas de sa faute, à lui.

Mais il tirait fortement sur la rêne gauche et sournoisement il excitait Lyssanka de la droite, à petits coups imperceptibles.

L’intelligente bête, secouant la queue en manière de reproche, s’élança cahin-caha dans la direction qu’on lui imposait. Bientôt le traîneau, cessant de grincer sur la neige, s’arrêtait devant la porte cochère de la cour des Tartares.

 

III

Plusieurs chevaux étaient attachés près de la porte cochère. Ils portaient les hautes selles iakoutes.

L’izba était étroite. On y étouffait dans l’âcre odeur d’un tabac de qualité inférieure. Un nuage épais de fumée planait, lentement aspiré par le tirage de la cheminée. Devant les tables et sur les bancs, des Iakoutes en visite étaient assis. Sur les tables, des tasses remplies d’eau-de-vie. Quelques groupes jouaient aux cartes. Tous les visages étaient rouges, couverts de sueur. Les joueurs fixaient des regards sauvages sur leurs cartes. Ils ne les quittaient pas des yeux d’ailleurs. Si quelqu’un sortait de l’argent, il le rempochait aussitôt, sans attendre, par mesure de prudence. Dans un coin, accroupi sur une botte de paille, un iakoute ivre se balançait. Il chantait une interminable mélopée. Des sons rauques et criards sortaient de son gosier : il répétait sous mille formes différentes que demain était une grande fête, et que, ce soir, il était soûl.[9]

Makar tendit son argent. En échange, on lui donna une bouteille entière. Il la serra sur sa poitrine et se retira prestement dans un coin à l’écart. Là, il se versa tasse sur tasse et se mit à les avaler coup sur coup. La vodka était amère. À l’occasion de la fête, on l’avait coupée d’au moins trois quarts d’eau, mais en revanche on n’avait certes pas épargné le tabac. À chaque lampée, Makar demeurait un instant hors d’haleine et voyait rouge.

Il fut bientôt tout à fait gris. Lui aussi, il se laissa tomber sur la paille, les bras passés autour de ses genoux sur lesquels il déposa sa tête alourdie. Des sons aigus et stupides, semblables à ceux de son voisin, s’échappèrent de sa gorge. Il chantait que demain était grande fête et qu’il avait dépensé à boire cinq chariots de bois.

Cependant l’affluence du monde augmentait dans l’izba. De nouveaux visiteurs entraient, venus à la sloboda pour prier, et en même temps pour boire la vodka des Tartares. Le patron constata qu’il n’allait plus avoir assez de place pour tous ses clients. Il se leva et, par-dessus sa table, promena son regard sur l’assemblée. Ses yeux rencontrèrent Makar et le Iakoute, blottis dans leur coin.

Il s’approcha du Iakoute, l’empoigna par le collet et le jeta dehors. Puis il revint vers Makar. Respectant en ce dernier la qualité d’habitant de la localité, le Tartare lui témoigna plus de déférence. Il ouvrit la porte toute grande, et d’un vigoureux coup de pied quelque part il le projeta avec une telle puissance que le pauvre diable alla tomber dehors, le nez dans un tas de neige.

Je ne saurais dire s’il s’offensa de ce traitement cavalier. La neige lui glaçait la face et entrait dans ses manches. Après s’être dépêtré à grand’peine, il retourna tant bien que mal vers son Lyssanka.

La lune était déjà très haute dans le ciel. La queue de la Grande Ourse commençait à s’incliner. La gelée augmentait. De temps en temps, du côté du Nord, et jaillissant derrière le demi-cercle d’un nuage sombre, se dressaient en lueurs d’intensité changeante, les colonnes de feu d’une aurore boréale naissante.

Lyssanka se rendit certainement compte de l’état où était son maître ; il se dirigea sagement et avec précaution vers sa demeure. Makar, assis dans son traîneau, continuait à se balancer et à chanter sa mélopée. Il répétait qu’il avait bu cinq charretées de bois et que sa vieille allait le battre. Les sons sortaient de sa gorge en cris et gémissements ; ils montaient dans la nuit d’une façon si triste, si plaintive, que « l’étranger » qui, en ce moment, était monté sur le toit de sa yourta pour fermer le tuyau de la cheminée[10], sentit soudain son cœur devenir plus gros, plus douloureux. Cependant Lyssanka avait conduit le traîneau sur la colline d’où l’on découvrait les environs. La neige étincelait sous la vive clarté de la lune qui l’inondait. Par moments, cette lumière semblait s’éteindre, la neige devenait sombre, mais aussitôt après, on voyait courir de nouveau sur elle le chatoiement de l’auréole boréale. Ces reflets changeants produisaient un effet singulier. Les autres collines de neige de la forêt paraissaient se mouvoir : tantôt elles se rapprochaient, tantôt elles s’éloignaient. Au milieu de la taïga, Makar distingua nettement la calvitie blanche de la colline de Iamalakh, derrière laquelle il avait tendu des pièges cachés dans les fourrés, et destinés à prendre toutes sortes de fauves et d’oiseaux.

Cette circonstance fit dériver le cours de ses idées. Il se mit à chanter qu’un renard était pris dans son piège, qu’il en vendrait la peau le lendemain, et que sa vieille ne le battrait pas.

À l’instant où Makar entrait dans son izba, le premier coup de cloche retentissait et traversait la froide nuit d’hiver. Makar débuta par annoncer à sa vieille qu’il y avait un renard dans son piège. Comme il avait complètement oublié que sa femme n’avait pas bu une seule goutte de vodka avec lui, il fut très étonné de recevoir, malgré l’heureuse nouvelle qu’il apportait, un formidable coup de pied. Il se hâta de se mettre au lit, mais il n’y fut pas assez tôt pour que son épouse ne trouvât le temps de lui appliquer un coup de poing dans le dos.

Durant ces ébats, au dessus de Tchalgane en fête, résonnait et planait le carillon solennel des cloches, qui étendait sa caresse au loin, à l’infini, à travers les couches opiacées de la nuit.

 

IV

Makar était étendu dans son lit. Sa tête brûlait, ses entrailles étaient en feu. Le mélange de vodka et d’infusion de tabac circulait avec violence dans ses veines. De la neige fondue coulait en filets glacés sur ses joues. De semblables petits ruisseaux descendaient dans son dos.

La vieille le croyait endormi. Il ne dormait pas cependant. Le spectre du renard hantait sa pauvre cervelle. Il était absolument convaincu à présent que l’animal était pris, il pouvait même désigner dans quel piège précisément. Il voyait le renard, — il le voyait écrasé sous le lourd madrier, creusant la neige avec ses griffes, afin de se délivrer. Les rayons de la lune, filtrant à travers les halliers épais, venaient se jouer dans son poil doré. Ses yeux étincelaient, cherchaient ceux de Makar.

Makar n’y tint plus. Il sauta en bas de son lit. Il courait vers son fidèle Lyssanka. Il se rendait dans la taïga.

Mais qu’y a-t-il ? Seraient-ce par hasard les bras puissants de sa vieille qui le saisissent par le collet de sa sona, et qui le rejettent dans le lit !

Cependant, non. Il est déjà en dehors de la sloboda. Les patins de son traîneau glissent en cadence et grincent sur la neige durcie. Tchalgane est derrière lui, loin déjà. Le clocher de l’église sonne son carillon majestueux et, au-dessus de la ligne noire de l’horizon, se détachant sur le fond clair du ciel, voici, comme un vol d’oiseaux nombreux, les silhouettes sombres des cavaliers iakoutes, coiffés de leurs hauts chapeaux pointus. Ils se rendent à l’église, ils se dépêchent.

Déjà la lune descendait. En haut, au zénith même, un petit nuage blanchâtre apparut. Il brillait d’une lueur phosphorescente et changeante. Tout d’un coup, il parut se déchirer, s’élargir, éclater. Des rais de feux multicolores en jaillirent dans toutes les directions, tandis que, vers le Nord, le nuage opaque, demi-circulaire, s’obscurcissait, plus noir à chaque seconde, plus noir que la taïga où Makar allait pénétrer.

La route serpentait d’abord à travers un bois jeune et touffu. À droite et à gauche, des collines s’élevaient. Mais à mesure que Makar avançait, les arbres grandissaient, la taïga devenait plus compacte, plus sauvage, dans toute son étrange beauté faite de caresse et de silence. Les branches dénudées étaient enveloppées de frimas argentés, ainsi que de fourrures. La lueur douce de l’aurore parvenait parfois à traverser de ses bouffées lumineuses l’épaisseur des cimes ; elle éclairait alors et par intermittence, tantôt une clairière toute blanche, tantôt le squelette mutilé de quelque arbre, géant forestier, gisant à terre comme un cadavre, dans son linceul de neige... Cela durait un instant, et la forêt retombait de nouveau dans son obscurité muette, mystérieuse.

Makar s’arrêta. À cette place, presque sur le bord de la route, tout un système de trappes était disposé. La lueur phosphorescente éclairait distinctement le petit enclos de bois-chablis qui les entourait. Makar aperçut même la première trappe : trois poutres longues et lourdes, appuyées contre un pieu vertical, et soutenues par un agencement assez compliqué de petits leviers reliés entre eux par des ficelles de crin.

Il est vrai que ces trappes ne lui appartenaient pas, mais cela ne les empêchait pas de prendre un renard. Makar descendit vivement de son traîneau, et, laissant l’intelligent Lyssanka au milieu de la route, il tendit l’oreille.

Aucun bruit dans la taïga. Seule, venant de la sloboda, lointaine à présent et hors de la vue, la sonnerie de Noël continuait à retentir dans la nuit calme.

Makar n’avait rien à craindre. Le propriétaire de ces trappes est Alochka Tchalganoff, son voisin et son ennemi juré. Mais en ce moment, bien sûr, il est à l’église. La surface unie de la neige fraîchement tombée ne portait aucune trace.

Makar s’enfonça dans le hallier touffu. Rien. La neige craque sous ses pas. Les madriers sont rangés en file, ils ressemblent à des canons qui, la gueule béante et silencieux, attendent.

Il continua sa promenade de long en large. Toujours rien. Il reprit alors la direction de la route.

Mais chut !... Un frôlement léger... Un poil roussâtre passa, rapide comme un éclair, dans la taïga, dans un endroit bien éclairé, et si près... Makar distingua nettement les oreilles pointues du renard dont la queue touffue battait de droite et de gauche, comme pour l’inviter à une poursuite dans la profondeur du hallier. L’animal disparut entre les troncs d’arbres, courant du côté des pièges de Makar, et au bout de quelques instants, un coup sourd, net, retentit dans la forêt. Le bruit d’abord sec, étouffé, se répercuta ensuite sous les voûtes des grands arbres et alla se perdre doucement dans une ravine lointaine.

Le cœur de Makar se mit à battre violemment, c’était un piège qui venait de tomber. Il s’élança à travers les fourrés. Les branches fouettaient ses yeux, secouaient leurs neiges glacées sur son visage. Il trébuchait, perdait haleine.

Déjà, il est dans la percée que jadis il a dessinée lui-même. À droite et à gauche, se dressent des arbres blancs de givre ; en face de lui, serpente et se rétrécit le petit chemin au bout duquel se tient comme aux aguets la gueule d’un grand piège... Encore quelques pas...

Mais voilà que dans ce même sentier, près de la trappe, surgit une figure humaine qui disparaît aussitôt. À peine les yeux ont-ils eu le temps d’en saisir les détails et la physionomie. Cependant Makar a reconnu Alochka Tchalganotf. Il a nettement distingué son petit corps trapu, penché en avant, sa démarche d’ours. La sombre figure d’Alochka lui a même paru plus sombre que d’habitude, les lèvres encore plus relevées sur ses grandes dents.

L’indignation de Makar fut grande et sincère. « En voilà un misérable ! Se promener au milieu de mes trappes ! » Il est vrai que Makar venait d’inspecter, quelques instants auparavant, des pièges qui n’étaient pas sa propriété, mais ce n’était pas la même chose, il y avait une différence... Cette différence consistait en ceci : lorsqu’il se promenait au milieu des pièges d’Alochka, il avait peur d’être surpris, tandis qu’à présent, apercevant un étranger dans ses propres trappes, il ressentait l’outrage en même temps que l’envie de punir celui qui le lésait dans ses droits.

Il courut par le plus court chemin, à travers le hallier, vers le piége tombé. Un renard y était pris. Mais lui aussi, Alochka, dirigeait vers ce point son dandinement d’ours. Il s’agissait d’arriver avant lui.

Il atteint enfin le madrier couché à terre. Par dessous, on aperçoit le poil roux de la bête. Tel Makar l’avait vu tout à l’heure, de son lit. Le renard creusait la neige avec ses griffes, fixait sur lui des yeux lumineux et ardents.

— Tytima ! (ne touche pas)... c’est à moi ! cria Makar à Alochka.

— Tytima ! répondit comme un écho la voix d’Alochka, c’est à moi.

Tous deux, en même temps, avec une hâte fiévreuse, et cherchant à se devancer l’un l’autre, ils se mirent à soulever la poutre afin de délivrer et de prendre le fauve. La poutre redressée, le renard se remit sur ses pattes. Il fit un bond et s’arrêta, regardant d’un air moqueur les deux ennemis de Tchalgane, puis, tournant le cou, il se lécha à l’endroit qu’avait blessé la chute de la trappe. Cela fait, il s’enfuit gaiement, avec un frétillement affable de la queue.

Alochka s’élançait à sa poursuite, mais Makar le saisit par derrière, par le pan de sa sona.

— Tytima ! cria-t-il. C’est à moi.

Lui-même se jeta sur les traces du renard.

— Tytima ! répéta comme un nouvel écho la voix d’ Alochka.

Et Makar se sentit saisi à son tour par la sona, tandis qu’Alochka se retrouvait soudain devant lui.

Makar se fâcha. Il oublia le renard et se rua à la suite d’Alochka qui fuyait.

Plus ils couraient, plus ils couraient vite. La branche d’un mélèze décoiffa Alochka et jeta son bonnet à terre. Alochka n’avait guère le temps de le ramasser. Makar, à ses trousses, poussant des cris furieux, était déjà sur le point de l’atteindre. Mais toujours Alochka avait été plus malin que Makar. Il s’arrêta brusquement, se retourna, la tête penchée en avant. Makar donna du ventre contre l’obstacle et culbuta dans la neige. Le damné Alochka se penchant vers Makar qui roulait encore, lui prit son bonnet, et disparut dans la taïga.

 

V

Makar se releva lentement, les membres brisés, profondément malheureux, dans un état moral détestable. Pensez-donc, avoir eu le renard presque dans les mains, et à présent... Il crut voir dans le hallier assombri la queue du fauve frétiller encore, puis disparaître définitivement après cette dernière ironie.

L’obscurité devint plus grande. Le petit nuage blanchâtre du zénith se dissolvait lentement, il était à peine visible. Les rayons qui s’en échappaient encore se mouraient, fatigués, langoureux, sans clarté.

La course avait échauffé le corps de Makar. La neige fondait sur lui en ruisselets glacés qui s’introduisaient dans les manches, se glissaient dans le collet de la sona, coulaient le long du dos, emplissaient les torbass (chaussures des Iakoutes). Il n’avait plus son bonnet que le damné Alochka avait emporté. Quant à ses mitaines, il les avait perdues dans sa course. Il ne savait où les retrouver. Cela se gâtait. Makar n’ignorait pas que le froid implacable ne plaisante pas avec ceux qui s’en vont dans la taïga sans coiffure et sans mitaines.

Il y avait longtemps qu’il marchait. Depuis longtemps déjà, d’après ses calculs, il aurait dû être sorti du Iamalakh et apercevoir le clocher. Cependant il était toujours dans la taïga qui l’environnait de toutes parts. On eût dit que le hallier lui avait jeté un sort et le retenait dans son cercle magique. Au loin la sonnerie solennelle des cloches continuait à vibrer. Makar s’imaginait aller de ce côté, et toujours la sonnerie semblait plus lointaine, à mesure que les modulations chantantes des cloches lui arrivaient de plus en plus faibles.

Le désespoir envahissait sourdement le cœur de Makar ; la fatigue l’accablait, pesait sur lui. Ses jambes refusaient le service ; ses membres se brisaient, douloureux et lourds ; l’haleine lui manquait. Ses pieds et ses mains s’engourdissaient. Il lui semblait que des cercles de tonneaux chauffés à blanc enserraient sa tête nue et la broyaient.

— Je suis un homme perdu, faut croire !

Cette idée commença à naître, puis se répéta à des intervalles de plus en plus rapprochés dans la cervelle de Makar qui, cependant, marchait toujours.

La taïga restait silencieuse. Elle se refermait derrière lui avec une sorte de ténacité méchante, bouchant les éclaircies, fermant tout espoir de salut.

— Je suis un homme perdu, faut croire ! pensait toujours Makar.

Ses forces enfin le trahirent tout à fait. Les branches des jeunes arbres le fouettaient avec insolence, sans aucune gêne, comme pour le bafouer et profiter de son lamentable état. Un moment, un lièvre blanc surgit dans une clairière ; il s’assit sur ses pattes de derrière, remua ses longues oreilles aux extrémités marquées de taches noires et, tout en faisant sa toilette, adressa à Makar les moues les plus impertinentes. Il lui faisait entendre ainsi qu’il connaissait fort bien son Makar, qu’il savait parfaitement qu’il était ce même Makar qui installait dans la taïga toutes sortes de machines destinées à la destruction de son espèce. Mais pour le moment il se moquait bien de lui.

Pour Makar, ce fut un grand chagrin. Or, la taïga commençait à s’animer davantage : elle devenait de plus en plus hostile. À présent les arbres, les plus éloignés mêmes, tendaient leurs longues branches sur son passage, le saisissaient par les cheveux, frappaient son visage, cinglaient ses yeux. Les coqs de bruyère sortaient de leurs cachettes, fixaient sur lui des yeux ronds et curieux. Les mâles, la queue en éventail, les ailes déployées, marchaient au milieu de leurs familles, parlaient avec colère et à voix haute à leurs femelles, de Makar et de ses embûches. Et pour comble, sous les halliers lointains, il put voir, rapides comme des éclairs, passer des milliers de museaux de renards. Ils aspiraient l’air glacé, et agitant leurs oreilles pointues, ils lui adressaient un regard ironique, tandis que des lièvres, assis sur le train de derrière, devisaient en riant sur les mésaventures de Makar.

C’en était trop.

— Je suis un homme perdu ! pensa Makar une dernière fois. Il résolut de s’exécuter sans plus attendre.

Il s’étendit sur la neige.

Le froid était devenu terrible. Les dernières lueurs de l’aurore boréale ne produisaient plus dans le ciel qu’un faible chatoiement qui vacillait ; perçant les hautes cimes de la taïga, elles vinrent caresser Makar d’une fugitive clarté. De bien loin, de Tchalgane, arrivaient à peine jusque-là les derniers échos des cloches.

Pendant un instant, l’aurore flamba, atteignit sa plus grande intensité, puis s’éteignit. Les cloches se turent.

Et Makar rendit l’âme...

VI

Comment cela s’était fait, il ne l’avait pas remarqué. Il savait que quelque chose devait sortir de lui, et il attendait que cela sortît d’un instant à l’autre... Mais rien ne sortait...

Pourtant il se rendait bien compte de son état : il était mort. Aussi, restait-il sans mouvement, calme. Il demeura longtemps couché de la sorte, si longtemps, qu’il finit par s’ennuyer.

Il faisait complètement noir quand Makar sentit tout à coup quelqu’un le heurter du pied. Il tourna la tête, souleva ses paupières.

Au-dessus de lui, les mélèzes, humbles et paisibles, inclinaient leurs branches. On eût dit qu’ils avaient honte à présent de leurs espiègleries de tout à l’heure. Les sapins velus étendaient leurs ramures larges et couvertes de neige qui se balançaient tout doucement. Dans l’atmosphère, des flocons de neige étincelaient, tombaient avec une égale douceur.

Du haut du firmament, les bonnes étoiles, lumineuses dans le bleu sombre, jetaient leurs doux regards à travers le fouillis des branches innombrables et semblaient dire : « Voyez-vous ce pauvre homme qui est mort ? »

Debout, près du corps de Makar, et le poussant du pied, se dressait un homme. C’était le vieux petit pope Ivan. Sa longue soutane, son berguess (bonnet) de fourrure, ses épaules et sa grande barbe disparaissaient sous la neige. Ce qu’il y avait de plus remarquable, c’est que c’était le même pope Ivan qui était mort quatre ans auparavant.

En ces temps, c’était un bon petit pope que cet Ivan. Jamais il ne tourmentait Makar au sujet de la prestimonie, il ne lui réclamait même pas l’argent pour les cérémonies du culte. Makar fixait lui-même le salaire des baptêmes et des messes, et, — en ce moment, — il se rappela avec confusion qu’il lui arrivait parfois de donner une somme trop minime, et quelquefois aussi de ne pas payer du tout. Le pope Ivan ne s’en formalisait pas. Il n’avait qu’une exigence, c’est qu’à chacune de ses visites, une bouteille de vodka fût placée sur la table. Si Makar n’avait pas d’argent, eh bien ! il envoyait lui-même chercher la bouteille, et ils trinquaient ensemble. Invariablement, le pope roulait sous la table, ivre mort, mais il était rare qu’il bataillât ; en tout cas, il ne frappait jamais fort. Makar le ramenait chez lui, et le remettait sans défense et sans forces entre les mains de sa légitime.[11]

Oui, c’était un bon petit pope. Sa mort fut atroce, cependant. Un jour, tout le monde était sorti, le petit pope qui était soûl, était resté couché dans son lit. Il eut envie de fumer un peu. Il se leva, s’approcha en trébuchant de la cheminée où le bois flambait haut. Il désirait allumer sa pipe ; mais comme il avait avalé une trop grande quantité d’eau-de-vie, il ne put garder l’équilibre et tomba dans le feu. Quand les siens rentrèrent, ils ne trouvèrent plus du pope, que les jambes.

On le regretta beaucoup, le bon pope Ivan, mais comme il ne restait plus de lui que les jambes, aucun médecin au monde ne pouvait le guérir. On se borna à enterrer ces jambes, et à la place du pope Ivan on mit un autre prêtre.

Et c’était ce petit pope, mais tout entier cette fois, qui se penchait sur Makar et qui le poussait du pied.

— Lève-toi, mon cher Makar, disait-il, et allons-nous-en.

— Et où aller ? demanda Makar avec humeur.

Du moment qu’il était mort, il pensait que son devoir était de demeurer tranquillement couché et qu’il n’avait pas besoin de se remettre en marche, d’errer de nouveau et de se perdre dans la taïga. Autrement, quelle nécessité y avait-il à mourir ?

— Allons chez le Grand Toyone[12].

— Qu’irai-je faire chez lui ? demanda Makar.

— Il te jugera, dit le petit pope d’une voix affligée où trembla quelque attendrissement.

Makar se rappela qu’en effet après la mort on doit se présenter quelque part et passer en jugement. Jadis on lui avait dit cela à l’église. Le petit pope avait donc raison, il fallait se lever.

Et Makar se leva, tout en grognant entre ses dents. Cela le fâchait que même après la mort on ne le laissât pas tranquille.

Le petit pope marcha en tête, Makar le suivit. Ils allaient droit devant eux, vers l’orient. Les mélèzes s’écartaient humblement à leur passage, pour leur tracer la route libre.

Makar remarqua avec surprise que le pope Ivan ne laissait aucune empreinte sur la neige. Il regarda à ses propres pieds et ne vit pas de traces non plus ; la neige, blanche et lisse, s’étendait comme une nappe.

Cette idée lui traversa l’esprit, qu’à présent il pourrait se promener à son aise au milieu des trappes d’autrui. Nul ne s’en apercevrait. Mais le petit pope devina sûrement sa secrète pensée, car il se tourna de son côté et dit :

— Kabys ! (laisse !) Tu ne sais pas ce que te réserve chaque pensée semblable.

— Là, là, répondit Makar mécontent. On ne peut seulement pas penser ! Qu’as-tu donc à être si sévère à présent ? Tais-toi plutôt...

Le petit pope secoua la tête et continua à marcher.

— En avons-nous pour longtemps encore ? demanda Makar.

— Pour longtemps, répondit le petit pope avec chagrin.

— Et qu’allons-nous manger ? demanda de nouveau Makar, non sans inquiétude.

— Tu as donc oublié que tu es mort ? fit le petit pope en se retournant. Tu n’as plus besoin de manger, ni de boire.

Makar n’était pas du tout satisfait. Sans doute, l’absence de besoin serait excellente, au cas où on ne trouverait rien à manger, mais alors il fallait rester couché comme il l’était immédiatement après sa mort. Tandis que marcher, et marcher si longtemps, sans rien manger, c’était tout ce qu’on pouvait imaginer de plus illogique. Il se mit à grogner de nouveau.

— Cesse tes plaintes ! dit le petit pope.

— Bon, répondit Makar offensé. À part lui, il continua à grogner et à pester contre l’absurdité de cet état de choses : forcer un homme à marcher et ne pas lui permettre de casser une croûte. A-t-on jamais vu cela ?

Il était de très mauvaise humeur, mais il n’en continuait pas moins à suivre le pope. Ils étaient en route depuis évidemment très longtemps. À la vérité, Makar ne voyait pas l’aube se lever, mais s’il en jugeait à la distance parcourue, au nombre des gorges et des pics, des fleuves et des lacs, des plaines et des forêts qu’ils laissaient derrière eux, ils marchaient depuis toute une semaine déjà. Quand Makar se retournait, il voyait la sombre taïga qui s’enfuyait en courant vers l’horizon, derrière lequel les hautes montagnes aux neiges éternelles disparaissaient, tour à tour, évanouies dans les ténèbres.

Il lui sembla qu’ils montaient de plus en plus. Les étoiles devenaient plus grosses, plus vives. Elles éclairaient davantage. Un bout de lune parut derrière la crête d’une éminence qu’ils étaient en train de gravir. Elle semblait avoir hâte de s’enfuir. Mais Makar et le petit pope la rattrapaient toujours, et lorsqu’ils arrivèrent enfin sur ce plateau élevé et uni, la lune commença à monter de nouveau au-dessus de l’horizon.

Maintenant il faisait clair, beaucoup plus clair assurément qu’au début de la nuit. C’était sans doute parce qu’ils se trouvaient beaucoup plus près des étoiles. Elles étaient toutes grosses comme des pommes et d’un éclat remarquable. La lune, large comme le fond d’un grand tonneau d’or, brillait ainsi que le soleil ; elle éclairait la plaine d’un bout à l’autre, rendait visible le moindre flocon de neige.

Des milliers de chemins traversaient cette plaine ; ils convergeaient tous vers le même point, à l’orient. Sur ces routes, des voyageurs de toutes sortes, à pied ou à cheval, en des costumes de toutes façons, cheminaient.

Depuis un instant, Makar examinait attentivement un cavalier. Tout à coup, changeant de direction, il courut à lui.

 

VII

— Attends ! Arrête ! cria le petit pope.

Makar n’entendait même pas. Il reconnaissait le Tartare qui, six ans auparavant, et mort l’année suivante, lui avait volé son cheval pie. Le fringant animal volait comme une flèche. Ses sabots soulevaient des nuages de poussière de neige, où les rayons des étoiles allumaient mille feux multicolores et chatoyants. En présence de cette course folle, Makar se demanda avec surprise, comment il avait pu atteindre si facilement à pied le Tartare. Du reste, celui-ci s’empressa de s’arrêter dès qu’il aperçut Makar près de lui. Makar l’interpella avec violence.

— Allons chez le starosta[13] ! criait-il. Ce cheval est à moi. Son oreille droite est découpée !... Voyez donc la malice de cet homme !... Il est à cheval sur la monture d’autrui, tandis que le véritable propriétaire va à pied comme un mendiant.

— Attends, répondit immédiatement le Tartare. Inutile d’aller chez le starosta. Ce cheval est à toi, dis-tu ? Eh bien ! prends le donc ! La damnée bête ! Voilà cinq ans déjà que je la monte sans qu’elle ait l’air de bouger de place... Les piétons me dépassent tous, les uns après les autres... C’est une vraie honte pour un brave Tartare.

Il levait déjà la jambe pour descendre du cheval, lorsque le petit pope, tout essoufflé, arriva. Il saisit Makar par la main.

— Malheureux ! cria-t-il, que vas-tu faire ? Ne vois-tu pas que le Tartare veut te mettre dedans ?

— Bien sûr qu’il me trompe ! vociférait Makar en brandissant les bras. C’était un bon cheval, un solide cheval de paysan... Il y a deux ans encore qu’on m’en offrait quarante roubles... Non, non, mon bon !... Si tu as abîmé la bête, je vais l’abattre pour la viande... Quant à toi, tu me le payeras comptant... Tu crois donc que parce que tu es Tartare, il n’y a pas de lois contre toi !...

Makar s’emportait, élevant la voix afin d’ameuter beaucoup de monde autour de lui, car il avait l’habitude de craindre les Tartares. Mais le petit pope l’arrêta dans ses élans.

— Tout beau ! Makar, tout beau ! Tu oublies donc toujours que tu es mort... Qu’as-tu besoin d’un cheval ?... Ne vois-tu pas que tu avances plus vite à pied que le Tartare ?... Souhaites-tu par hasard, d’être forcé de voyager durant des milliers d’années ?...

Makar comprit alors pourquoi le Tartare lui cédait le cheval si volontiers.

— Quelle vilaine engeance ! pensa-t-il.

Il se tourna vers le Tartare.

— C’est bon, va-t’en sur ton cheval... et moi, mon cher, je déposerai ma plainte en justice.

Le Tartare enfonça son chapeau avec colère et cravacha le cheval. Celui-ci se cabra, pointa, des tourbillons de neige jaillirent sous ses sabots, mais tant que Makar et le pope restèrent là, le Tartare n’avança pas d’un pas.

Celui-ci cracha avec fureur, et s’adressant à Makar :

— Dis donc, dogor (ami), ta n’aurais pas par hasard une feuille de tabac ? J’ai une terrible envie de fumer, et voilà quatre ans que mon tabac est épuisé.

— Un chien est ton ami, et non pas moi, repartit Makar en colère. Voyez-vous ça ! Il me vole mon cheval et il ose encore me demander du tabac ! Va, tu peux crever, je n’aurais même pas pitié de toi...

Sur ces mots, Makar se remit en route.

— Tu as eu tort, lui fit observer le pope Ivan, de pas donner une petite feuille de tabac à cet homme. À cause de cette bonne action, le Toyone t’aurait fait grâce d’au moins cent péchés, le jour de ton jugement.

— Pourquoi ne me l’avoir pas dit plus tôt ? répliqua grossièrement Makar.

— Mais il est déjà trop tard à présent pour te donner semblable avis. Les popes auraient dû te renseigner à cet égard du temps que tu vivais.

Makar se fâcha. Il constatait que les popes n’étaient d’aucune utilité : ils recevaient bien la prestimonie, mais ils ne se donnaient pas la peine de vous apprendre à quel moment précis il est nécessaire de gratifier un Tartare d’une feuille de tabac, afin d’obtenir une rémission de péchés... Facile à dire : cent péchés !... et tout cela pour une seule feuille !... Tout de même, cela en valait la peine !...

— Attends, fit-il. Une seule feuille de tabac nous suffira bien. J’en ai quatre autres, je vais les donner au Tartare... Total : quatre cents péchés...

— Retourne-toi, dit le pope.

Makar se retourna. Derrière lui, ainsi qu’une nappe blanche, s’étendait la plaine déserte. Dans le lointain, le Tartare apparut un instant comme un point noir. Durant un instant encore, Makar crut voir voltiger la poussière de neige sous les sabots de son cheval pie ; mais ce nuage aussi disparut.

— Bon, bon, fit Makar. Le Tartare se passera bien de mon tabac... A-t-il assez abîmé mon cheval, le coquin !

— Non, lui dit le petit pope. Il n’a point abîmé ton cheval. Mais c’est un cheval volé. N’as-tu donc pas entendu dire aux vieillards que « sur un cheval volé on ne va pas loin » ?

Makar avait, en effet, entendu les vieillards répéter ce précepte, mais comme, durant sa vie, il avait vu souvent des Tartares montés sur des chevaux volés, aller pourtant jusqu’à la ville, il n’était pas étonnant qu’il n’eût pas attaché grande importance aux paroles des vieillards. À présent, cependant, il se convainquit qu’il pouvait arriver même aux personnes âgées de dire la vérité...

Et il s’aperçut que dans la plaine, il dépassait bien d’autres cavaliers. Tous allaient du même train que le premier, les chevaux volaient comme des oiseaux, les hommes étaient couverts de sueur et pourtant Makar les dépassait. À chaque pas, il en laissait un derrière lui.

C’étaient des Tartares, en général. Cependant, de temps à autre, Makar reconnaissait aussi des habitants indigènes de Tchalgane. Parmi ces derniers, quelques-uns étaient montés sur des taureaux qu’ils stimulaient, de loin en loin, d’un coup de verge.

Aux Tartares, Makar jetait des regards courroucés, il grommelait qu’ils n’étaient pas encore assez punis. Mais il s’arrêtait auprès des habitants de Tchalgane qu’il rencontrait. Il les abordait avec bonhomie et entamait un petit bout de causette. Quoique voleurs, ils étaient tout de même des amis. Parfois même, il ne pouvait se défendre d’un mouvement de compassion à leur égard. Il ramassait des verges, en aiguillonnait avec ardeur taureaux et chevaux. Mais à peine avait-il fait quelques pas en avant, que les cavaliers étaient devenus derrière lui des points noirs presque imperceptibles.

La plaine semblait sans fin. À chaque seconde, on dépassait soit un cavalier, soit un piéton, et cependant l’étendue paraissait déserte ! On eût dit qu’entre ces voyageurs, il y avait des centaines, des milliers de verstes.

Entre autres figures, Makar remarqua celle d’un vieillard inconnu. C’était cependant bien un habitant de Tchalgane ; on ne pouvait s’y tromper à ses traits, à ses vêtements, à sa démarche. Makar pourtant ne se rappelait pas l’avoir jamais vu. Le vieillard était habillé d’une sona déchirée, d’un grand berguess à oreilles, en loques également, d’une vieille culotte de cuir, et de torbass en veau complètement usés. Mais le pire, c’est que, malgré son âge, le malheureux portait sur ses épaules une vieille femme encore plus décrépite que lui, et dont les jambes traînaient à terre. Le vieillard, essoufflé, trébuchait, s’appuyant lourdement sur son bâton.

Makar, pris de pitié, s’arrêta. Le vieillard, de son côté, s’arrêta aussi.

— Kapsé ! (parle !) fit Makar sur un ton engageant.

— Je n’ai rien à dire, répondit le vieillard.

— Qu’as-tu vu ?

— Je n’ai rien vu.

— Qu’as-tu entendu ?

— Je n’ai rien entendu.

Après ce colloque préliminaire, Makar se tut. Il jugea un silence opportun, avant de questionner de nouveau le vieillard sur son nom et sur le point d’où il venait.

Le vieillard se nomma. Il y avait bien longtemps — il ne se rappelait plus lui-même l’époque — qu’il avait quitté Tchalgane. C’était pour aller « dans la montagne » afin de sauver son âme. Là, il n’avait rien fait d’autre que manger des baies de faux mûriers et des racines ; il ne labourait pas, ne semait pas, ne portait pas de blé à la meule, ne payait pas d’impôts. Un jour, il trépassa. Il se présenta alors devant le jugement du grand Toyone. Le Toyone lui demanda qui il était et ce qu’il avait fait. « Je suis allé dans la montagne afin de sauver mon âme. — Bien, répondit le Toyone, et où est donc ta vieille ? Va la chercher et amène-la moi. » Et le vieillard s’en était allé quérir la vieille qui, tandis que son mari était en train de sauver son âme, n’avait plus ni maison, ni vache, ni pain, ni personne pour la nourrir. Elle mendiait donc durant ces derniers jours, et les forces l’abandonnaient, et elle ne pouvait plus traîner ses pauvres jambes. À présent le vieux devait porter la vieille sur son dos jusque chez le Toyone.

Il se mit à pleurer. La vieille alors, comme s’il s’agissait d’un simple taureau, lui administra un coup de pied et sa voix chevrotante et courroucée cria :

— Allons, en route !

La compassion de Makar pour ce vieux augmenta. Il se réjouit en lui-même de n’avoir pas réussi à « gagner la montagne ». Sa vieille était une femme vigoureuse, énorme ! Il aurait eu encore plus de difficulté à la porter. Et si, pour comble, elle s’était avisée de lui donner des coups de pied, ni plus ni moins qu’à un taureau, certes il eût bientôt fait de mourir une seconde fois.

Sa pitié fut telle qu’il empoigna la vieille par les jambes afin de soulager son ami. Mais il n’avait pas fait trois pas qu’il dût les lâcher vivement, car elles menaçaient de lui rester dans les mains, et en un clin d’oeil le vieillard et son fardeau disparurent.

À partir de ce moment, Makar ne rencontra plus personne qui fût particulièrement digne d’attirer son attention. Des voleurs chargés comme des bêtes de somme, du bien dérobé, avançaient péniblement. De gros toyones iakoutes étaient cahotés dans leurs selles hautes comme des tours, et leurs chapeaux élancés touchaient aux nuages. À leurs côtés, maigres comme des lièvres, couraient et sautillaient de pauvres diables d’ouvriers. Puis ce fut un assassin ensanglanté, les yeux hagards, sauvages ; il se roulait dans la neige immaculée pour y laver ses taches de sang, mais en vain : autour de lui la neige rougissait aussi rapidement que de l’eau bouillante, et cependant les taches qui souillaient le meurtrier n’en devenaient que plus éclatantes. Et il continuait à marcher, les yeux emplis de désespoir et d’horreur, évitant les regards épouvantés des autres voyageurs. Puis à tout moment, c’étaient de petites âmes d’enfants, qui passaient ainsi que des oiseaux, traversant les airs avec la vitesse de l’éclair. Leurs bandes passaient nombreuses. Makar ne s’en étonnait pas. La nourriture grossière et malsaine, la saleté, le feu de cheminées et les courants d’air dans les yourtas expliquaient qu’à lui tout seul, Tchalgane pouvait fournir des centaines d’âmes... Quand elles arrivaient à la hauteur du meurtrier, elles se jetaient sur les côtés, dans une envolée d’effroi, et longtemps après, on entendait encore dans les airs battre, peureuses et inquiètes, leurs petites ailes agitées...

Cependant Makar ne put pas ne pas remarquer que relativement il avançait assez vite. Il s’empressa d’attribuer ce fait à sa vertu.

— Écoute, agabite (père), fit-il. Qu’en penses-tu ? À la vérité, durant ma vie, il ne me déplaisait pas de boire un coup, mais tout en levant le coude, je restais un brave homme... Le Toyone m’aime...

Il jetait sur le pope Ivan un regard scrutateur, avec cette arrière-pensée de tirer les vers du nez du vieux petit pope. Mais celui-ci lui répondit brièvement :

— Ne t’enorgueillis pas. Nous approchons. Tu sauras bientôt toi-même à quoi t’en tenir.

Alors seulement, Makar s’aperçut que l’aurore commençait à poindre sur la plaine.

D’abord, et tels que les premières notes d’un orchestre puissant, quelques rayons éclatants jaillirent de la ligne d’horizon. Traversant rapidement le ciel, ils soufflèrent les feux vifs des étoiles. Celles-ci s’éteignirent, la lune se coucha et la plaine neigeuse s’obscurcit.

Au-dessus d’elle, se levèrent alors des brouillards qui l’entourèrent comme une garde d’honneur.

À l’orient, à un point marqué, les brouillards s’éclairèrent, lumineux comme des guerriers habillés d’or.

Puis ces brouillards se mirent à onduler, et les guerriers aux cuirasses d’or se penchèrent sur la plaine.

Et derrière eux parut le soleil. Arrêté à leurs crêtes étincelantes, il promena son regard sur la plaine.

Et toute la plaine entière fut inondée d’une lumière éblouissante, incomparable.

Et les brouillards, en un branle énorme, montèrent solennellement. Ils se déchirèrent à l’occident, et en de lentes ondulations s’envolèrent vers le ciel.

Et il sembla à Makar qu’il entendait un chant merveilleux et divin. N’était-ce pas le même chant, déjà si connu de lui, et dont, chaque matin, la terre saluait l’apparition du soleil ? Mais jamais Makar n’avait accordé à cette musique l’attention qu’elle méritait. Pour la première fois, il comprenait combien elle était sublime. Immobile, il tendait l’oreille, refusant d’avancer, voulant rester là, éternellement à l’écouter.

...................................................................................

Mais le pope Ivan le tira par la manche.

— Entrons, dit-il. Nous sommes arrivés.

Alors Makar vit devant lui une grande porte que les brouillards lui cachaient tout à l’heure.

Il n’avait nulle envie de bouger. Pourtant il fallait obéir.

 

VIII

Ils entrèrent dans une izba qui était spacieuse et belle, et ce n’est qu’après en avoir franchi le seuil que Makar s’aperçut rétrospectivement de la température glacée du dehors. Au milieu de l’izba, la cheminée en argent pur merveilleusement ciselé et garnie de bûches énormes d’or qui flambaient, répandait une chaleur douce, égale, laquelle tout de suite pénétrait le corps dans toutes ses parties. Le feu de cette cheminée ne faisait pas mal aux yeux, il ne vous brûlait pas, il chauffait seulement. Makar, de nouveau, eut envie de rester éternellement là à se chauffer. Le pope Ivan, s’approchant également de la cheminée, tendit ses mains glacées vers les flammes.

Quatre portes s’ouvraient dans l’izba. Une seule communiquait avec l’extérieur. Les trois autres donnaient passage à des jeunes gens, habillés de blanc, qui entraient et sortaient sans discontinuité. Makar pensa que c’étaient probablement des serviteurs du Toyone de l’endroit. Il croyait bien les avoir déjà vus quelque part, mais il ne savait pas où précisément. Il ne fut pas peu étonné de voir de grandes ailes se balancer derrière leur dos. Il estima que le Toyone devait nécessairement avoir d’autres gens à son service, car il était visiblement impossible à ceux-ci de circuler sans embarras dans les halliers de la taïga, lorsqu’ils devaient y aller abattre les bois et les perches.

Un des serviteurs se rapprocha lui aussi de la cheminée. Tournant le dos à Makar, il entama la conversation avec le pope Ivan.

— Parle.

— Je n’ai rien à dire, répondit le petit pope.

— Qu’as-tu entendu dans le monde ?

— Je n’ai rien entendu.

— Qu’as-tu vu ?

— Je n’ai rien vu.

Ils se turent, puis le pope reprit :

— Voici quelqu’un que j’amène.

— Un habitant de Tchalgane ? demanda le serviteur.

— Oui.

— Ah ! en ce cas il faut que je prépare la grande balance.

Et il disparut par une des portes, afin de donner les ordres en conséquence. Makar demanda au pope quel besoin il y avait d’une balance, et particulièrement d’une grande.

— Vois-tu, répondit le pope avec quelque confusion, la balance va servir à peser le bien et le mal que tu as faits durant ta vie. Ordinairement, le bien et le mal se font équilibre pour tous les hommes. Mais les habitants de Tchalgane ont une telle quantité de péchés à leur actif, que suivant la décision du Toyone, on a dû fabriquer à leur usage une balance spéciale, avec un plateau énorme pour les péchés.

Ces paroles impressionnèrent Makar. Il lui sembla que quelque chose grattait son cœur. Une timidité l’envahit.

Les serviteurs, ayant apporté la grande balance, l’installèrent. Un des plateaux était en or, l’autre en bois et de dimension extraordinaire. Au dessous de ce dernier, un trou béant se creusa subitement.

Makar s’avança ; il examina attentivement l’instrument, chercha s’il ne trouverait pas quelque indice de supercherie. Tout était en règle, les plateaux immobiles se tenaient suspendus à hauteur égale.

Cependant il ne se rendait pas exactement compte du fonctionnement de l’appareil, et de beaucoup, il eût préféré avoir affaire à un simple peson, instrument qu’au cours de sa longue existence, il avait su si bien utiliser à son avantage, dans ses achats et ventes.

— Voici le Toyone... fit tout à coup le pope Ivan, qui se mit précipitamment à tirer sur sa soutane, à en régulariser les plis.

La porte du milieu s’ouvrit. Le Toyone entra. Il était vieux, très vieux. Sa longue barbe argentée descendait plus bas que sa ceinture. Il était vêtu de fourrures et d’étoffes somptueuses. Makar n’en avait jamais contemplé de pareilles. Ses pieds étaient chaussés de snow-boots garnis de velours et semblables à ceux qu’autrefois Makar avait remarqués aux pieds d’un vieux peintre de saintes images.

Tout de suite, au premier regard, Makar reconnut dans le vieux Toyone, le vieillard qu’il voyait jadis en peinture dans l’église. Seulement, celui-ci n’avait pas son fils avec lui. Makar pensa que ce dernier vaquait probablement à ses affaires. En revanche, la colombe apparut. Elle fit quelques tours dans la pièce, au-dessus du vieillard, puis vint se poser sur ses genoux. Assis sur un siège à part, préparé à son unique usage, le vieux Toyone caressait la colombe, de la main.

La physionomie du Juge Suprême exprimait la bonté. Lorsque Makar sentait son cœur devenir trop gros, il regardait ce visage et il se trouvait mieux.

Si son cœur se gonflait ainsi, c’est qu’il était en train de se rappeler toute sa vie, dans tous ses détails ; il se souvenait du moindre de ses pas, de chaque coup de hache, de chaque arbre abattu, de chaque tricherie, de chaque petit verre de vodka avalé.

Et il avait honte, et il avait peur. Mais il regarda le vieux Toyone, il reprit courage.

Et une fois qu’il eut repris contenance, il se dit qu’il arriverait bien tout de même à cacher quelques-unes de ses fautes.

Le vieux Toyone l’examina, lui demanda comment il s’appelait, et d’où il venait, quel était son âge.

Makar répondit, et le vieux Toyone questionna de nouveau :

— Qu’as-tu fait pendant ta vie ?

— Tu le sais aussi bien que moi, répondit Makar. Tu as dû tout inscrire.

Makar mettait le vieux Toyone à l’épreuve. Il voulait savoir si réellement tout était inscrit.

— Parle, toi-même, fit le vieux Toyone.

Et Makar s’enhardit.

Il se mit à raconter toute la quantité de travail qu’il avait fournie. Bien qu’il se rappelât le nombre exact de ses coups de hache, des perches abattues, des sillons tracées par sa charrue, à ce chiffre il ajouta cependant des milliers de perches, des centaines de charretées de bois, des centaines encore de poutres et de pouds[14] de grains semés.

Quand il eut achevé son énumération, le vieux Toyone s’adressa au pope Ivan.

— Apporte-moi le registre à présent.

Seulement alors Makar comprit que le pope Ivan était attaché au service du Toyone en qualité de sourouxoute (secrétaire.) Il se montra très offensé que le pope ne l’eût pas prévenu en ami.

Le pope Ivan apporta un grand registre et se mit à lire.

— Vois-donc, dit le vieux Toyone, combien il y a de perches ?

Le pope jeta un coup d’oeil sur le registre et répondit sur un ton chagriné :

— Il a ajouté trois bons milliers.

— Il ment ! s’écria Makar avec emportement. Il se trompe ; c’est sans doute parce que c’est un ivrogne et qu’il est mort d’une vilaine mort.

— Tais-toi, dit le vieux Toyone. T’imposait-il des prix exorbitants pour la prestimonie, pour les baptêmes et les mariages ?

— J’aurais tort de l’accuser de cela, répondit Makar.

— Ah ! ah ! fit le Toyone. Quant à boire un coup, je sais aussi bien que toi, combien il l’aimait...

Et le vieux Toyone était en colère. Il s’adressa au pope Ivan.

— Lis plutôt la liste de ses péchés inscrits. C’est un imposteur en qui je ne puis avoir confiance.

Pendant ce colloque, les serviteurs avaient jeté dans le plateau d’or les perches de Makar, et ses bois, et ses labourages, et tout son labeur. Le plateau d’or baissa sous un tel poids que le plateau de bois, qui montait de l’autre côté, s’éleva à une hauteur où les mains ne pouvaient plus atteindre. Les jeunes serviteurs du bon Dieu durent ouvrir leurs ailes, prendre leur vol au-dessus de la terre, et ils étaient bien une centaine à tirer sur des cordes pour abaisser le plateau.

Il pesait lourd, le travail de l’habitant de Tchalgane !

Et le pope s’était mis à compter le nombre de fois que Makar avait trompé. Il trouva vingt et un mille neuf cent trente-trois fourberies. Puis le pope compta combien Makar avait bu de bouteilles d’eau-de-vie : il en trouva quatre cents. Et le pope continua son dénombrement. Makar constata que le plateau de bois l’emportait à présent en lourdeur sur le plateau d’or ; déjà il descendait dans le trou. À mesure que le pope lisait, le plateau baissait davantage.

Makar se dit alors que l’affaire tournait mal pour lui. Il s’approcha de la balance, et sans en avoir l’air, il essaya avec le pied d’entraver la descente du plateau.

Un serviteur s’aperçut de la supercherie, un tumulte s’en suivit.

— Qu’y a-t-il donc ? demanda le vieux Toyone.

— Il a voulu arrêter le plateau avec son pied, répondit le serviteur.

Toyone, courroucé, se tourna vers Makar.

— Je t’ai jugé, s’écria-t-il, tu es un imposteur, un ivrogne ! Tu n’as pas acquitté tes impôts, tu dois encore la prestimonie au pope, et à cause de toi, à cause des gros mots que tu lui arraches continuellement, l’ispravnik commet chaque jour des péchés !...

Et s’adressant au pope, le vieux Toyone demanda :

— Qui, à Tchalgane, fait le plus travailler ses chevaux, les charge le plus, et les tient le plus en haleine ?

Le pope Ivan répondit :

— C’est le cellérier de l’église. Il a le relais de poste et conduit l’ispravnik.

Alors le vieux Toyone prononça cet arrêt : « Qu’on livre ce fainéant au cellérier, qu’il conduise, comme cheval hongre, son ispravnik, jusqu’à ce que, harassé de fatigue, il tombe raide mort... Après-nous verrons...

Le vieux Toyone n’avait pas achevé de parler, lorsque la porte s’ouvrit. Le fils du vieux Toyone entra dans l’izba. Il s’assit à la droite de son père.

Et le fils dit :

— J’ai entendu l’arrêt... J’ai vécu longtemps parmi les hommes et je sais les choses de la terre : ce pauvre homme sera bien malheureux, il aura beaucoup de peine à traîner l’ispravnik... Mais... mais soit !... Cependant, il a peut-être quelque chose à ajouter. Allons, parle, barakhsane (pauvret).

 

IX

Il se passa alors quelque chose d’extraordinaire. Makar, ce même Makar qui n’avait jamais pu dire plus de dix paroles de suite, sentit tout à coup sa langue se délier. Il se mit à parler, si bien qu’il en fut lui-même stupéfait. Il se dédoubla, pour ainsi dire, en deux Makar : l’un qui parlait et l’autre qui écoutait avec surprise. Il n’en croyait pas ses oreilles. Ses paroles coulaient avec aisance, fougueuses, ardentes. Les mots jaillissaient et couraient à l’envi se ranger en files longues, bien ordonnées. Makar ne perdait pas contenance ; s’il lui arrivait d’hésiter, il se rattrapait aussitôt et il criait deux fois plus fort. Mais l’important était qu’il sentait que son éloquence était persuasive.

Le vieux Toyone, d’abord fâché de l’impertinence de Makar, l’écoutait avec attention à présent. Il semblait se dire qu’après tout Makar n’était pas aussi bête qu’il en avait l’air. Dès les premières paroles, le pope Ivan fut pris de peur ; il tira Makar par le pan de sa sona, mais celui-ci l’écarta et continua à parler de plus belle. Bientôt le petit pope cessa de craindre. Un sourire éclaira même son visage, quand il entendit la vérité pleine et entière sortir de la bouche d’un de ses paroissiens, et quand il constata que cette hardiesse paraissait être du goût du Juge Suprême. Les jeunes serviteurs du vieux Toyone eux-mêmes quittaient leur office et venaient s’arrêter à la porte. En longues tuniques, leurs ailes blanches pendantes, ils se poussaient du coude et écoutaient le discours de Makar avec étonnement.

Makar commença par déclarer qu’il refusait d’aller chez le cellérier, de le servir en qualité de cheval hongre. Non qu’il redoutât le travail pénible, mais l’arrêt était injuste, et du moment que cet arrêt était injuste, il ne tenait pas du tout à s’y soumettre, il s’en souciait autant que des neiges d’autan ; aussi ne bougerait-il pas de place. On peut faire de lui ce qu’on voudra, et même le donner comme serviteur au diable pour toujours, mais il ne conduira pas l’ispravnik, — parce que cet arrêt est inique. Qu’on ne s’imagine pas pourtant que la qualité de cheval hongre l’effraye. Il est vrai que le cellérier surmène ses chevaux et ne les laisse jamais au repos ; mais au moins leur donne-t-il de l’avoine, tandis que lui, Makar, toute sa vie, on l’a tenu en haleine, sans repos ni trêve, mais personne ne lui donnait jamais d’avoine.

— Qui donc te tenait ainsi en haleine ? demanda le vieux Toyone avec dépit.

Oui, toute sa vie, il avait été surmené, toujours à la tâche, toujours en haleine, sans répit. Qui le tenait ainsi en haleine ? Mais c’étaient les starostas, les syndics de baillage, les assesseurs et les ispravniks qui réclamaient les impôts ; c’étaient les popes qui demandaient la dîme ; c’était la misère, c’était la faim ; c’étaient les froids et les chaleurs, les pluies et les sécheresses, la terre gelée et la mauvaise taïga !... Les bestiaux qu’on chasse devant soi, vont, la tête basse, regardant le sol, sans savoir où ils vont !... Eh bien ! il en était de même pour lui... Est-ce qu’il comprenait ce que lisait le pope à l’église, et pourquoi il devait payer la prestimonie ? Est-ce qu’il savait pourquoi on avait enrôlé son fils aîné comme soldat, où il était allé, où il était mort, où maintenant reposaient ses os misérables !

On lui fait un crime d’avoir bu beaucoup de vodka ! C’est vrai, il ne chicane pas le fait. Mais c’était pour noyer les chagrins de son cœur, qu’il buvait de l’eau-de-vie...

— Combien de bouteilles, dis-tu ?

— Quatre cents, répondit le pope Ivan après avoir jeté un coup d’œil sur le registre.

Soit ! Mais était-ce réellement de l’eau-de-vie ? Elle contenait trois quarts d’eau pour un seul quart de vodka véritable, additionné encore d’infusion de tabac. Le compte était donc majoré de trois cents bouteilles !

— Dit-il exactement la vérité ? demanda au pope Ivan le vieux Toyone, sur la physionomie duquel on apercevait encore des traces de mécontentement.

— La pure vérité ! répondit avec empressement le pope.

Makar continua.

On lui reproche, dit-il, d’avoir majoré tout à l’heure de trois mille le nombre de ses perches ! Eh bien, soit ! Il avoue n’en avoir abattu que seize mille. Mais est-ce que cela ne suffit pas ?... Et de plus, dans ce nombre sont compris les deux mille qu’il a abattues pendant que sa première femme se mourait... Pourtant son cœur était bien gros alors, il aurait voulu rester auprès de sa vieille, mais la misère le renvoyait à la taïga... et dans la taïga il pleurait, et les larmes gelaient sur ces cils, et dans son affliction, il sentait le froid pénétrer jusqu’à son cœur... Et lui, toujours il abattait...

Sa vieille mourut. Il n’avait pas d’argent pour l’enterrer. Afin de lui payer une demeure dans l’autre monde, il proposa ses services à un marchand de bois à brûler. Le marchand, le voyant très gêné, ne lui donna que dix kopeks par charretées... Et tandis que la pauvre vieille restait abandonnée dans la maison sans feu, il abattait de nouveau le bois et il sanglotait... Il estimait que ces charretées valaient au moins cinq fois plus, si ce n’est davantage...

Des larmes montèrent aux yeux du vieux Toyone, et Makar vit la balance osciller, le plateau de bois s’éleva un peu, tandis que l’autre descendit.

Et il continua.

Ils ont tout inscrit sur le registre. Mais a-t-on inscrit le nombre de larmes que la noire misère lui a fait verser ? Qu’on cherche dans son existence : a-t-il jamais connu les caresses, le bon accueil ou la joie ? Ses enfants, où sont-ils donc ? Les uns sont morts, ne lui laissant que de la douleur et des larmes ; les autres une fois devenus grands l’ont quitté ; chacun pour son compte a été se battre contre la sombre misère. Et lui, Makar, est resté seul, auprès de sa seconde femme, sentant ses forces faiblir, attendant la décrépitude de la vieillesse méchante et sans asile. Tous deux solitaires ressemblaient à deux sapins orphelins, au milieu d’une steppe, n’ayant plus rien qui les protège contre les tourmentes de neige...

— Dit-il vrai ? demanda de nouveau le vieux Toyone.

Et le pope s’empressa de répondre :

— La pure vérité !

Et alors la balance oscilla encore...

Mais le vieux Toyone demeurait pensif.

— Quoi ! dit-il, je possède cependant des justes, de véritables justes sur la terre... Leurs yeux sont clairs, leurs visages propres et sereins, leurs vêtements immaculés... Leurs cœurs, tendres comme les terres fertiles, gardent la bonne semence. Et il y pousse en retour les lis des champs et les plantes odoriférantes dont le parfum me plaît tant... Mais toi, regarde-toi donc...

Makar vit alors tous les regards se fixer sur lui, et il eut honte : en effet, ses yeux étaient troubles, son visage était noir, ses cheveux ébouriffés, sa barbe inculte, ses vêtements en loques. Il est vrai que bien avant sa mort, il avait eu souvent l’intention d’acheter une paire de bottes, afin de comparaître, un jour, devant son Juge Suprême, avec la dignité qui convient à un bon villageois. Mais toujours il avait dépensé son argent en vodka, et voilà qu’il paraissait présentement devant le grand Toyone, chaussé de méchants torbass, ainsi que le plus misérable iakoute... Il avait envie de rentrer à cent pieds sous terre...

— Ton visage est noir, continuait le vieux Toyone, tes yeux sont troubles, tes vêtements en loques. Ton cœur est recouvert d’herbes folles, d’épines, d’absinthe amère... C’est pour ces raisons que j’aime ceux qui sont mes justes et que je détourne les yeux des impies, tes semblables...

Le cœur de Makar se serra. Sur lui pesait la honte de sa vie. Déjà il avait courbé la tête, mais il la releva et reprit son discours.

De quels justes parlait donc le Toyone ? Serait-ce de ceux qui, contemporains de Makar, habitaient en ce temps, de grandes et riches demeures ?... En ce cas, Makar les connaît bien... S’ils ont les yeux clairs, c’est qu’ils n’ont pas versé tant de larmes que Makar ; s’ils ont des visages sereins et propres, c’est qu’ils les lavent avec des eaux parfumées ; si leurs vêtements sont immaculés, c’est qu’ils sont tissés par la main d’autrui.

De nouveau, Makar baissa la tête. Mais il la releva aussitôt.

Et pourtant ne sait-il pas que, comme les autres, il est né avec des yeux limpides, grands ouverts pour refléter les cieux et la terre, avec un cœur pur, prêt à accueillir tout ce que le monde lui offrirait de beau ? Et si, en ce moment la honte lui fait désirer de se cacher sous terre la faute n’en est pas à lui... À qui revient-elle, cette faute ?... Il l’ignore... La seule chose qu’il sait, lui, c’est que désormais son cœur est à bout de patience...

 

* * *

 

Nul doute que s’il avait pu voir l’effet produit par son discours sur le vieux Toyone, s’il avait vu chacune de ses paroles irritées tomber sur le plateau d’or, comme un poids de plomb, Makar eût apaisé son cœur. Mais il était incapable de s’apercevoir de quoi que ce fût, parce que ce cœur était empli d’un désespoir sans fin.

D’un coup d’œil rapide, il embrassa sa vie entière. Comment a-t-il pu supporter un semblable fardeau jusqu’à cette heure ? Il l’a supporté ! C’est que toujours devant lui, ainsi qu’une étoile à travers les brouillards, brillait l’espérance. Du moment qu’il vivait, il pouvait, il devait tenter d’obtenir un sort meilleur... À présent tout était fini... l’espérance s’éteignait...

L’obscurité descendit dans son âme, une tempête s’y déchaîna, telle qu’une tourmente de neige au milieu d’une steppe déserte, par une nuit profonde... Il oublia où il était, devant qui il se trouvait, il oublia tout, hormis sa colère...

Mais le vieux Toyone lui dit :

— Attends, pauvre homme ! Tu n’es plus sur la terre... Pour toi aussi, il y aura de la justice ici....

Et Makar tressaillit. Il sentit, au fond de son cœur, qu’on avait pitié de lui, et son âme s’apaisa. Mais comme devant ses yeux continuait encore de défiler sa sombre existence, depuis le premier jour jusqu’au dernier, il ressentit pour sa propre destinée une pitié indicible... et il fondit en larmes...

Et le vieux Toyone, lui aussi, pleurait... et le vieux petit pope Ivan pleurait aussi, et les jeunes serviteurs du bon Dieu pleuraient, et ils essuyaient leurs larmes avec leurs larges manches blanches...

Et la balance continuait d’osciller, et le plateau de bois s’élevait toujours, montant plus haut, toujours plus haut !

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Texte établi par la Bibliothèque russe et slave, avec le concours de Marc Szwajcer ; déposé sur le site de la Bibliothèque le 12 novembre 2012.

 

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Les textes ont été relus et corrigés avec la plus grande attention, en tenant compte de l’orthographe de l’époque. Il est toutefois possible que des erreurs ou coquilles nous aient échappé. N’hésitez pas à nous les signaler.



[1] Sous le nom de Makar est désigné dans les proverbes russes, l'homme poursuivi par la malchance.

[2] Yourta, hutte des aborigènes sibériens, sans fenêtres, et percée d'un trou dans le plafond, par où s’échappe la fumée.

[3] Sloboda, village.

[4] Chamane, prêtre, et en même temps médecin des païens en Sibérie.

[5] Toyone, seigneur, maître; Ispravnik, commissaire de police de district.

[6] Vodka, eau-de-vie.

[7] Cheval qui a une tache blanche sur le front.

[8] Ces étrangers — le lecteur l’a deviné sans doute — étaient des déportés politiques. Un de ces jeunes gens était, peut-être, l’auteur même de ce récit.

[9] Les chansons des aborigènes de Sibérie sont le plus souvent improvisées et décrivent le milieu immédiat où elles sont créées.

[10] Moyen employé pour conserver la chaleur en dedans.

[11] Le célibat est incompatible avec la dignité de prêtre orthodoxe; mais, en revanche, celui-ci n'a pas le droit de convoler en secondes noces.

[12] Le grand Toyone, Dieu.

[13] Bailli, chef de village.

[14] Un poud, 16 kilogrammes.