LA BIBLIOTHÈQUE RUSSE ET SLAVE
— LITTÉRATURE RUSSE —
Hélène Iswolsky
(Извольская Елена Александровна)
1896 – 1975
LE MOUVEMENT RELIGIEUX EN U.R.S.S.
1938
Article paru dans Esprit, année 6, n° 70,
1938.
Ce texte est publié avec l’accord des héritiers d’Hélène Iswolsky ; le téléchargement est autorisé pour un usage personnel, mais toute reproduction est strictement interdite.
Les observateurs de la vie soviétique furent longtemps unanimes à déclarer que la propagande des sans-dieu avait porté un coup mortel à la vie religieuse russe. Si le culte subsistait encore dans certaines églises, celles-ci n’étaient fréquentées que par quelques vieilles dévotes et par quelques ci-devant attachés aux traditions du passé. Mais les hommes de la révolution avaient définitivement rompu avec toute interprétation mystique de la vie. Quant à la jeunesse, elle ignorait purement et simplement le sentiment religieux, ayant été systématiquement privée des notions chrétiennes les plus élémentaires. Les chefs soviétiques eux-mêmes ont cru à la défaite de l’Église, ou du moins à une sorte de capitulation silencieuse des masses populaires devant les nouvelles exigences de la vie. Les prêtres, relégués dans les prisons et les camps de concentration, exilés, disséminés, ou tout simplement privés de moyens d’existence, avaient perdu, semble-t-il, toute influence, et paraissaient incapables d’offrir une résistance tant soit peu sérieuse au formidable appareil de l’idéologie officielle.
Cette certitude d’une défaite inéluctable explique en grande partie le « manque de vigilance » manifestée au cours des dernières années par les organisations sans-dieu. Elle explique également le changement d’attitude qui s’opéra au sein du Parti et du gouvernement à l’égard du clergé et des fidèles pratiquants, et dont nous retrouvons les traces dans la nouvelle constitution et dans la nouvelle loi électorale. Il est vrai que l’article 128 de cette nouvelle constitution n’apportait aucune modification fondamentale en faveur de la liberté religieuse ; il présentait même certaines restrictions par rapport à l’ancienne constitution, qui autorisait la propagande religieuse, alors que la nouvelle constitution n’en fait pas mention ; celle-ci ne reconnaît que la liberté du culte et la liberté de la propagande anti-religieuse. Mais en introduisant le suffrage universel, et en restituant par cela même au clergé les droits civiques dont il était privé, la nouvelle loi électorale assimilait les ministres du culte aux autres citoyens soviétiques et les invitait à une activité sociale, dont ils avaient été exclus pendant de longues années.
Ce changement d’attitude n’alla pas sans provoquer des protestations chez certains communistes militants, qui envisageaient d’un mauvais œil la rentrée du prêtre dans la vie publique. Mais selon la dialectique marxiste, qui considère l’Église étroitement liée à l’État bourgeois-capitaliste, le clergé était destiné à disparaître pour ainsi dire automatiquement avec les derniers vestiges de cet État ; il ne pouvait par conséquent présenter aucun danger dans un pays où la bourgeoisie était définitivement vaincue, et où le socialisme était réalisé.
C’est la thèse officielle, développée par le chef des sans-dieu, Emeliane Yaroslavsky, dans une brochure publiée en 1936 et intitulée : La Constitution Stalinienne et la question religieuse[1].
« Tout ce qui a été inscrit à notre programme, écrit Yaroslavsky, a été exécuté. Le socialisme a vaincu. Les exploiteurs ont été brisés et écrasés. Les organisations ecclésiastiques furent jadis leurs alliées. À présent elles ne peuvent plus jouer le rôle qu’elles jouaient au temps où elles trouvaient un appui solide chez la bourgeoisie, les koulaks, les interventionnistes et les généraux blancs, lorsque la plus grande partie du pays était occupée par les ennemis du régime soviétique. »
« Aussi, poursuit le chef des sans-dieu, la privation des serviteurs de l’église du droit de vote était une mesure absolument légitime et nécessaire. Aujourd’hui, lorsque le socialisme a triomphé dans notre pays et que le pouvoir soviétique est plus solide que jamais, ce serait une erreur, tout en conférant le droit de vote à tous les citoyens, de faire une exception pour les ministres du culte. »
Yaroslavsky ajoute que le fait d’octroyer le droit de vote au clergé ne modifie d’aucune façon, bien entendu, l’attitude du pouvoir communiste à l’égard de la religion ; il rappelle à cette occasion les directives contenues dans le programme du Parti (art. XIII) et dans celui de la Jeunesse Communiste, concernant la nécessité de « libérer les masses des préjugés religieux ». Toutefois, l’auteur souligne que ces deux programmes prescrivaient la prudence dans le choix des moyens, car toute action « qui menace de froisser le sentiment religieux » ne fait que « fortifier le fanatisme » des croyants.
Ces directives, ainsi que l’on sait, furent ignorées par les organisations sans-dieu qui multiplièrent pendant de longues années, et notamment au cours de la collectivisation forcée de la campagne, les mesures agressives, la profanation des églises, la destruction des icônes et des reliques, les processions sacrilèges, la ridiculisation du clergé par la presse et l’image... C’est ce que Yaroslavsky appelle dans sa brochure « l’action administrative » ; il invite les sans-dieu et la jeunesse communiste à renoncer à ces méthodes, et à les remplacer par une propagande scientifique et par une habile persuasion des masses. Le ton de la brochure est extrêmement conciliant et s’inspire d’une très grande prudence. C’est qu’elle coïncide, ainsi que nous l’avons vu, avec la promulgation de la nouvelle loi électorale, c’est-à-dire avec une période où le pouvoir soviétique se préoccupait encore des réactions éventuelles de la masse des électeurs et cherchait un terrain d’entente possible, même avec les éléments de la population non encore débarrassés des « préjugés religieux ».
Ces deux motifs fondamentaux : le désir de pacifier les masses en vue des élections prochaines et la certitude que l’agonie de l’Église a déjà commencé et que le dénouement fatal est inéluctable, provoquèrent le fléchissement de la lutte anti-religieuse en 1936 et au début de 1937. La propagande communiste saisit cette occasion pour souligner le fait que le gouvernement stalinien respectait pleinement la liberté de conscience et du culte religieux inscrit dans la Constitution. Il s’agissait — du moins pouvait-on le croire — d’une sorte d’entente tacite, mais amicale, entre les membres des partis militants et athées et les citoyens sans-partis demeurés fidèles à l’église, à condition bien entendu, qu’ils servent le régime avec une entière loyauté.
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Ce fut précisément à cette époque, où la vie religieuse en U.R.S.S. semblait définitivement refoulée et cessait d’être une menace pour les chefs communistes les plus défiants, que nous eûmes l’occasion de recueillir un témoignage significatif. Il s agissait d’un agronome soviétique[2], d origine paysanne, ayant appartenu au parti communiste, mais s’étant relié au cours de la collectivisation forcée à l’opposition rurale. Étant parvenu à fuir à l’étranger, cet observateur fort averti nous affirma, — tout en étant lui-même un incroyant — qu’environ 45 % de la population soviétique avaient conservé la foi, et que tout habitant de l’U.R.S.S. avait la possibilité, s’il le désirait, de se renseigner sur la doctrine chrétienne ; malgré les interdictions et la suppression officielle, la bible et l’évangile n’avaient jamais cessé d’être propagés.
Ce témoignage fut accueilli avec incrédulité par nombre de nos amis qui l’attribuèrent à un excès d’optimisme. Or, le 27 avril 1937, N. Kroupskaya, la veuve de Lénine, publiait dans les Izvestia un article fort important, où elle exprimait son inquiétude quant à la survivance des croyances religieuses en U.R.S.S. Elle signalait entre autres le fait qu’au cours du recensement qui venait d’avoir lieu, un grand nombre de citoyens soviétiques, et notamment les femmes, avaient été troublés par le paragraphe des feuilles de recensement où ils devaient déclarer s’ils étaient croyants ou incroyants. Nombreux furent ceux qui, tout en n’ayant pas assisté aux offices religieux pendant de longues années, furent pris de scrupules par ce paragraphe, et avaient fini par y inscrire « croyant ».
Kroupskaya se plaignait que l’influence religieuse avait pénétré dans les écoles, et que la jeunesse était attirée par la beauté et la poésie des offices ; elle cherchait à expliquer cet attrait par l’élément purement esthétique : « Nos ouvriers, écrivait-elle déclarent parfois : — Je vais à l’église parce qu’il est trop difficile de se procurer un billet de théâtre ». Mais elle ajoutait qu’il fallait bien reconnaître que l’Église organise des œuvres sociales, prodigue des soins aux malades et aux enfants, elle s’occupe « de morale pratique et d’action pratique ». La propagande anti-religieuse, basée sur les méthodes scientifiques, n’impressionne plus les masses, ainsi qu’elle le faisait au début de la révolution. L’ouvrier qui visite le Planétarium (qui semblait naguère fournir des arguments décisifs en faveur du matérialisme) en sort aujourd’hui en disant : « Avec quelle sagesse Dieu a créé le monde ! »
L’article de Kroupskaya fut un des premiers cris d’alarme lancés par le Parti au sujet du puissant renouveau religieux qui se faisait brusquement jour, à la suite des dispositions de la nouvelle constitution. Au fait, il s’agissait moins d’un renouveau proprement dit, que du retour à la surface de l’Église longuement enfouie dans les catacombes. Les chefs soviétiques s’apercevaient à présent que cette église avait non seulement conservé, mais accru son influence. Dans les Kolkhozes, les clubs, les institutions scolaires, le corps enseignant, les syndicats, l’élite stakhanoviste, et jusque dans les organisations de la jeunesse communiste, « la survivance des préjugés religieux » se manifestait d’une façon des plus inquiétantes.
Les citoyens soviétiques, que l’on croyait définitivement gagnés à l’athéisme, se mariaient religieusement, faisaient baptiser leurs enfants et réciter des prières pour les défunts. Des groupes d’ouvriers et de kolkhoziens réclamaient la réouverture des églises et réunissaient les fonds nécessaires pour l’entretien du prêtre. À défaut de celui-ci, les offices étaient récités par des moines ambulants. Ceux qui ne pouvaient ensevelir leurs morts chrétiennement, par peur de représailles, envoyaient secrètement au prêtre les habits du défunt, afin qu’il les bénisse avant la mise en bière. Des adolescents, élevés dans l’athéisme le plus strict, recevaient clandestinement le baptême. Les membres de la jeunesse communiste se rendaient à la messe et chantaient dans les chœurs d’église[3].
L’influence des sectes évangéliques, notamment des Baptistes, qui fut toujours grande en Russie, continuait également à se développer. Leurs prédications, leurs offices, qui ne revêtent pas la forme liturgique, convenaient fort bien aux fidèles qui veillaient à ce que leurs réunions passent inaperçues. De plus, l’essence strictement morale de leur doctrine exerçait un attrait puissant sur des hommes ayant profondément souffert des excès d’une autre morale — la morale de classe. Qu’il s’agisse d’ailleurs de prédicateurs baptistes ou des prêtres orthodoxes, il semble que leur mission soit moins la recherche mystique ou métaphysique, que le rappel des grandes vertus chrétiennes et du message évangélique. Les groupements chrétiens, légaux ou secrets, sont des refuges contre la délation et la terreur, des oasis où les hommes peuvent se rencontrer et parler librement et en toute confiance.
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Un autre trait de la vie religieuse renaissante est la pauvreté. La somptuosité du rite orthodoxe a disparu dans la tourmente. Elle est remplacée par un décor qui évoque les communautés chrétiennes primitives. La liturgie n’a conservé que ce qu’elle a d’essentiel : les calices sont en étain ou en bois, les chasubles en toile grossièrement peinte, les chœurs sont formés d’amateurs ; le prêtre vit d’aumône, habite une misérable masure ou se cache dans les bois. C’est un jeune homme qui vient d’être secrètement ordonné, ou un vieux moine, ayant connu les rigueurs de la persécution. Ni l’un ni l’autre ne ressemblent au pope ventru, que les feuilles anti-religieuses représentent entourés de canons, de mitrailleuses et de sacs remplis d’or, et tendant la main aux capitalistes.
Enfin, le rôle social du prêtre s’est considérablement accru. Dans les campagnes surtout, le clergé partage de plus en plus la vie quotidienne et laborieuse de ses paroissiens. Il participe à l’activité du Kolkhoze et même de l’usine, et s’y rend souvent utile, soit en expliquant les mesures économiques ou sociales prises par le gouvernement, soit en prenant part à l’action syndicale, soit en mettant à la disposition des fidèles sa culture et son expérience technique.
Un étranger qui revint de l’U.R.S.S. en 1937, confia au journal russe de Paris, Les Dernières Nouvelles, ses impressions sur le nouveau clergé soviétique[4] :
« Le prêtre est un représentant typique de l’intelliguentzia soviétique, qui ressemble à certains points de vue à son père spirituel, l’intelliguent russe de jadis, mais qui en diffère en même temps. Il a la passion des livres, il lit à fond les journaux et les revues. Mais il s’intéresse également à la vie courante, et à ce que l’on appelle l’activité sociale soviétique. Il a obéi à la loi générale de la vie russe ; étant devenu un homme plus « réel », il s’est par cela même européanisé. Il ressemble plutôt au curé catholique ou au pasteur protestant. Il est tour à tour médecin, agronome, horticulteur. Il essaie de pénétrer et il pénètre partout : il travaille pour le développement de l’aviation, et prend part aux fêtes organisées à l’occasion de « journées de la femme », « de la jeunesse », « de la défense des frontières », etc. » Et l’auteur du récit ajoute qu’il arrive souvent que le chef de l’organisation de Parti locale et le prêtre de la paroisse, tout en demeurant officiellement hostiles l’un à l’autre, se mettent d’accord afin d’activer les grands travaux agricoles de la saison ou les campagnes de propagande ayant un but social ; chaque fois, en un mot, où « il s’agit de mobiliser toutes les forces vives du pays » le prêtre soviétique se montre à la hauteur de la tâche.
Mais c’est précisément ce nouveau type de prêtre qui diffère si profondément de ceux que se plaît à ridiculiser la presse des sans-dieu, — qui commence à éveiller la défiance des dirigeants soviétiques. À la veille des élections ceux-ci s’aperçurent que les avertissements de Kroupskaya n’étaient que trop fondés, et que le clergé représentait un facteur important de la campagne électorale. Dès le printemps 1937, Yemeliane Yaroslavsky publiait dans la presse, puis en brochure spéciale, les nouvelles directives, qui n’avaient plus le ton optimiste et rassurant de ses instructions de l’année précédente[5]. Il y soulignait le fait, déjà signalé par Kroupskaya et commenté par tous les journaux soviétiques de mars-avril, que la recrudescence du sentiment religieux ne saurait plus être ignorée et appelait d’urgence une contre-attaque des sans-dieu. Et Yaroslavsky cite des chiffres qui confirment pleinement les déclarations de notre témoin faites en 1936 :
« Si l’on estime, écrit-il, que le nombre des croyants forme 30 % de la population des villes, on peut en conclure qu’il existe des millions de citadins fidèles à la religion. Quant à la population rurale, qui compte deux tiers de croyants, ses cadres religieux sont encore plus importants. »
On voit donc que les craintes de Kroupskaya n’étaient nullement exagérées ; aussi Yaroslavsky condamne-t-il la légèreté de ceux qui, s’en étant remis aux sans-dieu pour la liquidation des « préjugés religieux », ne s’étaient pas suffisamment préoccupés de la survivance occulte, pour ainsi dire souterraine, de la foi au sein du peuple :
« Il y a des gens, écrit-il, qui se consolent à la pensée qu’un grand nombre d’églises ont été fermées, et croient que c’en est fait de la religion. Il s’agit là d’une grave erreur. Le danger consiste précisément dans le fait que si l’église a été fermée, et qu’aucun travail sérieux n’a été opéré dans les masses... le pope reste sans église, mais entouré de ses fidèles ; il se transforme en « pope ambulant ». Le « pope ambulant » se met en route avec son attirail, qui n’est guère encombrant, et qui se place tout entier dans une valise : un encensoir, des pains bénits, un flacon de vin pour la communion, une étole sacerdotale... Le ministre du culte s’en va de village en village, partout où il est appelé. S’il n’a pas visité un village depuis un an, il baptise tous les enfants qui y sont nés pendant son absence, célèbre des mariages et des cérémonies funèbres... Si l’église a été fermée, le pope continue à être nécessaire aux yeux des masses. »
Selon les chiffres officiels, cités par Yaroslavsky, et reproduits à maintes reprises par la presse soviétique, il existe actuellement en U.R.S.S. 30.000 paroisses légalement reconnues et enregistrées ; chacune de ces paroisses groupe 25 activistes religieux, formant une sorte de confrérie aidant le prêtre à s’occuper des fidèles et à veiller aux intérêts de la paroisse. Il s’agit donc de 750.000 chrétiens militants, travaillant légalement au sein des masses et contribuant largement à développer et à maintenir la vie religieuse[6].
Yaroslavsky reconnaît lui-même que les fidèles qui coopèrent avec le prêtre dans le plan religieux et social demeurent pour la plupart des citoyens soviétiques parfaitement loyaux qui, ayant perdu à la suite de la révolution leur « ancienne base sociale », cherchent à s’appuyer actuellement sur les travailleurs.
« Ce serait une grave erreur de penser, écrit-il, que tous les croyants sont nos ennemis. Il n’en est rien. Ce sont, dans la vaste majorité des cas, des hommes qui nous sont proches aussi bien au point de vue politique que social. Mais là où nous avons cessé notre travail d’instruction culturelle et antireligieuse, les organisations religieuses exercent leur influence. »
Cette influence s’est manifestée avec une singulière vigueur au cours de la campagne électorale. Les prêtres, ayant soigneusement étudié la nouvelle constitution, se sont appliqués à l’expliquer et à la commenter à leurs fidèles, prenant souvent la place des agents électoraux officiels[7] ; c’est ainsi qu’ils ont cherché à défendre, dans des cadres strictement légaux, l’esprit démocratique impliqué dans les textes, mais qui, ainsi que l’on sait, fut systématiquement étouffé par les autorités.
La « comédie plébiscitaire » du 12 décembre mit fin aux espoirs de ceux qui croyaient encore à la réalisation de cet esprit démocratique, prôné par Staline en 1936, mais dont il ne restait plus trace à la fin de 1937. La dernière étape de la campagne électorale, qui se déroula dans une atmosphère de terreur policière, coïncida avec une série d’arrestations d’évêques et de prêtres. Les uns et les autres furent accusés d’espionnage au profit du Japon et de l’Allemagne, d’immoralité et d’autres crimes, que l’on a l’habitude d’imputer en U.R.S.S. à tous ceux qui sont devenus gênants pour le pouvoir, et que Staline n’a pas réussi à mater par les moyens ordinaires d’intimidation. Une violente campagne de presse a été déclenchée contre les « popes fascistes », alliés de Hitler ou vendus au Mikado. Dans une brochure spéciale lancée à cet effet, et intitulée « L’Église et l’Espionnage »[8], le clergé est une fois de plus accusé d’activité contre-révolutionnaire, de velléités d’intervention, de conspirations et de complots. Un chapitre spécial est consacré à l’Église catholique, dont les représentants sont accusés d’être « les alliés de Hitler, de Mussolini, d’Araki et de Trotzky ». Aucune mention n’est faite de la politique de « la main tendue » des communistes de France. Quant aux persécutions subies par les catholiques d’Allemagne, elles sont entièrement passées sous silence. « Le vrai visage du catholicisme, proclame la brochure, est celui d’un complice de tous les bourreaux et de tous les geôliers du monde... » Prêtres catholiques, Rabbins, mollahs musulmans, prédicateurs baptistes, ministres du culte orthodoxe, sont confondus dans la même haine et voués au même opprobre. Si l’on compare cet opuscule à la brochure « conciliante » publiée par Yaroslavsky en 1936, on constate que malgré certaines concessions apparentes, dictées par l’opportunisme, rien n’est changé sur le front de l’athéisme militant.
Une nouvelle vague de persécutions religieuses déferle en ce moment sur l’U.R.S.S. Au mois de mars, le Métropolite Théophane, évêque de Novgorod a été fusillé, et quelques semaines plus tard, une série d’autres prélats, de prêtres, de prédicateurs et de chefs de sectes religieuses ont été arrêtés. Les actes d’accusation, — sabotage, fascisme, trahison — rappellent singulièrement ceux des grands procès de Moscou.
Mais en constatant l’influence croissante de l’Église, les chefs des sans-dieu ont eux-mêmes reconnu leurs défaites ; ils ont de plus été obligés de reconnaître le caractère profondément social et populaire des nouveaux cadres religieux soviétiques. Malgré l’offensive anti-religieuse déclenchée à la veille de Pâques, les églises étaient bondées de fidèles. La presse soviétique continue à se plaindre des baptêmes collectifs célébrés par les popes ambulants, et de l’immense attraction exercée par la religion sur les ouvriers et les paysans. Devant cette invincible poussée spirituelle, la terreur elle-même demeure impuissante.
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Texte établi par la Bibliothèque russe et slave ; déposé sur le site de la Bibliothèque le 3 juin 2011.
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[1] Éditions « Oguize », Moscou 1936.
[2] Voir les pages consacrées à ce témoignage dans « L’Homme 1936 en Russie Soviétique » par Hélène Isvolsky, éd. Desclée de Brouwer.
[3] Pravda, 15 et 28 avril 1937 ; Komsomolskaya Pravda, 2 avril 1937 ; Sozialisticheskoie Zemledelie, 24 avril 1937 ; Outchitelskaia Gazeta (Journal des Instituteurs), 26 et 27 octobre 1937 ; Kommounistitcheskoie Proscestchenie (Instruction Communiste), 8 mai 1937 ; Vetcherniaia Moskwa (Journal du Soir de Moscou), 28 nov. 1937 ; Partiinoie Stroitelstwo, N° 19, octobre.1937 ; Profsoiouznoe Dvijenie (Mouvement Syndical), N° 11, 1937. Voir également les brochures : Ce que le Komsomol exige du Komsomoletz par Ostriakoff, Éditions de « la Jeune Garde », 1937 ; De la propagande anti-religieuse, recueil, Éditions du Parti, 1937 ; Propagande anti-religieuse et problèmes du Komsomol, par Kossareff, Éd. Jeune Garde 1937.
[4] 25 mars 1937.
[5] « Des préjugés religieux et des problèmes de la propagande anti-religieuse », Éd. « Oguize » 1937.
[6] Yaroslavsky estime à un million le nombre de ces activistes. Or, le nombre des sans-dieu est tombé de cinq à deux millions, et Yaroslavsky leur reproche sans cesse leur manque d’activisme et de vigilance.
[7] « Outchitelskaya Gazeta », 21 nov., 1937.
[8] Par Boris Kandidoff, éd. « Oguize », 1937.