LA BIBLIOTHÈQUE RUSSE ET SLAVE

 LITTÉRATURE RUSSE

 

 

Anton Tchekhov

(Чехов Антон Павлович)

1860 – 1904

 

 

 

 

ENNEMIS !

(Враги)

 

 

 

1887

 

 

 

 

 


Traduction de Julie Zagoulaïeff, Les Conteurs russes modernes, Paris, Ollendorff, 1895.

 

 

 

 

 

 

 

Par une sombre soirée de septembre, un peu après neuf heures, le docteur Kirilow, médecin de campagne, vit mourir son fils, André, âgé de six ans. L’enfant avait succombé à une attaque de diphtérie. Juste au moment où la femme du docteur s’écroulait au pied du lit de son enfant mort, s’abandonnant à un premier accès de désespoir maternel, on entendit un violent coup de sonnette dans l’antichambre. Comme la maladie de l’enfant était contagieuse, on avait pris la précaution d’éloigner tous les domestiques. Il n’y avait donc personne pour ouvrir la porte et Kirilow y alla lui-même, tel qu’il était, sans redingote, le gilet déboutonné ; il ne se donna même pas la peine d’essuyer sa figure couverte de sueur et ses mains brûlées par l’acide carbonique. L’antichambre était plongée dans l’obscurité, et, lorsque le visiteur fut entré, le docteur ne put voir de lui qu’une taille moyenne, un cache-nez blanc et une figure ronde excessivement pâle, si pâle que sa blancheur perça un peu l’obscurité de l’antichambre...

— Pourrai-je voir le docteur ? demanda vivement le visiteur.

— C’est moi, répondit Kirilow. Que désirez-vous ?

— Ah, c’est vous qui êtes le docteur ? Enchanté de faire votre connaissance ! fit avec joie le visiteur en se mettant à chercher à tâtons la main de Kirilow, et lorsqu’il l’eut trouvée, il la serra fortement dans les siennes. J’en suis vraiment ravi ! Du reste, nous nous sommes déjà rencontrés... je m’appelle Aboguine... et j’ai eu le plaisir de vous voir l’été dernier chez monsieur Gnoutcheff. Enchanté de vous avoir trouvé à la maison... Je viens vous supplier de m’accompagner sur-le-champ chez moi... Ma femme vient de tomber subitement très malade... Et je suis venu vous chercher en voiture.

La voix et les mouvements du visiteur trahissaient une agitation désordonnée. Il ressemblait à un homme qui aurait été brusquement effrayé par la vue d’un incendie ou d’un chien enragé. Sa respiration était étrangement haletante et l’on sentait dans son discours décousu une grande sincérité, mêlée à une peur presque enfantine. Comme cela arrive toujours aux personnes effrayées, il parlait par petites phrases brèves, nullement liées l’une à l’autre, et débitait force paroles inutiles à ce qui l’amenait.

— J’avais peur de ne pas vous trouver, poursuivait-il. Il me serait impossible de vous dire ce que j’ai souffert pendant le trajet !... Habillez-vous et partons, au nom du ciel... Voici comment les choses se sont passées. Alexandre Paptchinsky, que vous connaissez aussi, est venu tantôt chez moi... D’abord nous avons causé... puis on a servi le thé, lorsque, tout à coup, ma femme pousse un cri, appuie une main sur son cœur et s’affaisse sur le dossier de sa chaise. Nous l’emportons dans sa chambre, nous la déposons sur le lit et... j’essaye successivement de tout... je lui frotte les tempes avec de l’ammoniaque, je l’asperge d’eau... rien n’y fait, elle reste étendue, inerte, comme morte... J’ai bien peur que ce ne soit la rupture d’un anévrisme.

Silencieux, Kirilow l’écoutait. Il avait l’air de ne pas comprendre un mot de ce qu’on lui disait. Ce ne fut qu’un peu plus fard, comme Aboguine se remettait à parler de Paptchinsky, puis du père de sa femme, recommençant de nouveau à chercher à tâtons la main du docteur, que celui-ci secoua la tête et dit lentement d’un ton traînant et apathique :

— Non, excusez-moi, je ne puis vous suivre... Il y a cinq minutes à peine... que je viens de perdre mon fils...

— Est-ce possible ? murmura Aboguine en reculant d’un pas. — Mon Dieu, que je tombe mal ! Décidément, c’est une journée néfaste !... Quelle coïncidence extraordinaire !.. On dirait que c’est un fait exprès...

Il posa une main sur le bouton de la porte et baissa la tête d’un air pensif. Il était évident qu’il hésitait, ne sachant plus s’il devait s’en aller tout simplement ou bien tenter encore de fléchir le docteur.

— Écoutez-moi, dit-il avec feu en saisissant Kirilow par la manche : — je comprends votre position on ne peut mieux ! Et Dieu sait que j’ai honte de vouloir vous emmener en un pareil moment, mais que voulez-vous que je fasse ? Jugez-en vous-même ! Où voulez-vous que j’aille ? Il n’y a que vous dans ces parages, pas d’autre médecin que vous. Au nom du ciel, partons ! Ce n’est pas pour moi-même que je vous implore... Ce n’est pas moi qui suis malade !

Il y eut un silence. Kirilow tourna le dos à Aboguine, parut hésiter un moment et se dirigea enfin à pas lents vers le salon. À en juger par sa démarche machinale et hésitante, par l’air absorbé avec lequel il rajusta soigneusement au salon l’abat-jour d’une lampe non allumée, par le coup d’œil distrait qu’il jeta du côté d’un gros livre ouvert sur une table, il était évident qu’il  n’avait plus, en ce moment, ni désirs, ni projets, que sa pensée était absente et qu’il ne se souvenait même plus qu’il y eût un étranger dans son antichambre. La demi-obscurité et la paix du salon parurent accroître encore son désarroi. Durant le trajet de l’antichambre à son cabinet on eût pu le voir lever la jambe droite plus haut qu’il n’en était besoin, chercher en tâtonnant les chambranles des portes, donner enfin des preuves d’une perplexité bizarre. On eût dit qu’il venait de se trouver transporté brusquement dans un appartement inconnu de lui, ou bien que, pour la première fois de sa vie, il était gris et s’abandonnait avec surprise à cette sensation si nouvelle pour lui. Un des murs de son cabinet,  occupé par une   grande   bibliothèque,  était éclairé par une large raie de lumière ; cette lumière, ainsi qu’une lourde odeur d’acide carbonique et d’éther, arrivaient par la porte entr’ouverte qui menait de la chambre à coucher dans le cabinet. Le docteur se laissa tomber dans un fauteuil devant le bureau ; pendant quelques secondes il  contempla ses livres d’un air tout endormi, puis il se leva et passa dans la chambre à coucher.

Il y régnait une paix profonde, sépulcrale. Chaque objet y parlait d’un orage récent et terrible, suivi de lassitude et de repos. La pièce était très bien éclairée, d’abord par la lumière d’un flambeau qui se dressait sur un tabouret encombré d’une multitude de fioles, de petites boîtes et de petits pots, puis par une lampe posée sur la commode. Sur le lit placé près de la fenêtre était étendu le corps du petit défunt. Ses yeux largement ouverts exprimaient l’étonnement. Et, bien que le corps fût déjà rigide, ces yeux semblaient s’assombrir d’un moment à l’autre et s’enfoncer de plus en plus dans leurs orbites. À genoux devant le lit de son enfant mort, étreignant de ses deux bras le petit corps, la figure cachée dans les plis des draps, la mère s’abîmait dans son désespoir. Bien qu’elle fût aussi immobile que le petit mort, on sentait palpiter la vie et le mouvement dans les lignes de son corps affaissé, de ses bras projetés en avant ! Elle semblait s’appuyer sur ce lit de toutes ses forces, on eût dit que toutes ses facultés étaient tendues vers un seul but qui était de garder cette pose si commode et si reposante qu’elle venait de trouver enfin pour son pauvre corps si horriblement las. Et tout ici paraissait se reposer, tout était comme engourdi, — couvertures, linges, cuvette, l’eau répandue sur le plancher, pinceaux et cuillers éparpillés un peu partout, tout, jusqu’à la bouteille d’eau de chaux, jusqu’à l’air si étouffant et si lourd.

Le docteur s’arrêta auprès de sa femme, mit les mains dans les poches de son pantalon, et, la tête un peu penchée de côté, il fixa son regard sur le corps de son fils. Son visage n’exprimait que de l’indifférence, et, seules, quelques larmes, qui brillaient encore comme des gouttes de rosée dans sa barbe, témoignaient de ses pleurs récents.

L’horreur repoussante que l’on attribue généralement à la mort était totalement absente de cette chambre à coucher. Dans cet engourdissement général des choses, dans la pose de la mère, dans l’indifférence apparente du visage du père, il y avait quelque chose d’attirant, d’émouvant, de touchant, cette espèce de beauté subtile, presque insaisissable, propre au spectacle de la douleur humaine, beauté que les hommes n’apprendront pas encore de sitôt à comprendre et à dépeindre, et que la musique seule sait rendre. Il y avait une certaine beauté dans ce morne silence. Le docteur et sa femme se taisaient, ne pleurant même pas, comme si, en outre du chagrin causé par la perte cruelle qu’ils venaient d’éprouver, ils eussent compris tout ce qu’il y avait de lyrique dans leur position. Et en effet, après avoir vu autrefois disparaître leur jeunesse, il se voyaient maintenant, avec la disparition du petit être, frustrés du droit d’avoir des enfants ! Bien qu’il n’eût guère que quarante-quatre ans, le docteur, avec ses cheveux tout gris, avait l’air d’un vieillard ; sa femme, maladive et tout usée déjà, avait trente-cinq ans. Et leur fils André n’était pas seulement leur unique enfant, mais, encore, il était fatalement le dernier.

Contrairement à sa femme, le docteur avait une de ces natures qui éprouvent un irrésistible besoin de changer continuellement de place en leurs moments de douleur morale. Après avoir passé cinq minutes auprès de sa femme, il ressortit de la chambre à coucher en levant toujours trop haut la jambe droite, et passa dans la petite pièce à côté, dans laquelle il y avait un canapé si grand et si large qu’il prenait la moitié de la pièce ; ensuite il pénétra dans la cuisine. Après avoir rôdé un moment autour du fourneau et du lit de la cuisinière, il se baissa pour franchir le seuil d’une petite porte basse menant dans l’antichambre.

Et, en y rentrant, il revit de nouveau le cache-nez blanc et le visage pâle.

— Enfin ! dit Aboguine en soupirant et en mettant sa main sur la poignée de la porte d’entrée. — Partons, je vous prie !

Le docteur tressaillit, le regarda et se souvint de tout.

— Mais je vous ai déjà dit, il me semble, que je ne puis m’éloigner en ce moment ! dit-il en s’animant un peu. — Voilà qui devient étrange, à la fin !

— Soyez persuadé, docteur, que je ne suis pas de pierre, que je comprends parfaitement votre position... et que je prends part à votre chagrin ! dit Aboguine d’une voix suppliante en portant machinalement la main à son cache-nez. — Mais si j’insiste ainsi, c’est qu’il ne s’agit pas de moi... Je vous dis que ma femme se meurt ! Ah, si vous aviez entendu son cri, si vous aviez vu son visage, vous comprendriez mon insistance ! Et moi qui croyais que vous étiez allé vous habiller ! Mon Dieu ! Songez, docteur, que chaque minute est précieuse ! Partons, je vous en supplie !

— Je ne puis m’éloigner ! dit Kirilow lentement, et il fit déjà un pas dans la direction du salon. Aboguine le suivit et le saisit par la manche.

— Vous avez du chagrin et je le comprends très bien, mais enfin ce n’est pas pour un simple mal de dents ou pour déposer en qualité d’expert, que je vous prie de venir, mais pour sauver la vie d’une créature humaine, poursuivait Aboguine du ton suppliant d’un mendiant. C’est une question d’humanité, cela doit primer toute douleur personnelle ! Oui, ce que je vous demande là, c’est un acte de courage, d’héroïsme même ! Je vous implore au nom de l’amour de l’humanité, entendez-vous !

— C’est une arme à deux tranchants ! répondit Kirilow avec irritation. C’est au nom du même amour de l’humanité que je vous demande de ne pas m’emmener. Et puis, c’est étrange, à la fin ! Je me tiens à peine debout et vous me parlez d’humanité ! Que voulez-vous que cela me fasse ? Je ne suis bon à rien, pour le moment... et je ne vous accompagnerai à aucun prix. Je ne puis, du reste, laisser ma femme toute seule ! Non, non...

Kirilow leva les deux bras en un geste de refus violent et fit quelques pas en arrière.

— Non... il ne faut pas me demander cela ! poursuivit-il d’un air effrayé. Excusez-moi... Je sais que d’après le tome XIII du code je devrais vous suivre et que vous auriez le droit de m’y forcer... Eh bien, usez de votre droit, seulement je vous préviens que je ne suis bon à rien... Je n’ai même pas la force de parler... Excusez-moi...

—Vous avez tout à fait tort, docteur, de me parler sur ce ton ! dit Aboguine en saisissant de nouveau le docteur par la manche. — Je me soucie bien du code ! Je n’ai nullement le droit de violenter votre volonté ! Accompagnez-moi, si vous le voulez, sinon, que Dieu vous pardonne ! Ce n’est pas à votre esprit que je m’adresse, mais à votre cœur seulement. Je vous dis qu’une jeune femme se meurt ! Vous me répondez que vous venez de perdre un fils, — qui donc pourrait, mieux que vous, comprendre ce que je souffre ?

La voix d’Aboguine tremblait d’émotion. Et, dans les sons de cette voix émue, dans ce ton anxieux, il y avait bien plus de persuasion que dans ses paroles en elles-mêmes. Bien qu’il fût absolument sincère, il y avait un contraste bizarre entre ses sentiments et ses paroles trop emphatiques, trop froides, et tout ce qu’il disait semblait blessant ici, pour ce logis visité par la mort et même pour la jeune femme qui se mourait là-bas, au loin. Et il le sentait si bien lui-même, que, craignant de rester incompris, il s’efforçait de rendre sa voix aussi douce, aussi caressante que possible, afin que, si ses paroles sonnaient faux, son ton, du moins, prouvât sa sincérité. Il est généralement connu, du reste, que les plus belles et les spirituelles phrases du monde restent toujours des phrases et ne font de l’impression que sur les indifférents, ne contentant que bien rarement les gens heureux ou malheureux, et c’est pour cela que la plus haute expression de la douleur ou de la joie, — c’est souvent le silence. Aussi, jamais deux amoureux ne se comprennent-ils mieux que lorsqu’ils se taisent et le discours le mieux senti, le plus passionné, prononcé sur une tombe, n’impressionne jamais que les indifférents, tandis que la veuve et les orphelins le trouvent froid et insignifiant.

Kirilow restait debout devant Aboguine sans dire un mot. Lorsque celui-ci eut débité encore quelques lieux communs au sujet de la belle profession de médecin, sur l’abnégation, le sacrifice, et cœtera, le docteur demanda d’un air sombre :

— Est-ce bien loin ?

— Treize ou quatorze verstes. Au surplus, j’ai des chevaux excellents ! Et je vous donne ma parole d’honneur que l’aller et le retour ne vous prendront pas plus d’une heure. Rien qu’une petite heure !

Ces dernières paroles produisirent sur le docteur bien plus d’impression que toutes les belles phrases sur l’humanité ou sur la noble profession de médecin. Il réfléchit un moment et dit avec un soupir :

— C’est bon, je vais vous suivre !

Très vite, d’une démarche déjà ferme, il rentra dans son cabinet, d’où il revint bientôt, ayant passé une redingote. Empressé et joyeux, Aboguine l’aida à passer son pardessus et sortit avec lui de la maison à petits pas pressés, mais en traînant la semelle.

Au dehors, bien qu’il fît nuit, l’obscurité était moins opaque que dans l’antichambre. Toute la personne du docteur, grand et trapu, avec sa longue barbe en pointe et son nez busqué, se profilait nettement, malgré l’obscurité nocturne. Quant à Aboguine, on ne voyait plus seulement que sa pâle figure, mais encore sa grosse tête coiffée d’une toute petite casquette d’étudiant qui ne la recouvrait que très imparfaitement. On ne voyait son cache-nez que par devant, car derrière il disparaissait entièrement sous une chevelure longue et abondante.

— Croyez que je saurai reconnaître votre générosité, balbutiait Aboguine en aidant le docteur à monter dans sa calèche. Vous verrez comme nous arriverons vite. Et maintenant, Lucas, en route et marchons rondement !

Le cocher ne se le fit pas dire deux fois et bientôt on laissa derrière soi les laides bâtisses de l’hôpital de campagne, plongées dans l’obscurité : seul, un point de claire lumière brillait derrière une fenêtre tout au fond de la cour, et trois autres fenêtres au second étage du corps principal pâlissaient un peu dans le noir de la nuit. La calèche s’engagea ensuite dans les ténèbres profondes d’une forêt ; ici l’air humide sentait les champignons et les feuilles des arbres murmuraient doucement ; des corbeaux, réveillés par le bruit des roues, s’agitèrent dans le feuillage et se mirent à pousser des croassements plaintifs et inquiets, comme s’ils savaient que le docteur venait de perdre son fils et que la femme d’Aboguine était malade. Puis les arbres devinrent plus rares, remplacés par des broussailles, et l’on vit apparaître la surface brillante d’un étang, striée par endroits de grandes taches d’ombre, et quelques moments après la calèche roula dans une plaine tout unie. À mesure qu’on s’éloignait les croassements des corbeaux s’affaiblissaient et bientôt on ne les entendit plus.

Presque tout le long du trajet Kirilow et Aboguine gardèrent le silence. Une seule fois pourtant ce dernier soupira et murmura :

— Quelle torture ! Jamais on n’aime plus tendrement les êtres qui vous sont chers que dans les moments où l’on est menacé de les perdre.

Au moment où la calèche s’engagea lentement dans une rivière pour la traverser à gué, Kirilow sortit brusquement de sa torpeur, comme si le clapotement inattendu de l’eau l’eût effrayé.

— Laissez-moi retourner chez moi, je vous prie, dit-il avec angoisse. Je viendrai chez vous plus tard. Et je ne serai pas long, le temps d’expédier seulement l’aide-chirurgien auprès de ma femme, qui est toute seule !

Aboguine ne répondit pas. Maintenant la calèche, se balançant moelleusement sur ses ressorts, traversait les bords sablonneux de la rivière. Puis elle continua à rouler. L’agitation et l’angoisse de Kirilow redoublèrent ; il jeta un regard autour de lui. À la faible lueur des étoiles il vit se dérouler derrière la calèche la route que l’on venait de parcourir et les silhouettes vagues des saules riverains. À droite s’étendait à perte de vue la plaine tout unie, luttant avec l’immensité du ciel ; et tout au bout de l’horizon on voyait de pâles lumières de feux follets s’agiter au-dessus des tourbières. À gauche la route était bordée par des collines embroussaillées et dans le ciel, au-dessus de ces collines, on apercevait un grand croissant rouge, à demi voilé par un léger brouillard et entouré de petits nuages qui avaient l’air de le garder à vue, afin qu’il ne lui vînt pas l’idée de se sauver.

Ce paysage avait quelque chose de morne, de désolé ; comme une femme perdue que l’on aurait enfermée toute seule dans une chambre obscure et qui s’efforcerait de ne pas penser à son passé, la terre, enserrée dans les ténèbres, semblait en peine du printemps et de l’été, attendant avec apathie l’arrivée inévitable de l’hiver. À perte de vue, le paysage avait l’aspect d’un énorme trou noir, froid et si profond que c’était à croire que ni Kirilow, ni Aboguine, ni même le croissant rouge ne s’en échapperaient jamais...

Plus on approchait du terme du voyage, plus Aboguine devenait impatient. Il s’agitait à sa place, se levait et regardait par-dessus l’épaule du cocher. Lorsque enfin la calèche s’arrêta devant un perron artistement tendu et drapé de toile rayée et lorsqu’il aperçut les fenêtres éclairées du second étage de sa maison, il respira bruyamment.

— S’il arrive quelque chose... je n’y survivrai pas, dit-il en entrant avec le docteur dans l’antichambre et en se frottant les mains avec agitation. Mais comme je n’entends aucun bruit, comme tout me semble être en ordre, je suppose que jusqu’à présent tout va bien, ajouta-t-il en tendant l’oreille, comme s’il eût voulu sonder ce calme si parfait qui régnait dans la maison. Nul bruit de voix ni de pas, tout semblait endormi, bien que la maison entière fut éclairée a giorno. Cela permit aux deux hommes, qui ne s’étaient encore aperçus que dans l’obscurité, de se voir clairement. Le docteur était un homme de haute taille, solide et trapu ; sa figure était loin d’être belle et sa mise était négligée. Il y avait quelque chose de déplaisant, de farouche dans ses lèvres, aussi épaisses que celles d’un nègre, dans son nez busqué et dans son regard atone et indifférent. Sa tête à la chevelure mal peignée, ses tempes creuses, les fils prématurément gris qui striaient sa longue barbe en pointe, à travers laquelle on apercevait le menton, la teinte grisâtre de sa peau, ses manières anguleuses et négligentes, tout cela respirait la sécheresse et parlait d’une existence de misère et de privations. Il paraissait également las de la vie et des hommes. À ne considérer que l’aspect de toute sa sèche personne, il était impossible d’admettre que cet homme pût avoir une femme et qu’il fût capable de pleurer un enfant.

Tout autre était l’aspect d’Aboguine. C’était un homme de haute taille, de corpulence assez forte, blond, avec une grosse tête et des traits assez prononcés, quoique doux ; sa mise était fort élégante et à la dernière mode. Dans son maintien, dans sa redingote strictement boutonnée, dans sa longue chevelure en crinière, dans ses traits et sa tournure il y avait un je ne sais quoi de noble, de léonin ; il marchait toujours la tête haute et la poitrine bien bombée, il avait une voix de baryton d’un timbre agréable et ses manières étaient d’une distinction si grande, d’une recherche si subtile qu’elles en étaient même quelque peu efféminées. Et cela était visible dans les moindres choses, soit qu’il retirât son cache-nez, soit qu’il rajustât ses cheveux. Sa pâleur présente et la crainte presque enfantine avec laquelle, tout en se déshabillant, il regardait à la dérobée l’escalier qui menait au second étage, ne lui nuisaient en rien, ne diminuant nullement son aspect d’être bien portant, repu et plein d’aplomb.

— Je ne vois personne et je n’entends aucun bruit, disait-il en montant l’escalier. Pas de désordre. Espérons que tout va bien !

Il fit traverser au docteur un très grand salon au fond duquel on voyait un piano ; au plafond pendait un lustre enveloppé d’une housse blanche. Puis ils entrèrent dans un petit salon fort confortable et joli, où il y avait une lampe sous un abat-jour rouge qui l’éclairait d’une lumière rosée très agréable.

— Attendez-moi ici un instant, docteur, dit Aboguine, — je ne vous demande qu’un moment... un seul moment. Je vais voir ce qui se passe et dire que vous êtes ici.

Kirilow resta seul. Le luxe de ce salon, cette douce pénombre, sa présence insolite dans une maison inconnue, rien de cela ne semblait l’émouvoir. S’étant assis dans un fauteuil, il se mit examiner machinalement ses mains brûlées par l’acide carbonique. Il ne jeta qu’un regard distrait sur l’abat-jour d’un rouge vif et sur l’étui d’un violoncelle, puis, ayant jeté un coup d’œil oblique dans la direction où l’on entendait le tic-tac d’une pendule, il vit dans un coin un loup empaillé, à l’aspect aussi repu et aussi imposant que celui du maître de céans.

Il régnait un calme absolu... Brusquement, on entendit dans une pièce assez éloignée une forte exclamation, un « Ah ! » violent, puis il y eut un bruit de porte vitrée, celle d’une armoire, probablement, — et tout se prolongea dans le silence. Après une attente de cinq minutes à peu près, Kirilow cessa d’examiner ses mains et leva ses yeux sur la porte par laquelle Aboguine avait disparu.

Et alors, sur le seuil de cette porte il vit un Aboguine qui ne ressemblait guère à celui qui était sorti il y avait quelques minutes seulement... Sa distinction et son air de bien-être s’étaient évanouis ; sa figure, ses mains, son corps tout entier se tordaient d’horreur, d’épouvante, de douleur physique intolérables. Son nez, ses lèvres, ses moustaches, tous ses traits, enfin, se tordaient follement ; on eût dit qu’ils voulaient se détacher du visage. Quant à ses yeux, la souffrance intérieure y mettait une expression de rire terrible.

À grands pas pesants il s’avança jusqu’au milieu du salon, fit plier en deux son grand corps, poussa un gémissement et leva ses poings fermés.

— Trompé ! s’écria-t-il. Je suis trompé ! Elle a pris la fuite ! Sa maladie n’était qu’une feinte dans le but de m’éloigner. Pendant que je courais après un médecin, elle se sauvait avec ce bouffon de Paptchinsky ! Mon Dieu !... Mon Dieu !...

Aboguine s’approcha lourdement du docteur en tendant vers lui ses poings blancs et délicats et poursuivit en les brandissant :

— Elle est partie ! Elle m’a trompé ! Mais pourquoi ce mensonge ? Mon Dieu ! À quoi bon cette ruse si vilaine, cette façon d’agir si malpropre, cette diabolique, cette infernale duplicité ? Que lui ai-je fait pour qu’elle m’ait quitté ? Elle m’a quitté, mon Dieu !

Des larmes jaillirent de ses yeux. Il lit une volte-face et se mit à arpenter le salon. En ce moment, avec sa redingote courte, ses pantalons étroits, selon la mode du jour, et qui faisaient paraître les jambes trop grêles en comparaison de tout le corps, avec sa grosse tête et sa crinière, il ressemblait à un lion. Un éclair de curiosité passa dans les yeux mornes du docteur.

Il se leva et regarda Aboguine.

— Eh bien ? dit-il, — où est la malade ?

— La malade ! La malade ! s’écria Aboguine, qui riait et pleurait, tout en brandissant toujours ses poings fermés. Ce n’est pas une femme malade, c’est une créature maudite ! Quelle bassesse ! Quelle lâcheté ! Satan en personne n’aurait, je crois, inventé rien de plus vil ! Elle m’avait renvoyé pour se sauver, et avec qui ? Avec un bouffon, un clown, un être ignoble ! Oh ! mon Dieu, j’aurais préféré qu’elle fût morte ! Je n’aurai sûrement pas la force de supporter cela ! Oh, non, je n’en aurai pas la force !

Le docteur se redressa. Brusquement, il cligna des paupières, ses yeux se remplirent de larmes et sa mâchoire inférieure trembla si fort que sa longue barbe s’agita violemment à droite et à gauche.

— Q’est-ce que cela veut dire ? demanda-t-il en regardant curieusement autour de lui. — Je viens de perdre mon enfant, ma femme au désespoir est restée seule à la maison... je me tiens à peine debout après trois nuits de veilles et qu’est-ce qui arrive finalement ? On m’amène ici pour me faire assister à je ne sais quelle banale comédie dans laquelle on me force de jouer le rôle d’un accessoire quelconque ! Je n’y... n’y comprends rien !

Aboguine desserra un de ses poings, jeta à terre d’un geste violent un chiffon de papier froissé et mit le pied dessus, comme s’il eût voulu écraser un vilain insecte.

— Et je ne voyais rien... je ne comprenais rien ! disait-il, les dents serrées et en brandissant un de ses poings devant ses yeux ; ses traits se contractaient comme si on lui avait marché sur un cor. — Et je ne remarquais même pas que les visites de cet homme étaient quotidiennes ! Et je n’avais pas fait attention à ce qu’il était venu aujourd’hui en voiture fermée ? Pourquoi en voiture fermée ? Je ne voyais rien, non ! Triple sot !

— Non, non... je ne comprends pas ! marmottait le docteur. — Qu’est-ce que ça signifie ? On ne peut tourner ainsi en dérision une créature humaine, se faire un jeu de sa douleur ! C’est vraiment chose impossible... cela ne s’est jamais vu, jamais !

Et, avec l’indicible étonnement d’un homme qui vient de comprendre seulement qu’on l’a gravement outragé, le docteur haussa les épaules, écarta largement les bras, puis, ne sachant plus que dire ni que faire, il se laissa retomber d’un air épuisé dans son fauteuil.

— Admettons qu’elle ne m’aimât plus, qu’elle en aimât un autre, — soit, mais pourquoi cette ruse, cette feinte si lâche et si traîtresse ? disait Aboguine d’un ton larmoyant. Pourquoi ? Que lui avais-je fait ? Oui, que t’ai-je fait, réponds ! Écoutez-moi, docteur, dit-il avec animation en s’approchant de Kirilow. Vous venez d’être le témoin involontaire de mon infortune et je ne chercherai pas à vous déguiser la vérité. Je vous jure que j’aimais cette femme, que je l’adorais avec la dévotion d’un esclave ! Je lui avais tout sacrifié, je m’étais brouillé avec tous les miens ! J’ai abandonné, pour me consacrer à elle, mon poste, j’ai délaissé la musique que j’aime tant, enfin je lui passais tout, je lui passais même des choses que je n’aurais jamais passées ni à ma mère, ni à ma sœur... Jamais je ne l’ai contrariée... enfin, je n’ai rien fait pour que... À quoi bon m’avoir menti ainsi ? Je n’exigeais pas qu’elle m’aimât, mais pourquoi m’a-t-elle trompé si lâchement ? Si elle ne m’aimait pas, elle n’avait qu’à me le dire franchement, honnêtement, d’autant plus qu’elle connaissait mes idées là-dessus...

Les larmes aux yeux, tremblant comme une feuille, Aboguine parlait avec sincérité, mettant son âme à nu devant le docteur. Dans le feu de son discours, il posait souvent la main sur son cœur et dévoilait tous ses secrets conjugaux sans la moindre hésitation, comme s’il eût voulu se décharger d’un poids trop lourd qui lui oppressait la poitrine. S’il avait pu parler ainsi pendant une heure ou deux, s’il avait pu soulager son cœur, cela lui aurait certainement fait grand bien. Qui sait ? Peut-être, si le docteur l’avait patiemment écouté, se serait-il, comme cela arrive souvent, résigné à son malheur sans protester et sans commettre de bévues... Mais il en fut autrement...

Pendant qu’il parlait, la physionomie du docteur, qui se sentait profondément blessé, changeait rapidement d’expression. À l’indifférence et à la surprise succédèrent bientôt le mécontentement, l’indignation et la colère. Les traits de sa figure en devinrent encore plus accusés, plus durs et plus déplaisants. Et comme, en manière de péroraison. Aboguine approchait des yeux du docteur une photographie de jeune femme à la figure assez jolie, mais sèche et dépourvue d’expression comme celle d’une nonne, en lui demandant s’il était admissible que ce visage de femme pût mentir, Kirilow se leva brusquement, ses yeux lancèrent un éclair, et il dit, en affectant d’accentuer grossièrement chacune de ses paroles :

— Pourquoi me dites-vous tout cela ? Je ne veux pas l’entendre ! Je vous dis que je ne le veux pas ! s’écria-t-il en donnant, de son poing crispé, un grand coup sur la table. Qu’ai-je à voir dans vos secrets malpropres, que le diable emporte ! Vous n’avez pas le droit de me débiter toutes ces sornettes ! Ne trouvez-vous donc pas que vous m’avez déjà suffisamment outragé ? Suis-je un laquais, pour qu’on me traite ainsi ? Non, mais dites-le !

Aboguine fit un pas en arrière et fixa sur le docteur un regard tout surpris.

— Pourquoi m’avez-vous amené ici ? poursuivait le docteur, dont la barbe s’agitait désespérément. Si vous vous mariez sottement, vous autres, et si, trop gras et trop repus, vous vous amusez à jouer des mélodrames, en quoi cela me regarde-t-il ? Qu’ai-je de commun avec tous vos romans si bêtes ?

Laissez-moi donc tranquille ! Faites tout ce que vous voudrez, posez pour le bienfaiteur de l’humanité, jouez, si cela vous plaît (et le docteur jeta un coup d’œil oblique dans la direction de l’étui du violoncelle), de la contrebasse ou du trombone, engraissez-vous comme des chapons, mais ne vous jouez pas d’une créature humaine, ne vous permettez pas de la tourner en dérision ! Si vous ne savez pas estimer les hommes, du moins, ne vous occupez pas d’eux.

— Je vous demande bien pardon, mais je ne comprends pas du tout ce que vous voulez dire ! dit Aboguine en rougissant.

— Je veux dire qu’il est lâche et ignoble de se jouer ainsi d’un être humain ! Parce que je ne suis qu’un médecin, et parce que vous vous êtes habitué à ne considérer les médecins et tous les travailleurs en général, dont les personnes ne dégagent aucun parfum délicat, que comme des êtres inférieurs, il ne s’ensuit nullement que vous ayez le droit de faire jouer à un homme qui souffre le rôle d’un comparse de comédie !

— Comment osez-vous me parler ainsi ? demanda Aboguine à voix basse, et sa figure se contracta de nouveau, de colère cette fois.

— Vous feriez mieux de me dire comment, connaissant le malheur qui venait de me frapper, vous avez osé m’amener ici pour écouter vos balivernes ? s’écria le docteur en frappant de nouveau sur la table. Qui vous a donné le droit de vous moquer ainsi du chagrin d’autrui ?

— Vous êtes fou ! s’écria Aboguine. Ce n’est pas généreux de votre part ! Vous voyez que je suis moi-même profondément malheureux, et... et...

— Malheureux ! ricana le docteur avec mépris. Ne touchez pas à ce mot-là, il n’est pas fait pour vous ! Les chenapans qui ont abusé des lettres de change et qui ne trouvent plus de prêteur, se considèrent aussi comme fort malheureux. Le chapon alourdi par sa graisse est malheureux, lui aussi. Vous êtes des hommes sans aucune valeur, voilà tout !

— Mais, monsieur, vous vous oubliez ! s’écria Aboguine d’une voix perçante. Savez-vous ce que vous mériteriez pour oser parler ainsi ?

Aboguine porta avec hâte sa main à la poche de côté de sa redingote, en tira un portefeuille, y prit deux billets de banque et les lança à toute volée sur la table. — Voici le prix de votre visite ! dit-il, les narines dilatées. Vous êtes payé à présent !

— Je vous défends de me proposer de l’argent ! s’écria le docteur en balayant d’un geste les billets, qui tombèrent à terre. Un pareil outrage ne se paye pas avec de l’argent !

Debout en face l’un de l’autre, furieux, Aboguine et le docteur continuaient à s’invectiver, à échanger des injures imméritées. Depuis qu’ils étaient de ce monde, ils n’avaient jamais, pas même en délire, proféré tant de paroles injustes, cruelles et absurdes. C’était l’égoïsme de la douleur qui parlait en eux, car les malheureux sont généralement égoïstes, méchants, injustes, cruels et incapables de se comprendre mutuellement. Loin d’unir les hommes, le malheur les désunit, et même là où la similitude de leur souffrance devrait les rapprocher, on leur voit commettre autant d’injustices et de cruautés les uns envers les autres qu’en commettent des gens satisfaits.

— Donnez l’ordre de me ramener à la maison ! s’écria le docteur, hors d’haleine.

Aboguine sonna violemment. Personne ne venant à son appel, il sonna encore une fois et jeta ensuite avec colère la sonnette, qui, en tombant sur le tapis, exhala un tintement plaintif, presque mourant. Un valet parut enfin.

— Pourquoi ne vient-on pas quand je sonne ? Le diable vous emporte tous ! s’écria Aboguine en crispant les poings. — Où donc étais-tu, toi ? Va dire qu’on fasse avancer la calèche pour monsieur et qu’on attelle pour moi la voiture fermée ! Attends ! cria-t-il encore au moment où le valet s’apprêtait à se retirer. Que je ne revoie pas demain un seul d’entre vous ! Tous des traîtres ! Je vous chasse tous ! Canailles !

En attendant de monter en voiture, Aboguine et le docteur gardèrent le silence. Le premier avait retrouvé son air de contentement et de distinction. Il arpentait le salon en secouant pittoresquement sa tête léonine et il était évident qu’il méditait quelque chose. Sa colère n’était pas encore tombée, mais il feignait de ne pas s’apercevoir de la présence de son ennemi... Quant au docteur, une main appuyée sur le bord de la table, il regardait Aboguine avec ce mépris incommensurable, cynique et déplaisant avec lequel les malheureux et les déshérités contemplent les gens repus et élégants.

Lorsque, un moment après, le docteur monta en calèche et partit, ses yeux gardaient encore cette expression méprisante. L’obscurité était complète, car la nuit était plus noire qu’une heure auparavant. Le croissant rouge était invisible, caché par la colline, et les nuages qui montaient la garde auprès de lui, s’éparpillaient maintenant en taches sombres parmi les étoiles. Une voiture fermée aux lanternes rouges dépassa bientôt la calèche du docteur. Elle renfermait Aboguine, qui s’en allait on ne savait où faire du bruit et commettre un tas de sottises...

Et tout le long du trajet ce ne fut ni à sa femme, ni à son fils que le docteur pensa, mais à Aboguine et à tous les habitants de la maison qu’il venait de quitter.

Et ses pensées étaient d’une injustice criante, d’une cruauté inhumaine. Il condamnait dans son esprit Aboguine, sa femme, Paptchinsky, tous ceux, enfin, qui vivaient dans la pénombre rose, qui sentaient les parfums. Et tout le long du trajet il pensait à eux avec tant de haine et de mépris que tout son être en était endolori.

Le temps effacera la douleur de Kirilow, mais son opinion si injuste, indigne du cœur d’un homme, subsistera, elle, jusqu’à la mort du docteur.

 

 

 

 


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Texte établi par la Bibliothèque russe et slave ; déposé sur le site de la Bibliothèque le 8 décembre 2011.

 

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