LA BIBLIOTHÈQUE RUSSE ET SLAVE

 LITTÉRATURE CROATE

 

 

Ivan Mažuranić

1814 – 1890

 

 

 

 

 

LA MORT DE SMAÏL-AGA TCHENGUITCH

(Smrt Smail-age Čengića)

 

 

 

1846

 

 

 

 

 


Traduction d’Ivan Koriak, parue dans La Revue slave, t. I, 1906.

 

 

 

 


TABLE

AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR : UNE ÉPOPÉE CHRÉTIENNE DES SLAVES DU SUD

CHANT I

CHANT II

CHANT III

CHANT IV

CHANT V

 

 

 

 

 

 

AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR : UNE ÉPOPÉE CHRÉTIENNE DES SLAVES DU SUD

L’épopée dont nous publions ici la traduction intégrale a pour sujet l’une de ces brusques explosions de révolte dans lesquelles les Chrétiens vaincus, tombés en servage et emportés par un insatiable désir de vengeance, se préparent à la mort avant d’entrer dans une lutte inégale avec le Turc oppresseur. L’histoire des Slaves du Sud compte des milliers de ces prises d’armes ; en Macédoine et en Vieille Serbie elles éclatent à chaque printemps ; avec le réveil de la nature, une flamme de liberté envahit les cœurs ; tout à coup une centaine d’hommes, même moins, quelques dizaines d’hommes, le fusil à la main, s’emparent de la montagne et de la forêt pour prévenir la brutalité turque, les massacres et pillages ordinaires et pour se constituer tant qu’ils peuvent lutter, comme les seuls instruments d’intimidation dans un malheureux pays où aucune loi ne réprime les crimes contre les Chrétiens.

En dehors de l’intérêt littéraire que ce poème présente à un très haut degré, il est en quelque sorte, comme toutes les grandes œuvres épiques, comme l’Iliade d’Homère, ou plus exactement comme Taras Boulba de Gogol, un large tableau où une race et son temps sont représentés sous des couleurs sombres, vigoureuses, souvent tragiques, toujours exactes.

L’auteur de ce poème est Ivan Majouranitch, célèbre poète croate de la pléiade illyrienne, qui, avec un grand nombre d’écrivains de talent et de patriotes convaincus, se mit, vers la fin de 1834, à la tête d’un mouvement d’opposition en même temps politique et littéraire, connu sous le nom d’illyrien. Le nom était singulièrement choisi pour désigner une résistance de principe ethnique, au moyen de laquelle les Croates et les Serbes d’Autriche ont combattu — dès le début de la crise autrichienne jusqu’à la révolution de 1848 — les Hongrois qui prétendaient s’affranchir de la centralisation de Vienne et établir dans la Transleithanie la prépondérance de la langue magyare au milieu des Slaves du Sud. Le terme d’illyrien, d’ailleurs fort critiqué à cette époque, fut suggéré par la dénomination administrative française d’Illyrie, la province dans laquelle Napoléon, relevant une tradition historique, voulut englober les nations conquises des Slaves du Sud ; celles-ci après vingt-cinq ans reprirent à leur tour le terme pour s’en servir, dans la lutte de races, comme le symbole de l’Union jugoslave.

Nous donnerons ici un aperçu succint des événements politiques et historiques.

Les idées de la Révolution française pénétrèrent à ce point les nationalités slaves opprimées que même une sorte de Marseillaise croate fut composée et chantée à Agrani en 1833 :

« Allons, enfants ! — dit cette hymne du réveil national — voici le moment de lever haut l’étendard sanglant, et que chacun ceigne son sabre ! En avant frères ! Dieu est avec nous et l’Esprit du mal contre nous... Voyez comme le sauvage Tatar (c’est-à-dire Hongrois) opprime notre nation et notre langue ! mais en avant !... » et le chant continue en phrases belliqueuses.

En 1831, l’effort de ce groupe aboutissait à la création du Journal Illyrien, qui faisait à ses lecteurs l’historique de leur race et s’enthousiasmait sur la grandeur de ce « géant slave dont les possessions s’étendent de l’Adriatique à l’Océan glacial et à la Chine ».

Le poète slovaque Kollar publiait à Prague en 1827 son fameux poème Derera Decra[1] (la Fille de la gloire), où il célébrait les grandeurs futures de la race slave. Ce poème exerça une grande influence sur la renaissance nationale des slaves du Sud. Fait curieux, le réveil des nationalités slaves en Autriche n’est qu’une sorte de répercussion du même mouvement. C’est à Prague qu’un jeune étudiant croate de cette époque, Lioudevid Gaï, songeait, pour la première fois, à une grande union des Slaves du Sud. En revenant à Agram, en effet, il aida puissamment, par son initiative énergique, au mouvement national de son pays à un moment où les Magyars, rejetant enfin la langue officielle de la Hongrie, le latin, imposaient le magyar à la diète, à l’administration, aux registres de paroisses. Il voulait, pour préparer dans l’avenir une union plus effective, réunir dans une même langue littéraire les Slaves de Croatie, de Slavonie, de Hongrie, de Serbie, de Dalmatie et d’Istrie, en un mot détruire les différences que la religion et le séparatisme historique avaient créées entre les descendants d’une même race, parlant sur à peu près tout le territoire la même langue. Il adoptait une orthographe qui se rattachait à celle de Karedjitch, fondateur de la langue nationale serbe. Désormais la différence du serbe et du croate était réduite au point de vue littéraire en une diversité d’alphabets.

Cette union de la langue littéraire serbo-croate, qui à présent est un fait universellement accompli, a suscité au début une grande lutte des deux côtés. D’une part le clergé catholique de Croatie et de Slavonie montrait de la défiance pour l’emploi du dialecte national, plus serbe que croate, craignant que ce ne fût une manœuvre anti-catholique pour ramener les Croates, avec les Serbes, à l’église orthodoxe. Le clergé serbe, de son côté, conservateur des traditions nationales et qui, en 1833, tenait à protester contre la substitution dans la littérature du dialecte « vulgaire » à la langue slaveno-ecclésiastique, incompréhensible au peuple, se voyait, prétendait-il, menacé par des machinations catholiques issues du mouvement illyrien d’Agram. Plusieurs écrivains serbes accusaient en même temps, eux aussi, Lioudevid Gai et les partisans de l’illyrisme de vouloir convertir les Serbes au catholicisme latin. Ainsi le mouvement illyrien, qui n’était qu’un bel élan de la renaissance des Slaves du Sud, se heurtait, au sein même de la nation serbo-croate, aux vieux préjugés monastiques.

Néanmoins, le mouvement illyrien, en dehors de sa forme grammaticale, était si bien fondé sur les aspirations d’une race toute entière, que le nom d’illyrisme devait arriver à synthétiser dans une large formule les revendications nationales des Serbes et des Croates, divisés, opprimés et menacés du côté de l’Autriche par la descente germanique, et du côté de la Hongrie, surtout à cette époque, par l’expansion des magyars.

Quoique paralysé de part et d’autre — l’Autriche le tolérait avec peine — le mouvement illyrien finit par s’imposer.

Tout en réveillant la conscience nationale, les Illyriens à Agram, comme à la même époque les représentants de tous les Slaves réunis à la conférence de Prague, rêvaient la constitution d’une grande Slavie.

Un peu plus tard, en 1838, les Illyriens fondèrent la Tchitaonitza (Salle de lecture), véritable club politique où l’on trouve les journaux de tous les pays slaves et dans le sein duquel, en 1840, se forma un parti politique dont le programme réclamait impérieusement la séparation des trois royaumes de la Couronne de Saint Étienne.

À la même époque survint le pèlerinage des slavophiles russes à Prague et à Agram. Ce voyage, à côté des témoignages de sympathie, apportait aux Slaves du Sud une sorte d’encouragement et d’assurance de la Russie officielle qui, en effet, fut poussée en 1848 par la politique slavophile à une intervention armée. Chaque année les passions allaient en grandissant : les élections de 1842-1843 se préparaient au milieu de haines violentes, le sang coula, le conflit devint de plus en plus aigu, et l’agitation aboutit à l’insurrection de 1848-1849. La réaction qui suivit la Révolution de 1848, on le sait, amena l’étouffement de toute initiative nationale chez les Magyars autant que chez les slaves du Sud, et seule la politique de Vienne profita de cette redoutable crise : leçon à retenir par les patriotes slaves et magyars !

Pendant tout ce temps Ivan Majouranitch, à côté de Lioudevid Gaï et du comte Drachkovitch, qui menaient le mouvement révolutionnaire, tenait une haute place dans les lettres et dans la politique. Après avoir donné quelques poésies à la Danitza, supplément littéraire du Journal Illyrien. il voulut compléter la fameuse œuvre épique du poète ragusien du XVIIe siècle, Djivo Goundoulitch, et les deux chants qu’il écrivit rappellent de la façon la plus frappante la manière du poète. En ce qui concerne la politique, il prit une part active aux événements de 1848 et sa brochure, les Croates aux Magyares, exerça une puissante influence sur les hommes et les choses de ce temps. En 1860, il fut chargé de la haute fonction de ban de Croatie.

Mais c’est la Mort de Smaïl-aga Tchenguitch qui gardera de l’oubli le nom du poète. Cette belle épopée a été traduite dans toutes les langues slaves : en polonais par Kondratowicz, en russe par Petrovsky et par Benedictoff dans une plus récente édition, et en tchèque par Kollar.

 

Ivan Koriak.

 

 

 

CHANT I

Dans son petit château de Stolatz en Herzégovine, l’aga Smaïl Tchenguitch appelle ses serviteurs : « Holà ! holà ! mes serviteurs ! Amenez-moi les montagnards que j’ai fait prisonniers sur les bords de la froide Moratcha. Amenez-moi aussi le vieux Dourak qui m’a conseillé, le misérable, de les laisser en liberté. Car les Vlahs, m’a-t-il dit, sont terribles, et ils se vengeront cruellement sur ma tête de la mort de leurs frères. Comme si le loup farouche, pense-t-il, craignait le rat affamé de la montagne ! »

Les serviteurs s’empressent avec une servile obéissance. Ils amènent les prisonniers qui traînent à leurs pieds des fers lourds et dont les mains sont serrées de menottes. Lorsque le tyran les aperçoit, il fait signe de l’œil à ses bourreaux, tigres farouches, et attribue aux prisonniers les cadeaux turcs. À chacun il destine un pieu aigu, à celui ci une corde, à cet autre un cimeterre tranchant :

« Allons, les Chrétiens, partagez-vous ces cadeaux que le Turc vous a préparés, à vous et à vos montagnes rocheuses. Le même sort attend tous vos frères perdus dans la montagne. »

Le Turc a parlé, mais mourir pour la sainte foi du Christ n’est pas difficile à celui qui se bat pour elle. Les pieux s’allongent à plusieurs reprises, embrochent les corps des raïas ; à plusieurs reprises siffle le cimeterre ; la potence tremble de tous les côtés, mais les jeunes Monténégrins endurent les supplices féroces, le cœur serré, sans laisser sortir le moindre cri, et ils ne grincent même pas des dents. Le sang coule par la plaine et la terre est couverte de cadavres, mais, en expirant, ils sont muets, les braves Monténégrins, on ne les entend même pas grincer des dents. Ils invoquent seulement la justice divine ; l’un appelle le Dieu tout puissant, l’autre clame le beau nom de Jésus, et tous quittent sans lamentation la terre, en guerriers familiers avec la mort dès leur enfance.

Le sang coule à flots dans la plaine ; les Turcs, les yeux largement ouverts, se croisent les bras et s’étonnent devant cette agonie silencieuse ; ceux qui sont jeunes goûtent avec joie les tourments du Chrétien, et les vieux, en éprouvant une crainte obscure, croient déjà sentir d’avance les mêmes tourments de la main du raïa vengeur.

Le farouche aga s’assombrit de se voir obligé d’admirer, lui, le lion fier, le courage avec lequel sait mourir le rat de la montagne. Il n’a pas pu se venger autant qu’il le voulait, même sur les raïas prisonniers. Il les a anéantis de la manière la plus cruelle, mais il n’a pas pu désaltérer son cœur sanglant en les voyant mourir tous sans trembler et sans se plaindre.

Crains celui qui se voue à la mort sans peur et sans hésitation !

L’aga, en voyant un pareil courage, sentit le froid pénétrer jusqu’au fond de son cœur comme le fer aigu de la lance glacée.

Est-ce par pitié que Smaïl-aga s’attriste sur le sort de ces braves guerriers qu’il a fait en vain périr ? Le Turc n’a pas de pitié pour les martyrs chrétiens. Est-ce par crainte pour sa tête devant la vengeance prochaine ? Le puissant aga se le cache à lui-même. Vois comme il détourne tout d’un coup la tête des idées sombres qui l’assaillent et comme il veut se sauver devant un vent glacial qui lui gèle tout le corps. Vois cette tête qui se lève fièrement vers le ciel, ce front serein qui s’est apaisé et cet œil limpide qui jette un éclat intrépide ! Vois cette orgueilleuse stature, consciente de sa force, comme elle se cambre. Et dis-moi si la moindre ombre de peur s’y trahit !

Mais écoutons ce qu’il dit, le brave Smaïl-aga, et quel reproches terribles il jette aux lâches : « Eh ! bien, vieux Dourak, que feras-tu maintenant, où oseras-tu aller à présent que j’ai tué les rats de la montagne qui t’ont tellement fait peur, vieux lâche ? Où iras-tu ? Dans la montagne ? les montagnards y sont. Dans la plaine ? ils descendront dans la plaine, les montagnards ! Où vivras-tu pour ne pas perdre la tête ? Le mieux c’est de s’envoler sous les nuages. Le rat ronge, il est vrai, mais il rampe sous terre ; l’aigle seul vole sous le ciel.. Traînez-le et pendez-le à la potence, et qu’il s’y rappelle, le lâche, ce que vaut de trembler devant les Vlahs. Et qu’Allah me soit témoin, s’il se trouve encore un Turc quelque part qui ait peur du Chrétien, qu’il sera jeté vivant et enchaîné sur les rocs pour servir de proie aux corbeaux affamés ».

Les vils serviteurs se saisissent en silence de leur victime : « Aman ! aman ![2] »  gémit le vieillard. En vain aussi son fils Novitsa s’écrie en larmes : « Aman ! aman ! »

Le cruel aga, ainsi qu’une bête sauvage, ne bouge pas plus qu’une colonne de fer, il est dur comme la pierre. Il fait un signe de la main et le vieux Dourak va expirer. « Médet ! Médet ![3] » s’entend le cri d’agonie. Mais le bourreau serre la gorge de la victime. Dourak râle et crie, rend son dernier soupir, et tout devient silencieux.

 

CHANT II

Le soleil disparaît et la lune se lève. Qui est-ce qui glisse sur les sentiers rocheux ? Qui est-ce qui traverse si prudemment le Monténégro en tâtonnant et sans faire le moindre bruit ? La nuit il marche et il se repose le jour ; brave autrefois, il n’en a plus l’air aujourd’hui ; mais il tremble, peureux, comme le roseau que le moindre souffle du vent fléchit.

Un serpent fait-il quelque bruit en rampant près de la route, ou un lièvre s’enfuit-il d’un buisson, lui, autrefois plus farouche que le serpent, tremble à présent plus qu’un lièvre. Et alors il s’imagine que c’est un loup de la montagne, ou, ce qui est pis, un haïdouk[4] montagnard, et il craint de périr avant de pouvoir réaliser le projet dont son cœur est troublé. Il tient à garder sa tête, il s’en préoccupe autant que si elle était d’or. On voit qu’il ne voudrait point mourir et qu’il y a quelque chose qui le pousse en avant.

Est-ce un haïdouk ou un espion turc, un voleur qui cherche un troupeau à la laine soyeuse ou des bœufs aux cornes sveltes ? Non ce n’est ni un haïdouk ni un espion turc : c’est Novitsa, le kavaze[5] de Tchinguitch, Turc féroce, bourreau du Monténégro que les jeunes et les vieux connaissent.

Il n’aurait pas osé, même si la vila[6] l’avait porté, traverser le Monténégro quand il fait jour.

À son épaule est suspendue une carabine, un yatagan[7] terrible et deux pistolets sont passés à la ceinture, comme des menaces de mort. Sa taille, nid de vipères, se cache sous un strouka[8], de légères sandales pressent ses pieds et, quant au turban, pas la moindre trace sur sa tête. Voilà un Turc qui va sans turban !

On voit qu’il ne voudrait point mourir et qu’il a quelque chose qui le pousse en avant.

Il a traversé avec précaution le Tsoutsé et la belliqueuse Bjelitsa et il s’approche de la rocheuse Tcheklitché, et il descend la montagne et prie Dieu de l’aider à traverser ce dernier bout de chemin, sans être ni vu ni entendu...

On voit qu’il ne voudrait point mourir et qu’il y a quelque chose qui le pousse en avant.

Les coqs chantent pour la seconde fois dans la vallée de Tsetigné et Novitsa est dans cette vallée. Les coqs chantent pour la troisième fois à Tsetigné même et Novitsa est aux portes de la ville.

Il salue alors au nom de Dieu la sentinelle : « Que Dieu nous protège, sentinelle de Tsetigné ! » La sentinelle lui répond du cœur le plus franc : « Dieu te protège, guerrier inconnu ! D’où viens-tu ? de quel pays ? Quelle cause heureuse te presse de si grand matin ? »

Le Turc cauteleux, obligé de ruser, répond prudemment : « Puisque tu m’interroges, je te dirai la vérité. Je suis né sur les bords de la froide Moratcha, au petit village de Toussiné, tout au pied du célèbre mont Dourmitor. Je porte trois peines au fond de mon âme : la première peine que j’ai au cœur est que Tchenguitch a tué les Moratchanes, mes frères ; la seconde peine que j’ai au cœur est que Tchenguitch a tué aussi mon père ; la troisième peine, la plus grande que j’ai au cœur, est que le sanglant Tchenguitch vit encore. Mais, au nom du Tout-Puissant, laisse-moi aller vers ton maître, mon maître et le tien, afin qu’il puisse, lui, guérir mes peines. »

La sentinelle lui répond d’un ton prudent : « Dépose tes armes, guerrier inconnu, et promène ta tête où il te plaît. » Le Turc franchit à peine la porte qu’une dernière étoile disparaît de l’horizon ; c’était celle de l’aga Tchenguitch.

 

CHANT III

Une petite troupe part de Tsétigné. Elle est peu nombreuse, mais brave : à peine cent hommes compte-t-elle, mais ils ont été tous choisis non d’après leur extérieur et leur beauté, mais pour leur courage. Chacun d’eux est prêt à en attaquer non pas dix pour les disperser, mais deux pour les tuer, le sabre à la main. Et tous, ils mourront pour la sainte croix dont ils se signent, pour la sainte croix et la chère liberté. Étrange troupe ! elle n’a pas été assemblée comme d’ordinaire. On n’y a pas entendu, comme ailleurs, crier :

« Allons les héros, aux défilés ! Aux défilés, tous ceux qui se croient héros ! »

Au contraire, semblable à un souffle des esprits célestes, un chuchotement mystérieux s’envole de rocher en rocher ! Chose étrange ! à travers la nuit sombre la froide pierre, dirait-on, s’anime, s’ébranle, et de tous les côtés se lèvent les têtes comme si elles sortaient des gros rochers ; la troupe, assemblée tout d’un coup, rampe, s’avance, le pied ferme ; et dans les veines, semble-t-il, le sang bouillonnant coule comme un fleuve.

On voit ensuite un long fusil qui se projette vers le ciel ; quant à ce que la fidèle strouka cache à sa ceinture, personne ne le verra... Mais la nuit est plus sombre, l’obscurité envahit tout et les guerriers vont d’où le murmure leur est venu.

L’heure est sombre, l’heure calme de la nuit obscure. Un nuage cache les étoiles brillantes la nuit et les stroukas aux armes éclatantes. La troupe s’avance mystérieusement à travers les ténèbres ; en avant est un héros célèbre, et quand on lui adresse la parole, un murmure l’appelle Mirko.

La troupe s’avance, mais où ? En vain le demanderas-tu à cette troupe silencieuse, comme en vain demandera-t-on à l’éclair rapide où il porte le tonnerre qui gronde au-dessus de la montagne.

La troupe s’avance, mais où ? Celui qui est en haut seul le sait. Tout ce qu’on voit c’est qu’il doit être un grand pécheur celui que Dieu veut accabler par une telle force, comme d’une vengeance de la justice éternelle.

La troupe s’avance, calme et mystérieuse, au milieu des ténèbres silencieuses ; personne ne murmure, sur cent voix aucune ne se fait entendre.

De même que le nuage qui cache dans son flanc le fléau terrible de la grêle, et qui, en silence, menace de détruire la contrée sur laquelle il tournoie, ainsi la troupe, enveloppée d’une obscurité impénétrable, et semblable à la main céleste, s’avance lentement et en silence. Que les coupables tremblent ; si le tonnerre n’éclate point de suite sur leurs atrocités, qu’ils ne se croient pas en sécurité pour cela, car plus la foudre tarde, plus elle frappe fortement.

Le fer brillant ne résonne pas, ni les luisants tokas[9] ne cliquètent sur les poitrines, tellement la démarche de la troupe est légère. Mais comme s’ils reconnaissaient les sandales de leurs braves enfants, les durs rochers semblent se prêter le plus favorablement qu’ils peuvent aux pas lestes qui traversent la montagne.

Ils marchent ensemble, l’un à côté de l’autre, comme des amis fidèles, résolus, serrés et inséparables, comme des étoiles jumelles quand le rayon du soleil s’éteint.

Ils ont depuis longtemps laissé derrière eux Komliani, Zagaratch et Biélopavlitch, et, traversant les Rovtse, au-delà des Rovtse, la troupe nocturne, juste au point du jour, est descendue sur les bords de la célèbre Moratcha, qui a donné son nom aux pays d’alentour.

La vaillante troupe fait halte toute la journée sur les bords de la Moratcha. L’un s’étend sur l’herbe mouillée de rosée afin de réparer ses forces par le sommeil ; un autre examine la pierre à feu de son fusil et compte les cartouches homicides, ou aiguise le tranchant de son sabre fidèle ; un troisième, faisant jaillir l’étincelle de la pierre, la dirige sur les feuilles sèches qu’il recouvre de branches et souffle sur le petit feu qui prend ; les guerriers viennent s’asseoir autour du feu qui brille, et, voici qu’on fait rôtir joyeusement à un tournebroche de noisetier un quart de mouton, ou bien on exhume de son sac un fromage blanc. Ont-ils soif ? La Moratcha est tout près. Leur faut-il des coupes ? Ils ont leurs deux mains.

L’aube commence déjà à rougir le ciel ; dans la montagne voisine on entend le berger appeler son troupeau qui s’avance aux sons de la clochette du mouton conducteur.

Mais, voyez, voici un autre berger qui s’avance d’une allure solennelle vers son troupeau. Il n’est couvert d’aucun vêtement d’or ni d’argent ; une soutane noire et la piété sont tous ses ornements. Il n’est pas accompagné d’une suite brillante, ni de cierges allumés sur des chandeliers d’or, ni du son des cloches ; mais par le soleil levant et la clochette sonore qui résonne, là bas, dans la montagne, au cou du bélier.

Son église est la splendide étendue du ciel ; le saint autel, ce sont les montagnes et la plaine ; l’encens dans sa vaste église, c’est la lumière et c’est la senteur qui monte au ciel des fleurs et du sang versé pour la croix et la sainte patrie.

Lorsque ce digne serviteur d’un digne maître s’approche de la troupe, il la salue au nom de Dieu. Puis, assemblant autour de lui les braves, il monte sur un froid rocher. Le rocher est froid, mais le cœur du bon vieillard est chaud, et il adresse la parole à la vaillante troupe :

« Mes enfants, braves défenseurs de la liberté ! Cette terre vous a enfantés, elle est de pierre, oui, mais pour vous elle est d’or. Vos ancêtres sont nés ici, vos pères sont nés ici, vous-mêmes, vous êtes nés ici, et pour vous il n’y a pas de terre meilleure au monde !... Pour elle vos ancêtres ont versé leur sang, pour elle vos pères ont versé leur sang, pour elle vous verserez aussi votre sang, et il n’y a pas pour vous de plus chère terre au monde. Elle est de pierre, votre terre, mais l’aigle bâtit son nid sur les rochers, quand dans la vallée la liberté n’est plus !

« Vous, qui êtes habitués à vivre une vie dure et simple au milieu des montagnes, que vous importe si vos rochers ne produisent pas de vin ? que vous importe si vos rochers ne produisent pas de froment ? que vous importe si vos rochers ne produisent pas de soie ? tant que dans la fontaine il y aura de l’eau fraîche, tant que les grands bœufs erreront par les routes rocheuses, tant que les petits troupeaux bêleront dans la montagne ?

« Vous avez de la poudre, du plomb ; votre bras est fort, votre œil est clair comme celui du faucon, dans votre poitrine bat un cœur ardent ; votre foi est forte et rien ne vous détournera d’elle ; vous vous aimez bien entre vous, la femme fidèle a embrassé son mari. Vous faut-il des armes ? le Turc en a assez. Voilà tout ce que votre cœur désire.

« Mais ce qui par dessus tout orne ces rochers, c’est la croix sainte qui s’élève au-dessus de la montagne ; c’est elle qui nous réconforte dans le malheur ; elle est miséricordieuse et c’est par elle que le Ciel vous protège.

« Ah ! que les autres peuples, qui habitent la vallée, aperçoivent cette croix glorieuse, à jamais invincible, élevée vers le ciel du haut du Lovtchen ; qu’ils sachent que le monstre turc, dans sa rage de la détruire, s’usera en vain les dents contre ces rochers et se croisera à la fin les bras, plein de rage ; et tandis que vous endurez la souffrance pour la croix, qu’ils ne vous nomment pas des barbares, vous qui mourrez pendant qu’ils dorment !

« Vous êtes prêts à mourir pour la sainte croix ; pour elle à présent vous allez mourir, braves instruments de la vengeance céleste. Mais n’oubliez pas que celui qui s’est décidé à servir fidèlement Dieu, doit le servir avec un cœur pur ; c’est avec une âme pure qu’il doit se prêter à exécuter ce que Dieu décrète au ciel.

« Or celui d’entre vous qui a offensé un frère, ou a tué un faible adversaire ; celui qui a fermé sa porte au voyageur ou a faussé la parole donnée ; celui qui a refusé un morceau de pain à l’homme qui avait faim, ou n’a pas pansé sa blessure ; chacun de ceux-là a péché et doit se hâter de laver la faute, car il n’y a pas d’absolution sans repentir.

« Repentez-vous pendant qu’il en est temps encore, mes enfants ; repentez-vous pendant que votre âme n’est pas encore rappelée vers Celui qui fait trembler le ciel ; repentez-vous, car le cours de la vie fuit rapide, repentez-vous : l’aurore de demain verra beaucoup d’entre vous marchant sur le chemin d’où l’on ne revient jamais. »

Mais dans sa gorge meurt la parole du bon vieillard et sur sa barbe blanche une larme luit au soleil comme une petite perle fine. Peut-être un amer souvenir de ses jeunes années lui revient avec quelque remords, et, à présent, pendant qu’il apaise les souffrances d’autrui, il se remémore sa propre douleur d’autrefois. Bon pasteur, car il confirme par ses actes ce qu’il recommande aux autres.

La foule reste émue des douces paroles du bon vieillard : on dirait qu’ils sont devenus de paisibles agneaux les lions de tout-à-l’heure : la parole de Dieu a fait ce miracle.

Mais qui apparaît aux yeux de la troupe calme et fait que cent bras, en un clin d’œil, saisissent cent couteaux ? Chose étrange ! cent cœurs se détournent du ciel et cent volontés unies dans une seule pensée se désunissent ! C’est Novitsa, le bourreau maudit, c’est Novitsa, sans la moindre crainte, qui s’avance vers la troupe pieuse ; s’approchant du vieillard il dit à haute voix et librement :

« Au nom de Dieu, braves Monténégrins ! Je suis Novitsa, mais non celui d’autrefois, car je ne veux plus marcher contre vous, mais, au contraire, avec vous pour laver mes mains dans le sang turc. Le Turc m’a pris tout ce que j’avais au monde, il ne me reste à présent que mon bras et je l’offre désormais, ce bras, aux Monténégrins. Parmi les Turcs on m’a laissé grandir sans être baptisé ; voulez-vous me baptiser, je le désire. Vite, car le temps nous presse d’en finir ! »

À ces paroles cent bras laissent tomber les armes et cent yeux voient à travers la rosée, au lieu du soleil, l’arc-en-ciel reluire.

Le bon vieillard puise dans sa main de l’eau de la Moratcha : « Crois, mon fils, au père céleste, à son Fils éternel et au Saint-Esprit miséricordieux. Aie la foi, et la foi te sauvera ! » Il dit et verse l’eau sur la tête de l’infidèle farouche ayant pour témoins les hautes montagnes et la brave troupe des montagnards.

Puis le vieillard lève ses doux yeux et ses mains blanches vers le ciel et donne l’absolution à la troupe pieuse. Il lui distribue ensuite la communion : à chacun il partage un petit morceau du pain divin et une goutte du vin céleste et mystérieux. Le soleil brillant voit ce spectacle admirable d’un faible vieillard fortifiant les faibles hommes et restaurant dans leurs âmes la force de Dieu.

Lorsque le vieillard leur a remonté le courage et la foi, les montagnards, pleins du puissant et divin souffle, s’embrassèrent les uns les autres.

Le soleil disparaît au couchant derrière les montagnes, le vieillard s’éloigne et la troupe continue son chemin.

 

CHANT IV

Plaine de Gatsko, que tu serais belle si la faim et la misère ne pesaient sur toi ! Mais aujourd’hui, outre la faim qui sévit tout autour de toi, les troupes des Turcs sanguinaires t’oppriment et tu es accablée de tentes blanches, de chevaux de batailles et de chaînes lourdes !

Que cherchent-t-elles ici, ces nombreuses troupes turques ? pourquoi ces tentes blanches ? ces chevaux de bataille ? ces armes brillantes et ces chaînes lourdes ? C’est le farouche Smaïl-aga qui vient prélever le haratch[10] sur Gatsko et les environs. Au milieu de la plaine il a campé ses troupes et a envoyé dans toutes les cités les terribles « haratchliés[11] ». Ils demandent par tête un sequin jaune, par maison un mouton engraissé et une jeune fille pour chaque nuit.

Du levant arrivent les haratchliés, ils amènent les raïas nus attachés aux queues de leurs chevaux ; du couchant arrivent les haratchliés, ils amènent les raïas nus ; du nord et du midi arrivent les dragons terribles, ils amènent les raïas nus, toujours attachés aux queues de leurs chevaux. Les pauvres raïas, les mains liées derrière le dos, suivent les pas des chevaux, traînés court par une corde derrière les bêtes agitées. Dieu tout puissant ! quelle faute les raïas ont-ils commise ? En quoi sont-ils coupables ? — Leur faute est-elle de vivre et de ne pas posséder ce que les Turcs exigent, de l’or jaune et du pain blanc ?

Pendant ce temps l’aga Smaïl Tchinguitch fait cabrer son cheval, çà et là, devant sa tente, et exerce son bras et son œil perçant en jetant une lance dans l’air : ou bien il propose la course et son cheval vole et laisse derrière lui tous les autres. Brave guerrier mais combien inhumain !

Lorsqu’il voit la foule des raïas captifs qu’amènent les haratchliés terribles, il se précipite comme une flèche sur son cheval gris et, dans sa course, rien que pour essayer la justesse de son œil, il saisit une lance aiguë et la darde contre le premier Vlah venu.

Mais il arrive quelquefois que le bras du meilleur tireur manque son but : un fatal hasard a voulu cette fois que son cheval rapide bronche ; sa lance, en sifflant dans l’air, prend une fausse direction, frappe au vol le loup au lieu d’un agneau, et enlève un œil à Sefer qui conduit les raïas capturés. L’œil jaillit sur l’herbe verte, le sang couvre la tête du turc qui gémit comme un serpent. L’aga s’emporte et brûle de colère. Honte pour un pareil héros de vouloir et de ne pas pouvoir prélever le haratch ; de lancer sa lance sans atteindre le but ; d’aveugler le Turc au lieu du raïa qu’il a visé. Il est honteux de donner aux Chrétiens l’occasion de le railler. L’aga devient tout rouge de colère. Dieu ! quel malheur se prépare ! Car les Chrétiens auront toujours tort.

« Mouïo, Hassan, Omer, Yachar ! Holà, chiens, faites caracoler vos chevaux dans la plaine pour voir comment ils courent, les Chrétiens ! »

Les serviteurs dociles s’empressent d’obéir. Les chevaux se mettent en mouvement ; les cavaliers crient et excitent leurs chevaux, les chevaux courent à plein galop sous leurs maîtres et les raïas gémissent derrière les chevaux. Au début le raïa, hirondelle, semble-t-il, devance les chevaux ; un moment après on ne peut plus distinguer qui est plus rapide, le raïa ou le cheval, plus tard le cheval avance de plus en plus, le raïa marche à peine, et enfin, le pauvre raïa tombe à terre et le cheval emporté le traîne dans la poussière et dans la boue, comme le cadavre d’Hector sous les murs de Troie, le jour où les dieux abandonnèrent cette ville.

L’aga est debout avec les autres Turcs, ce triste spectacle divertit ces gens farouches dont le cœur se réjouit des tortures chrétiennes. Ils éclatent de rire en voyant les raïas rouler par la terre noire. C’est de ce rire que le démon rit dans l’enfer quand le pécheur se débat au sein des tourmente éternels !

Les Turcs farouches ne se fatiguent pas, mais les chevaux ne peuvent plus traîner dans la plaine les corps alourdis des raïas, ils sont épuisés et s’arrêtent.

Alors l’aga s’écrie : « Assez ! les raïas crèvent, nous perdrons le haratch s’ils meurent. Faites en sorte que les raïas reviennent à la vie ; ressuscitez-les afin qu’ils nous donnent le haratch. »

Les serviteurs cruels de ce plus cruel maître saisissent les fouets à triple lanière, sautent à bas de leurs chevaux et frappent à toute volée sur les raïas à demi-morts.

Les fouets sifflent dans l’air et de leurs triples dents rongent le corps des martyrs. Le sang jaillit des longues marques que le bras adroit du Turc s’amuse à tracer sur les corps tout bleus, jusqu’à ce que la victime meure sous les coups du fouet serpentin.

« Allons, raïas, levez-vous, chiens de Chrétiens !

Des lèvres du Turc ce cri se répand dans la plaine. Ceux qui sont un peu plus forts rassemblent, sous les coups du fouet, leurs forces dernières et s’appuient, accroupis par terre, sur leurs jambes brisées. Ceux qui sont moins forts entendent comme à travers le rêve éternel ce cri maudit, ils sentent qu’ils vivent encore et que l’âme, à moitié partie, leur revient ; ils ouvrent les yeux, et rampent dans la plaine verte, s’appuyant sur les coudes et les genoux. Voilà la preuve cruelle qu’un jour la trompette céleste pourra réveiller les morts au jugement dernier, puisque ce fouet a produit le même effet ici-bas !

Quand les pauvres raïas, couverts de sang, arrivent devant les tentes, l’aga furieux, monstre cruel, s’écrie : « Haratch, raïa, haratch ! hurle-t-il, haratch, haratch ! ou un malheur plus grand t’attend. »

Le Créateur céleste a donné aux oiseaux le ciel, la campagne et la forêt pour abriter leurs nids ; aux poissons l’eau et la profondeur des mers, une vaste demeure azurée où ils peuvent se mouvoir à leur aise ; aux bêtes les vallées et les montagnes. Au pauvre raïa qu’a-t-il donné ? même pas le pain quotidien, même pas un morceau tout sec que le raïa arroserait de ses larmes. Mais que dis-je ? il lui a donné un beau et fertile pays, seulement le Turc insatiable vient tout lui arracher.

Haratch ! haratch !!! Où les raïas trouveront-ils le haratch ? Où trouveront-ils de l’or quand ils sont sans asile pour abriter leur tête ? Où trouveront-ils de l’or quand ils ne possèdent pas de terre à eux, mais qu’ils labourent celle des Turcs qui la leur ont prise ? Où trouveront-ils de l’or quand ils n’ont pas de pain ni de vêtement ?

— Nous avons faim, nous sommes nus, seigneur, mais donne nous le temps, cinq, six jours ; nous irons mendier par le monde le haratch que tu nous demandes.

— Haratch ! haratch ! il faut donner le haratch, tout de suite !...

— Du pain ! du pain ! seigneur ! il y a si longtemps que nous n’avons pas vu du pain !

— Attendez, Chrétiens, ce soir, quand la nuit tombera du ciel, vous aurez même de la viande. Mais en attendant, holà, mes serviteurs, les raïas sont pieds nus, ferrez-les.

Il dit, le furieux Smaïl-aga, et se retire dans sa tente. Les serviteurs habiles se mettent au travail et ferrent les raïas, mais c’est Sefer qui se distingue entre tous par sa dextérité et par son zèle ; il a à venger, à la grande joie des Turcs farouches, l’œil qu’il vient de perdre. Les fers sonnent en tremblant aux pieds des raïas, et Sefer crie d’une voix rauque comme une bête féroce :

— Haratch ! haratch ! raïas, il faut donner le haratch...

— Du pain ! du pain, seigneur ! il y a longtemps que nous n’avons pas vu du pain !

— Attendez, Chrétiens, un moment ; quand la nuit tombera du ciel, vous aurez même de la viande ! — redit la phrase cruelle du furieux Tchenguitch.

Mais qui pourrait décrire les horribles souffrances des raïas miséreux ? Qui pourrait au monde écouter d’un cœur calme le cruel récit de ces atrocités ! Qui ? Le jour disparaît, voici le crépuscule et la nuit calme tombe. Le ciel est piqué de milliers d’étoiles, et la lune se lève et s’allume comme un cierge funèbre au dessus d’une scène macabre.

Au milieu de la plaine vide et paisible un très vieux tilleul élargit ses lourdes branches ; autour de lui sont des tentes, et parmi elles la plus grande et la plus belle est celle de Smaïl-aga, qui dépasse toutes les autres comme le cygne blanc s’élève au dessus des pigeons.

Les tentes blanches blanchissent au clair de la lune et ressemblent à de grands tombeaux sous la neige, autour desquels vers l’heure calme de minuit, les esprits mauvais rôdent et épouvantent les voyageurs nocturnes.

On dirait que ce sont les tombeaux des ancêtres slaves dont le nom glorieux a été célèbre, au loin, et à présent autour desquels jour et nuit, le Turc farouche s’ingénie à chercher les moyens de toute sorte pour disperser par l’épouvante leurs malheureux enfants. Il nous semble tantôt que c’est le rugissement du lion qui retentit, tantôt que c’est l’aboiement des chiens, et, entendez-vous, c’est, peut-être, le gémissement des martyrs, plaintes et soupirs désespérés, le bruit des chaînes que les esclaves traînent aux pieds, suivis de lamentations. Écoute, frère, ce gémissement n’est-il pas, lui aussi, imaginaire ? le cliquetis des chaînes lourdes n’est-il pas une hallucination ? Écoute... écoute... Oh ! non, tout cela, c’est cruellement réel, on le voit, parce que cela te fait mal... Oui, c’est la triste vérité, car tu pleures, frère !

Devant les tentes brille le feu ; autour de lui vont et viennent les Turcs, l’un apporte et entasse du bois sur les flammes ; l’autre, gonflant ses joues, souffle afin que le feu prenne mieux ; un troisième est assis les jambes croisées, auprès de lui un mouton embroché tourne au-dessus du feu, la flamme rampe autour de lui, la sueur brille sur la figure du Turc et tombe de dessous le turban.

Lorsque le mouton est bien rôti, les Turcs le retirent de la longue broche, le placent sur un plateau de cuivre et commencent à le découper de tous les côtés à l’aide d’un grand couteau.

Ils s’asseyent tous par terre, affamés comme des loups, et arrachent la viande avec leurs ongles. C’est Smaïl-aga qui se sert le premier ; après lui Baouk, et ensuite les autres Turcs assaillent le mouton tous ensemble comme une bande de loups. Ils arrosent le gras rôti avec de l’eau de vie que chacun tient sur son genou dans une gourde. On mange de la viande et du pain blanc et les âmes féroces s’embrasent du feu de l’eau de vie.

Lorsque l’aga a apaisé sa faim et chargé par l’eau-de-vie d’une nouvelle dose de fureur son âme féroce, sa colère grandit : honte à un pareil héros de vouloir prélever le haratch et de ne pas y réussir, de lancer sa lance sans atteindre le but, d’aveugler un Turc au lieu d’un raïa ! honte de donner aux Chrétiens l’occasion de rire méchamment de lui !

L’aga flamboie de fureur et dit à ses serviteurs : « Assez de viande de mouton, préparez-moi autre chose, saisissez vous des raïas affamés et que tout soit prêt pour en faire un nouveau rôti au moment où je vous appellerai. »

Il clame de toute sa voix et disparaît sous la tente.

Les serviteurs cessent de manger et se mettent de suite à préparer la fête : ils apportent des cordes solides pour pendre les raïas aux branches du tilleul, les pieds en haut, la tête en bas sous laquelle on brûlera de la paille. Les malheureux raïas s’épouvantent, mais que peuvent-ils faire ?.. La terre est trop dure et le ciel est trop haut. Ils regardent ces apprêts horribles, le cœur glacé, mais l’œil sec.

Les serviteurs s’empressent et s’impatientent, tant ils désirent voir ce spectacle. Le Sefer borgne se hâte plus que tous les autres.

En ce moment, l’aga Smaïl Tchenguitch, assis sous sa tente, s’écrie : « Allons, enfants, montez les Chrétiens sur les branches du tilleul ! » Il hurle sans bouger de sa place. À côté de lui ont pris place le voïévode Baouk, Moustafa, son compagnon fidèle et les autres Turcs les plus distingués.

Partout sur le sol sont étendus de jolis tapis, sur lesquels les luxueux coussins invitent le corps à la volupté et au doux sommeil. Dans un coin sur un petit foyer crépite le feu des branches qu’on vient de couper ; quelquefois la flamme baisse et le feu s’éteint, et alors il chante semble-t-il, en pleurant et pleure en chantant. Au milieu, à un poteau qui soutient la tente blanche, les armes brillantes et terribles sont suspendues : les fusils et les cartouches, les sabres recourbés de Damas, trempés cent fois dans le sang chrétien, huit yatagans, de nombreux poignards, des pistolets et un long fusil, ciselé en or.

Mais quel est cet objet suspendu à côté de la masse d’armes ? Chose étrange et qu’on n’a jamais vue : un agneau, dirait-on, près d’un loup sanglant ! C’est une gouslé[12] que tu vois, frère, mais ne crains pas que la masse d’armes la brise.

Au dehors le ciel est couvert de sombres nuages qui cachent les étoiles brillantes, et la lune cornue s’avance semblable au mouton conducteur devant le troupeau. La nuit est sombre et calme, on n’entend que la pluie fine qui tombe, comme si le ciel pleurait. Les ténèbres et l’obscurité envahissent la plaine et la montagne ; on ne voit plus son doigt devant les yeux. Malheur à celui que cette nuit sombre a trouvé en route et sans asile !

Les vents courent à travers le ciel et les éclairs sillonnent l’atmosphère de leur feu céleste ; ils éblouissent les yeux au milieu de l’obscurité épaisse par l’éclat subit de leur lumière. C’est le tonnerre qu’on entend ensuite gronder, d’abord, au loin ; puis plus près, plus fort, plus terrible, le grondement se déchaîne et se répercute par le ciel, les montagnes et la plaine, la grêle commence à tomber. Malheur à celui que cette nuit noire a trouvé en route et sans asile !

Mais en tournant le dos au vent, quand l’éclair vient fendre le ciel, on aperçoit dans la vallée une troupe d’hommes en marche. C’est en vain que la nuit les sépare, ils marchent de concert. Les vilas[13] slaves ne craignent aucune arme, et sache, frère, que là où l’on ne voit pas de gouslé, le chant ne fleurit pas non plus.

L’éclair leur montre par moment leur chemin, et la nuit, de nouveau, les engloutit, mais ils s’avancent d’une allure légère dans l’obscurité et s’approchent des tentes turques. La nuit est noire, ils voudraient bien un asile, mais ils se hâtent de marcher dans les ténèbres.

De nouveau le feu céleste fend le ciel. La troupe nocturne se rapproche de plus près, on peut distinguer leur chef à la clarté de l’éclair. On voit à côté du chef un autre homme qui doit être le guide fidèle, car d’un pas sûr il montre à la troupe le chemin à travers les ombres. Vois, frère, comme il marche légèrement, on dirait qu’il nage dans l’obscurité. Il y a quelque chose, semble-t-il qui le pousse en avant pendant que deux cents pieds suivent ses pas.

Mais l’éclair qui vient de briller montre derrière les tentes turques la troupe nocturne rangée en ordre de trois côtés : elle reste, immobile comme la foudre qui va frapper tout d’un coup, ou la lave brûlante, qui, du haut de la montagne en feu, roulera dans les vallées.

La troupe est immobile, et écoute les voix de tous côtés afin de découvrir l’endroit où le maître dort. Mais on n’entend que la voix de Sefer qui, avec ses compagnons, se réjouit d’avance des tortures des raïas.

L’aga est assis sous sa tente, prenant tour à tour son café ou sa pipe. Sous son turban son front s’assombrit, ses yeux flamboyants se voilent d’une souffrance secrète. Il garde un silence impénétrable et roule dans sa tête toutes sortes de pensées : il pense à son sabre, aux belles femmes, à la chasse, à son faucon, à l’or et aux combats, aux pieux musulmans et aux Monténégrins ; tout d’un coup sa pensée s’arrête sur la lance dont il a aveuglé un Turc. Alors il devient furieux. Honte à un héros pareil de vouloir prélever le haratch et de ne pas y réussir, de lancer sa lance sans atteindre le but, d’aveugler un Turc au lieu d’un raïa ! Les Chrétiens doivent en rire méchamment. L’aga s’enflamme de colère, mais, en voyant la gouslé suspendue au poteau parmi les armes brillantes, sa fureur s’apaise un instant et son sang bouillonnant se refroidit : un désir d’harmonie l’envahit. De même qu’auparavant il ne voulait que du sang, à présent il désire des chants héroïques.

Alors l’aga Smaïl Tchenguitch dit à Baouk :

« Ô Baouk, digne voïévoda, on te loue comme un vaillant homme ; mais si les rats de la montagne nous attaquent en ce moment, dis-moi, Baouk, combien de rats tueras-tu, à toi seul ? »

— J’en tuerai le sixième, maître.

— Chien et lâche que tu es, Baouk, je te croyais beaucoup plus brave... Si vingt montagnards nous attaquent, je jure sur ma noble foi musulmane qu’à moi tout seul je leur couperai à tous la tête. Mais, voilà, je deviens triste pour avoir trop fumé et réfléchi. La nuit, qui est si sombre, nous empêche de nous amuser à griller les Chrétiens pendus en brûlant de la paille sous leurs têtes angoissées. Que faire ? Tu es un bon chanteur, paraît-il, prends la gouslé, je veux des chants héroïques : chante-les moi donc afin que mon désir se passe. »

Baouk se lève, prend la gouslé, s’assied en repliant les jambes et pose sur un coussin moelleux l’instrument sonore. Puis il promène l’archet sur les cordes en les remontant jusqu’à ce qu’il obtienne la note qui s’accorde à sa voix. Le chanteur rusé se mit à chanter :

« Dieu ! quel illustre héros est le puissant Bizvan-aga ! En toute chose il a été le plus fort : au sabre et à la lance, au fusil et au poignard, au poing et à cheval. Un jour le brave Rizvan-aga est descendu dans la plaine de Kossovo[14] pour prélever le haratch. Un sequin jaune est demandé par tête, à chaque foyer un mouton et une jeune fille pour chaque nuit.

« L’aga prélève le haratch, le raïa entêté donne et ne donne pas : là où il faut donner un sequin jaune, on ne trouve même pas une pièce de cuivre : là où l’on doit livrer un mouton gras par chaque foyer on arrache à peine une pauvre bête dont les côtes peuvent se compter ; là où il faut donner pour la nuit une jeune fille, on ne lui envoie pas même la plus laide vieille femme.

« L’aga jette en prison les raïas entêtés puis il les fait sortir, les place sur plusieurs rangs et se met à sauter à cheval par dessus. Les premiers dix rangs il vient de les sauter à cheval, il saute à cheval par-dessus dix autres, et quand vient le tour des dix derniers, son cheval blanc se cabre et caracole et au moment de sauter la sangle de la selle se casse, et le puissant aga est renversé sur l’herbe. »

« Quelque temps après on chuchote cette histoire de bouche en bouche dans toute la plaine de Kossovo et le bruit s’en répand dans tous les environs : plus la nouvelle circule, plus elle grossit et le raïa s’en tord de rire aux alentours. Enfin un chanteur s’approprie le conte et commence à le chanter sur la gouslé, et encore aujourd’hui l’aveugle gouslar[15] le chante tout autour de Kossovo.

Pendant que cette fatale chanson se développe mot par mot de la bouche de Baouk dont la voix retentit sous la tente, celui qui aurait regardé Smaïl-aga aurait pu découvrir comment sur son visage se succédaient la souffrance, la colère, l’irritation et cent autres sentiments, à l’idée de la honte qui déchire son cœur orgueilleux où, tout au fond, des ongles sanglants, lui semble-t-il, démolissent un nid.

Une flamme de fureur éclate dans son cœur contre le raïa, le chien de Chrétien qui n’est pas digne de se chauffer sous le soleil à côté du Turc.

Les fers, le poison, le poignard, la corde, le cimeterre, le feu, l’huile bouillante et cent autres tourments lui viennent à l’esprit. Il voudrait effacer de la terre le souvenir de tout ce dont le raïa pourrait le railler, et laisser à l’avenir un nom glorieux dans les chants de gouslé.

Au-dessus de ses noirs sourcils un nuage tombe sur son front, ses yeux flamboient, le sang lui monte au visage, ses narines sont gonflées par la colère et sur ses lèvres, devenues toutes blanches, apparaît une menace infernale, qui disait : « Que le raïa périsse partout sur mes pas, pourvu que les chants parlent de moi. » Mais lorsque Baouk a terminé sa chanson une pensée envahit subitement l’esprit du maître, rapide comme un éclair : « Non, le raïa ne sera pas témoin de rien qui lui permettra de me railler dans ses chansons, et personne ne survivra à ma honte ; exterminons les tous, raïas, et Turcs aussi, pourvu qu’un souvenir glorieux leste de moi ! »

L’aga prépare au fond de son cœur un projet horrible. Son visage exprime un calme parfait, mais la colère l’envahit en dedans de plus en plus et fait frémir tout son corps. Enfin, quand il ne peut plus surmonter sa colère, il se lève et s’écrie en éclatant de fureur : « Allons, mes braves, jetez-vous sur les Chrétiens avec vos poignards et vos cimeterres ; tuez, brûlez tout et versez de l’huile bouillante. Déliez les Vlahs afin qu’ils reçoivent la mort librement. Je suis un héros, on le dira dans les chansons. »

L’aga n’a pas encore terminé sa phrase qu’au dehors éclate un coup de feu, et Sefer, qui le premier s’empressait au premier ordre de Smaïl-aga, perd son second œil : la balle a parfait le châtiment que la lance avait commencé ce jour-même.

« Les Vlahs ! Les Vlahs ! » s’écrie-t-on de tous côtés.

Une nouvelle décharge retentit près des tentes.

« Les Vlahs ! les Vlahs ! » crient les Turcs.

« Mon cheval ! vite, mon cheval ! » s’exclame l’aga.

Une seconde décharge retentit :

« Les Vlahs partout ! Aux armes ! aux poignards !... Mon cheval ! Hassan ! où est mon cheval ?... »

Une troisième décharge retentit et Hassan arrive avec le beau cheval de Smaïl-aga. Au moment où celui-ci monte en selle, la foudre éclaire l’horizon et une balle renverse par terre l’aga Tchenguitch. La nuit est tellement sombre qu’on n’a pas pu voir qui l’a tué et au travers de l’obscurité l’âme du brave Smaïl-aga, sombre et triste, disparaît dans les ténèbres éternelles.

L’aga est tombé, mais les Turcs se défendent encore. Quel dommage ! la nuit a caché au jour les beaux actes d’une vaillance héroïque.

Il fait si sombre qu’on ne distingue rien, mais quand la foudre éclate au ciel ou que des coups de feu éclairent par moments le champ de bataille, on voit de tous les côtés le Chrétien et le Turc se précipiter l’un sur l’autre, le couteau à la main.

Drapée par la nuit noire, la mort terrible nage dans le sang à travers la plaine ; ses yeux, ce sont les éclairs rapides, son souffle c’est le vent froid. Elle soupire, gémit, se lamente, crie, enlève tantôt un Chrétien et tantôt un Turc, et leur ferme, sans distinction, les yeux de sa main glaciale.

Ici ont péri Mouïo, Hassan, Omer, Yachar le féroce, et trente autres Turcs. La nuit sombre a aidé à fuir Baouk et ceux que les balles et poignards ont épargnés.

Mais qui gît près de Smaïl-aga mort, et qui, en mourant, grince des dents et menace la mort ? C’est Novitsa ; le féroce Hassan l’a tué lorsqu’il se jetait, la vengeance au cœur, sur Smaïl-aga qui râlait par terre. Hassan lui a fait en ce moment sauter la tête.

La pluie des balles mortelles vient de cesser, mais la pluie du ciel tombe encore. La troupe nocturne, après avoir balayé le champ des Turcs, s’abrite sous les tentes turques. La nuit est horrible, teinte de sang, sombre et noire. La troupe des montagnards est heureuse de pouvoir enfin trouver un abri.

 

CHANT V

La montagne de Lortchen s’élève vers le ciel ; tout en haut un petit plateau s’étend, à peine large pour une maison. C’est là qu’est bâtie une petite chapelle, demeure du Solitaire[16]. Dans cette petite chapelle se trouve une chambre étroite et basse et dans cette chambre on voit — quelle chose étrange ! — un Turc incliné devant la croix.

Il est revêtu de vêtements magnifiques, le turban sur la tête, le sabre aigu à son côté, le poignard à la ceinture, et la carabine à l’épaule. Tu crains qu’il ne te tue ?

Ne crains pas, mon frère ! Le Turc est calme à présent, il ne te tuera point. Il est paisible et très facile à effrayer : il suffit de frapper la terre du pied, il croisera humblement les bras, il croisera les bras et courbera la tête et il lèvera même sa main droite au front pour faire le signe de la croix[17].

Approche, frère, et demande-moi : « À qui est ce magnifique turban ? — C’est le turban de Smaïl-aga Tchenguitch mais il enroule tristement sa tête. — À qui, frère, est cette tête ? me demanderas-tu. — C’est la tête de l’aga Tchenguitch, mais la mort a voilé le regard de ses yeux. — À qui est ce sabre ? — C’est le sabre de Smaïl-aga, mais il pend bien tristement à son côté. — À qui sont ces armes dorées ? — Ce sont les armes de l’aga Tchenguitch, mais la rouille les ronge maintenant dans sa ceinture. — À qui sont ces vêtements brodés d’or ? — Ce sont les vêtements du farouche Smaïl-aga Tchenguitch, dont le reflet ne brille plus de l’éclat du soleil. »

 

 

 

 


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Texte établi par la Bibliothèque russe et slave ; déposé sur le site de la Bibliothèque le 2 septembre 2011.

 

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Les textes ont été relus et corrigés avec la plus grande attention, en tenant compte de l’orthographe de l’époque. Il est toutefois possible que des erreurs ou coquilles nous aient échappé. N’hésitez pas à nous les signaler.



[1] Le traducteur s’est trompé dans le titre de ce poème : il s’agit de Slávy dcera. (Note BRS)

[2] Aman ! en turc : grâce !

[3] Médet ! en turc : adieu !

[4] Haïdouk — brigand montagnard qui protège les villages contre les Turcs et venge les victimes chrétiennes.

[5] Kavaze — le suivant armé qui accompagne le chef turc.

[6] Vila — des créatures demi-divines dans la mythologie jugo-slave, belles filles ailées qui protègent les héros ; symbole de la bravoure.

[7] Yatagan — long couteau.

[8] Strouka — sorte de plaid.

[9] Tokas, boutons métalliques, — en argent chez les riches — qui ornent la veste des Monténégrins de façon pittoresque.

[10] Haratch — les impôts.

[11] Haratchliés — les hommes qui prélèvent de force les impôts.

[12] Sorte de guitare.

[13] Allusion à la poésie nationale.

[14] La plaine de Kossovo — lieu où les Serbes subirent une défaite complète et perdirent leur indépendance.

[15] Les chanteurs de gouslé sont ordinairement de vieux aveugles. L’âge et la cécité augmentent le respect que l’on professe pour ces bardes des Slaves du Sud.

[16] C’est là qu’a été enterré le prince de Monténégro, Pierre II Niegouch.

[17] D’après une coutume ancienne on habille une figure décorée des vêtements de l’ennemi tué, pour mieux rassurer la population et lui faire constater sa mort.